samedi 28 octobre 2023

Sorcerer

Après les succès de French Connection en 1970 et l’Exorciste en 1973, William Friedkin n’a plus grand-chose à prouver à Hollywood et se met à la recherche d’un défi à la hauteur de son égo. Quoi de plus audacieux que de se frotter à la nature elle-même, loin du confort des studios comme le fit Werner Herzog avec Aguirre la colère de Dieu en 1972, et comme le fera Francis Ford Coppola avec Apocalypse Now en 1979 ? Comme eux, le réalisateur va connaitre un chemin de croix et enfanter dans des conditions dantesques de l’un de ses meilleurs films. 

Son choix se porte donc sur le remake du Salaire de la peur tourné par Henri-Georges Clouzot en 1953 d’après le roman du même nom de Georges Arnaud paru quatre ans plus tôt. Le voyage au cœur des ténèbres de quatre hommes au passé trouble chargé de conduire un convoi de nitroglycérine à travers une jungle sud-américaine. Sorti en 1977 en même temps qu’un certain Star Wars et empreint d’une noirceur peu commune, le film sera un échec public et critique et il faudra attendre une bonne vingtaine d’années avant d’être réhabilité. 

En effet, Sorcerer est à la fois un film parfaitement intégré dans la filmographie de William Friedkin (le premier plan représentant une tête de diable gravée dans la pierre renvoie directement à la figure du démon Pazuzu de l’Exorciste) et complètement à part dans le paysage cinématographique de l’époque peu enclin à recevoir une telle décharge en pleine tête. Prouesse technique, on se demande encore comment la scène de la traversée en pleine tempête d’un pont suspendu par les deux camions a pu être possible, Sorcerer est un voyage au bout de la nuit sans aucune concession et d‘une noirceur assumée jusqu’au plan final qui ne laisse aucune issue possible à des morts en sursis. 

Dès l’ouverture du film, le réalisateur plante le décor. Ces quatre hommes que nous suivrons jusqu’au dénouement final trainent la mort dans leur sillage. Attentat, assassinat, suicide, accident, chacun marche à coté de la grande faucheuse et on pourrait d’ailleurs envisager le fait qu’ils sont déjà morts et que ce périple dans une jungle empreinte d’un réalisme magique n’est que la traversée des Limbes où les condamnent leurs âmes corrompues. 

William Friedkin ne cherche pas la rédemption de ses personnages et tout son film est marqué par la noirceur de l’âme humaine, du plus infime détail (la mariée avec un œil au beurre noire) à l’atmosphère du village, véritable antichambre des Enfers où règnent violence, saleté et corruption et d’où chacun cherche à s’échapper. 

Il plane sur Sorcerer un tel désespoir magnifié par le talent et la maitrise de William Friedkin que le film en devient mystique et qu’il préfigure les futurs chefs d’œuvre d’un réalisateur trop longtemps sous-estimé par le grand public.

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