vendredi 29 décembre 2023

Vermines

Entre franches réussites (Le règne animal, Mars Express) et incident de parcours (Acide), le cinéma de genre français continue cette année encore d’afficher une santé de fer et des ambitions à la hauteur de ses talents. 

S’il ne révolutionne pas le genre et n’arrive pas à renouveler l’impact émotionnel de la très nihiliste et éprouvante Tour de Guillaume Nicloux, Vermines se pose en honnête représentant du genre, soucieux d’offrir un spectacle sincère et foncièrement efficace. 

Alors que dans le film de Guillaume Nicloux les habitants d’un immeuble de banlieue confrontés à une menace extérieure cherchent à s’organiser pour survivre dans leur tour, c’est sur un principe inverse que s’organise le long métrage de Sébastien Vaniček. Face à un ennemi de l’intérieur, les protagonistes de Vermines n’auront de cesse d’essayer de fuir leur immeuble, et métaphoriquement leur condition sociale incarnée par la cité, pour échapper à une invasion d’araignées très vénères. 

Une fois passé l’immersion dans une communauté exubérante au vocabulaire fleuri où les invectives sont la base de tout dialogue (le personnage principal, Kaleb incarné à l’écran par Théo Christine, ne semble pas savoir s’exprimer autrement qu’en criant), on commence à s’attacher aux personnages et donc au sort qui leur sera réservé. 

S’ensuit alors un jeu de massacre et d’infiltration où de vilaines bestioles de plus en plus imposantes et agressives investissent les recoins d’un immeuble qui tombe en ruine et traquent ses habitants considérés comme une menace potentielle. Étonnement avare en effets gores, Vermines adopte le point de vue de ses protagonistes, les habitants d’une cité qui coexistent, se supportent ou s’entraident dans un mélange des cultures et une précarité sociale jamais éludés. 

Malgré un personnage central un peu caricatural dans sa propension à n’exprimer sa relation aux autres qu’au travers d’une colère permanente, Vermines emprunte les chemins balisés du film d’invasion de vilaines bébêtes en le transposant dans une cité de banlieue avec sincérité et réussite et en évitant de justesse un sous texte social trop appuyé. Sébastien Vaniček est à coup sur un réalisateur à suivre de prés.

mercredi 20 décembre 2023

Les Trois Mousquetaires : Milady

Les Trois Mousquetaires, non pas 20 ans mais un an après le premier opus centré sur le personnage de D’Artagnan interprété par François Civil. Suite et peut être pas fin des aventures de ces soldats d’élite du roi qui vont tout faire pour démasquer le complot visant à assassiner Louis XIII (Louis Garrel délicieusement pince sans rire), contre carrer les plans de la machiavélique Milady (Eva Green, plus fatale que jamais), sauver Constance Bonacieux (Lyna Khoudri toute en douceur et en innocence) et empêcher les Anglais de débarquer à La Rochelle, tout cela en moins de deux heures et avec panache. 
Plus sombre mais tout aussi réjouissant que le premier épisode, ce nouvel opus fait enfin la part belle au personnage fascinant de Milady entre plans retours et destin tragique, et déploie de louables efforts pour respecter le goût du roman feuilleton cher à Alexandre Dumas (la fin pour le moins ouverte en est le plus bel exemple). 
Volontiers épique, porté par des dialogues réjouissants et une réalisation qui, si elle ne sort guère des sentiers balisés de la reconstitution historique, ne lésine jamais sur les moyens, ce Milady fait une fois de plus la part belle au truculent Porthos, à l’austère Aramis, et au torturé Athos au travers de dialogues savoureux et de quelques passes d’armes mémorables. 
Plombé une fois de plus par des scènes de combat difficilement lisibles, à l’exception du dernier duel entre D’Artagnan et Milady dans un bâtiment en feu, ces Trois Mousquetaires, s’ils ne révolutionnent pas le genre, nous offrent un spectacle généreux porté par une distribution solide, des personnages savoureux et des dialogues qui font mouche. On aurait tort de bouder son plaisir.

 

jeudi 30 novembre 2023

Thanksgiving

Le gore c’est bien, le gore avec un scénario malin et des personnages bien écrits c’est encore mieux. 

Pour accompagner la sortie du double programme Grindhouse (Boulevard de la Mort et Planète Terreur) de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez en 2007, une poignée de réalisateurs se prêtent à l’exercice des fausses bandes annonces dont fait partie Thanksgiving, exercice tellement réjouissant que deux d’entre elles, Machete de Robert Rodriguez et Hobo with a Shotgun de Jason Eisener, seront développées en longs métrages foutraques, excessifs, violents, déjantés et donc forcément sympathiques. 

De cette expérience Eli Roth n’a conservé que le gore qui, s’il représente un ingrédient indispensable à l’esprit frondeur de ces films d’exploitations, n'en reste pas pour autant suffisant à produire un bon film. 

A partir d’un concept déjà vu mille fois, le réalisateur déroule un récit convenu, on devine l’identité du tueur par élimination dés le dernier tiers du film, où déambulent des personnages tellement caricaturaux, convenus et antipathiques que l’on guette avec une impatience un peu coupable leur élimination prochaine. 

Et c’est bien là l’intérêt principal du film, une généreuse inventivité dans la mise à mort de protagonistes qui semblent attendre leur tour tout au long d’une enquête qui piétine (et pour cause…), et une abondance d’effets gore qui viennent à peine masquer la paresse de la réalisation. 

S’il ne marquera pas les annales du slasher déjà bien pourvu en nanars de toutes sortes, Thanksgiving se laisse regarder d’un œil distrait, sauvé du néant par une scène d’ouverture bien méchante où le délire consumériste vient supplanter la cruauté du tueur en devenir. 

Divertissant dans ses excès et son mauvais goût assumé mais paresseux dans son écriture et la caractérisation de ses personnages, Thanksgiving n’aura jamais autant tenu ses promesses que sous forme de bande annonce Grindhouse.

mardi 28 novembre 2023

Napoléon

Derrière chaque grand homme se cache une femme. C’est sans aucun doute cette maxime qu’avait en tête Ridley Scott quand il filma son Napoléon en amoureux transi d’une Joséphine de Beauharnais qu’il épousera et répudiera tout aussi soudainement au nom de l’intérêt supérieur, celui de la France et surtout de sa légende. 

Car c’est bien un homme enivré de son propre destin que nous décrit le réalisateur des Duellistes, tour à tour visionnaire dans sa volonté grandiloquente d’unir les pays d’Europe sous une même bannière, la sienne, d’une froideur inhumaine quand il fait tirer au canon sur la foule parisienne, tacticien hors pair quand il tient tête aux anglais, aux russes et aux prussiens sur les champs de bataille et faible et geignard devant les femmes qu’il ne peut soumettre, sa mère et sa première épouse. 

Étonnamment centré sur les relations maritales de l’empereur et son rapport ambigu de domination-soumission avec Joséphine, le film de Ridley Scott fait l’impasse sur bon nombre d’évènements majeurs malgré une durée raisonnable de plus de deux heures trente. Ainsi, la retraite de Russie pourtant fondatrice dans le déclin militaire et politique de Bonaparte est elle passée sous silence et la plupart des batailles, pour impressionnantes et maitrisées qu’elles soient, ne laissent qu’entre-apercevoir l’horreur et l’ampleur des massacres perpétués. 

Si l’ont est loin de la maitrise narrative du Dernier Duel, Napoléon n’en reste pas moins un formidable concentré d’histoire qui nous replonge dés les premières minutes au cœur de la Terreur et des heures les plus noires de la Révolution française, sur le terreau de laquelle un officier corse ambitieux allait habilement manœuvrer pour accéder au pouvoir absolu. 

La volonté du réalisateur de démystifier celui qui envoya plus de trois millions de soldats à la mort pour servir sa soif de pouvoir est louable, mais on ne peut que rêver en imaginant une version plus longue dont le montage servirait l’ambition du projet et dont la démesure serait à la hauteur de son sujet.

samedi 25 novembre 2023

Mars Express

Une transaction qui tourne mal, une course poursuite périlleuse, des fusillades millimétrées, Mars Express commence sur les chapeaux de roues dans la plus pure tradition du polar. Sauf que l’action se déroule en 2200 sur une Terre reléguée à l’antichambre de la planète Mars colonisée par les humains et les robots dans une cohabitation de plus en plus tendue. 

D’entrée de jeu le réalisateur s’en remet à l’intelligence du spectateur qu’il plonge dans un monde régi par ses propres règles. Entre soldats morts ramenés à la vie par les progrès de la cybernétique, tueurs cyber augmentés, fermes cérébrales et hackers en tous genres, Mars Express nous immerge dans un futur où les progrès de la robotique ont redéfini la société moderne et les règles du vivre ensemble. 

En reprenant les graines semées par Isaac Asimov et sa mythologie autour des robots et des lois qui en régissent les interactions avec les humains, Mars Express déroule une enquête au long cours parsemée de morts et de conspirations tout en nous proposant une réflexion sur les limites de la science. Assurément ambitieux dans son propos comme dans sa réalisation ou son doublage, le film de Jérémie Périn prouve une fois de plus l’incroyable maitrise de l’animation française. 

Bien que parsemé de clins d’œil aussi discrets qu’éclectiques (un homme de main avec le physique de Keanu Reeves lors de l’assaut final, une cyber tueuse aux allures de T-1000), Mars Express n’en conserve pas moins son identité propre et se place d’emblée comme l’un des meilleurs films de science-fiction de l’année.

mardi 7 novembre 2023

Le garçon et le héron

Alors que la guerre gronde aux portes du Japon, Mahito assiste impuissant à la disparition de sa mère dans l’incendie de l’hôpital où elle travaille. Lorsque son père décide d’épouser la sœur cadette de sa défunte femme, Mahito quitte Tokyo pour s’installer avec lui dans un vaste manoir occupé par sa tante et une ribambelle de vieilles domestiques. La rencontre avec un drôle de héron cendré va bouleverser le cours de sa jeune existence. 
Le deuil, l’esprit des morts, l’environnement, la guerre, tous les thèmes chers à Hayao Miyazaki sont présents dans Le garçon et le héron qui en devient une sorte de pot-pourri de l’univers du réalisateur. Mais si le dernier (à tous les sens du terme ?) opus de l’un des maitres incontestés de l’animation condense à lui seul une richesse thématique jusqu’alors inégalée, cela suffit il à en faire une œuvre majeure ? Pas sûr. 
Car si la qualité de l’animation des studios Ghibli nourrit un récit initiatique traversé de moments de bravoure et de poésie, Le garçon et le héron n’en demeure pas moins très long dans le déroulé de son histoire et d’une opacité parfois déconcertante. 
Même s’il pioche dans l’incroyable iconographie de l’univers Miyazaki, le film n’arrive jamais à renouer avec la sauvagerie animiste de Princesse Mononoke, la poésie et la tendresse de Mon voisin Totoro ou encore l’incroyable melting-pot thématique de ce qui reste encore à ce jour son chef d’œuvre, Le voyage de Chihiro. 
Alors que l’empreinte de Lewis Caroll et notamment du périple d’Alice au Pays des Merveilles devient de plus en plus évidente au fil de ses réalisations, Hayao Miyazaki inscrit Le garçon et le héron dans la continuité de son œuvre (la guerre dont on devine les prémices dans Le vent se lève est ici bien présente) mais semble frappé par le même syndrome que David Lynch, celui d’un réalisateur incontesté à la filmographie ponctuée d’œuvres majeures et qui, une fois atteint leur point d’orgue (Le voyage de Chihiro / Mulholland Drive sortis tous les deux en 2001) se perdent dans les méandres de leurs propres univers au risque de laisser un bonne partie de leurs spectateurs au bord du chemin.

dimanche 29 octobre 2023

Killers of the Flower Moon

C’était une autre époque. Celle où le meurtre d’un indien comptait moins que celui d’un chien, où le Ku Klux Klan défilait dans les rues en toute impunité, où John Edgar Hoover venait tout juste de créer ce qui sera les prémices du FBI. 

Alors que l’on découvre de formidables gisements de pétrole sur les terres du peuple Osage, celui-ci devient immensément riche et attire sur la communauté indienne toutes les convoitises et son lot de duplicité et de crimes. 

A partir d’un fait divers peu connu et d’un roman de David Grann, Martin Scorsese peint une nouvelle facette de l’histoire américaine et nous livre un film fleuve captivant de bout en bout. 

A travers une galerie de personnages aussi différents que complémentaires incarnés par une distribution exemplaire au sein de laquelle Robert De Niro livre une prestation magistrale et Lily Gladstone toute en retenue incarne à elle seule le drame de cette nation indienne, le réalisateur dépeint les travers d’une société en devenir où l’appât du gain supplante toute autre valeur et où les hommes les plus intelligents manipulent une main d’œuvre corvéable à merci dans un contexte de racisme et de misogynie parfaitement assimilés. 

Parmi ces hommes, le personnage de William Hale incarné par Robert De Niro fait figure de patriarche aussi charismatique que machiavélique, semant les graines du crime sur un terreau fertile composé de seconds couteaux bas du front ne demandant qu’à obéir. Et c’est là l’une des grandes prouesses du film de reposer sur un personnage tellement haïssable dans sa lâcheté, sa bêtise et son refus de se confronter à la réalité que l’on peine à éprouver la moindre empathie à son encontre. Leonardo DiCaprio, s’il se croit obligé de singer Robert De Niro dans ses mimiques, n’en demeure pas moins l’interprète crédible et magistrale d’un imbécile fini, amoureux sincère d’une femme qu’il n’a de cesse d’empoisonner quand il ne commandite pas l’assassinat de sa famille. 

Si le film souffre d’ellipses parfois rapides et de quelques incohérences scénaristiques (William Hale et Ernest Burkhart, respectivement témoin et accusé sont incarcérés dans des cellules voisines et discutent à tout va avant le procès ?), Killers of the Flower Moon reste un film nécessaire et captivant dont la dernière scène, sous forme de mise en abime, témoigne de la volonté du réalisateur, à l’image de Clint Eastwood, d’être l’un des biographes de ce qui deviendront les États Unis d’Amérique, quitte à égratigner l’image d’une nation qui s’est érigée sur des fondations scellées par le sang et la spoliation des peuples natifs.

samedi 28 octobre 2023

Sorcerer

Après les succès de French Connection en 1970 et l’Exorciste en 1973, William Friedkin n’a plus grand-chose à prouver à Hollywood et se met à la recherche d’un défi à la hauteur de son égo. Quoi de plus audacieux que de se frotter à la nature elle-même, loin du confort des studios comme le fit Werner Herzog avec Aguirre la colère de Dieu en 1972, et comme le fera Francis Ford Coppola avec Apocalypse Now en 1979 ? Comme eux, le réalisateur va connaitre un chemin de croix et enfanter dans des conditions dantesques de l’un de ses meilleurs films. 

Son choix se porte donc sur le remake du Salaire de la peur tourné par Henri-Georges Clouzot en 1953 d’après le roman du même nom de Georges Arnaud paru quatre ans plus tôt. Le voyage au cœur des ténèbres de quatre hommes au passé trouble chargé de conduire un convoi de nitroglycérine à travers une jungle sud-américaine. Sorti en 1977 en même temps qu’un certain Star Wars et empreint d’une noirceur peu commune, le film sera un échec public et critique et il faudra attendre une bonne vingtaine d’années avant d’être réhabilité. 

En effet, Sorcerer est à la fois un film parfaitement intégré dans la filmographie de William Friedkin (le premier plan représentant une tête de diable gravée dans la pierre renvoie directement à la figure du démon Pazuzu de l’Exorciste) et complètement à part dans le paysage cinématographique de l’époque peu enclin à recevoir une telle décharge en pleine tête. Prouesse technique, on se demande encore comment la scène de la traversée en pleine tempête d’un pont suspendu par les deux camions a pu être possible, Sorcerer est un voyage au bout de la nuit sans aucune concession et d‘une noirceur assumée jusqu’au plan final qui ne laisse aucune issue possible à des morts en sursis. 

Dès l’ouverture du film, le réalisateur plante le décor. Ces quatre hommes que nous suivrons jusqu’au dénouement final trainent la mort dans leur sillage. Attentat, assassinat, suicide, accident, chacun marche à coté de la grande faucheuse et on pourrait d’ailleurs envisager le fait qu’ils sont déjà morts et que ce périple dans une jungle empreinte d’un réalisme magique n’est que la traversée des Limbes où les condamnent leurs âmes corrompues. 

William Friedkin ne cherche pas la rédemption de ses personnages et tout son film est marqué par la noirceur de l’âme humaine, du plus infime détail (la mariée avec un œil au beurre noire) à l’atmosphère du village, véritable antichambre des Enfers où règnent violence, saleté et corruption et d’où chacun cherche à s’échapper. 

Il plane sur Sorcerer un tel désespoir magnifié par le talent et la maitrise de William Friedkin que le film en devient mystique et qu’il préfigure les futurs chefs d’œuvre d’un réalisateur trop longtemps sous-estimé par le grand public.

samedi 14 octobre 2023

Le règne animal

Le règne animal ne commence pas sous les meilleurs hospices. Cinq minutes de huit clos dans l’habitacle d’une voiture entre un adolescent apathique qui se rebelle mollement contre son père moralisateur dont la posture ultime est de citer René Char. Romain Duris joue à fond la posture du quinquagénaire faussement rebelle et Paul Kircher condense en un regard tout ce que l’adolescence peut susciter d’agacement pour le spectateur adulte. On craint alors la sortie de route façon Acide, l’accident d’interprétation et d’écriture des personnages qui handicape depuis des années le cinéma de genre en France. Heureusement, par petites touches, le film se met en place et le miracle opère enfin. 

Car le nouveau long métrage de Thomas Cailley se construit justement pierre par pierre au travers de ces détails, pas si infimes, qui font un film. La musique d’Andrea Laszlo De Simone qui nous fait rester jusqu’au générique de fin, la force des seconds rôles, de Fix l’homme oiseau à Nina en passant par Julia campée par la toujours impeccable Adèle Exarchopoulos, et enfin les magnifiques effets spéciaux au travers desquels l’humanité perdue des mutants transcende leur animalité. 

Dès l’impressionnante scène d’ouverture nous comprenons à demi-mots que, aussi spectaculaire que soit cette évasion, la présence des « bestioles » n’a rien de nouveau pour les protagonistes du film qui ont de ce fait une longueur d’avance sur les spectateurs. Et en effet le réalisateur ne s’encombre pas d’éléments explicatifs, il n’y en a pas, à chacun de se faire sa propre opinion, ou de laborieuses séquences d’installation. Nous sommes d’emblée confrontés à un état de fait, suffisamment nouveau pour que les personnages du film ne sachent pas encore comment réagir, mais déjà établi. 

Des scènes aussi fortes, le film en regorge, d’une séquence de traque en échasses dans un champ de maïs à une recherche nocturne en voiture à travers bois où père et fils se rejoignent sans mot dire dans la quête de cette femme / mère perdue. Et c’est là toute la finesse de Thomas Cailley, de faire passer des informations ou des sentiments sans asséner de lourds discours démonstratifs. Une cicatrice en dit plus long que bien des mots, un centre de traitement entre aperçu au détour d’une route et des essais ratés de chirurgie réparatrice sur le visage de Fix laisse transparaitre toute l’horreur qui se cache derrière ces murs immaculés et le traitement réservés aux mutants. 

Film allégorique à plus d’un titre (la scène finale fait irrémédiablement penser au douloureux envol des adolescents quand ils quittent le foyer familial), fable fantastique au sens premier du terme et film politique dans la réflexion, certes vue mille fois mais néanmoins juste, du traitement de la différence, le règne animal ajoute une belle lettre de noblesse au fantastique français et démontre d’une belle maitrise au service d’une ambition exceptionnelle.

mercredi 27 septembre 2023

Acide

L’angoisse climatique comme point de départ d’un film fantastique naturaliste et intimiste, l’idée n’a rien d’originale mais elle aurait pu donner lieu à une course contre la montre tendue et ambitieuse avec son lot de scènes traumatisantes et une vision à la hauteur des enjeux, chronique d’une catastrophe depuis (trop) longtemps annoncée. 

Sauf que le nouveau film de Just Philippot passe complètement à coté de son sujet et sombre dans un maniérisme qui concentre presque tous les travers du cinéma français. 

Dés les premières scènes et l’introduction des principaux protagonistes, les personnages se révèlent rapidement insupportables. Guillaume Canet marche sur les plates-bandes de Vincent Lindon en incarnant un syndicaliste violent et radical dont la ligne de front se résume à considérer que tous les nantis sont des cons. Voilà pour le volet social. Son épouse Elise se raccroche à son frère pour résoudre ses moindres problèmes, et sa fille Selma assure le quota de l’adolescente révoltée. 

Mais au-delà de la caractérisation pour le moins discutable des personnages (on ne se saura rien de Michal si ce n’est son aversion envers les riches, ou considérés comme tels), l’autre problème du film tient à son interprétation et à la direction des acteurs. Si Guillaume Canet tire son épingle du jeu, on reste dubitatif devant les prestations de Laetitia Dosch et Patience Munchenbach qui semblent sortir tout droit du cours Florent et tirent jusqu’à la caricature les sautes d’humeur de leurs personnages. 

Ajoutons à cela des comportements incompréhensibles (la fuite de Selma à travers champs, ses récriminations à l’encontre de son père) et il ne reste d’Acide que quelques plans de toutes beautés et une ou deux scènes vraiment réussies. Suffisamment pour nous laisser entrevoir ce qu’aurait pu être le film, miroir à peine déformant d’une réalité de plus en plus angoissante. 

Il n'en reste que la chronique ampoulée d’une famille au bord du gouffre mêlant pathos et petite touche sociale avec pour toile de fond une nature meurtrière qui reste ce que le film a de mieux à nous offrir. Mieux vaut revoir La Tour de Guillaume Nicloux sorti l’année dernière pour se convaincre qu’en France aussi on sait faire des films de genre radicaux et sans concession.