jeudi 20 septembre 2012

Killer Joe

William Friedkin, 77 ans, livre avec Killer Joe un film uppercut sur la bassesse humaine et la pauvreté qui laissera une trace indélébile dans la mémoire des spectateurs. Car c’est bien de pauvreté dont il s’agit, qu’elle soit sociale, intellectuelle ou affective. Le film met en scène une galerie de personnages abjects, psychopathe au sang froid ou abrutis congénitaux, et pourtant on en vient à s’attacher à chacun d’eux et à espérer qu’ils se sortent de leurs vies minables. Ce qui bien entendu n’arrivera jamais. Killer Joe débute comme un polar tordu quand Chris, jeune paumé texan à la dérive, loue les services de Joe, flic et tueur à gages, pour tuer sa mère et empocher son assurance vie. Le tout avec la bénédiction de son père, de sa belle mère et de sa sœur. Le ton est donné et la suite est à l’avenant. Bien entendu, rien ne se déroulera comme prévu et l’histoire finira dans un bain de sang qui n’épargnera personne. Contrairement à la plupart des films actuels, ce n’est pas ici l’histoire qui prime mais bien les personnages, tous interprétés avec une justesse peu commune par une galerie d’acteurs et d’actrices absolument formidables.
Parmi ce tableau de toutes les tares humainement imaginables, seul le personnage de Dottie, la sœur de Chris, semble apporter un peu de lumière, comme une fleur qui pousserait sur un tas de fumier. Déjà extraordinaire dans Kaboom de Gregg Araki, Juno Temple campe une cendrillon redneck qui serait tombée sur le mauvais prince charmant. Elle incarne avec justesse une femme enfant décalée qui semble se réfugier dans un monde qui lui est propre pour échapper à la laideur qui l’entoure. Mais cette protection va bien vite voler en éclat devant la brutalité et l’avidité des hommes. Déchirée entre son frère et son amant, elle tranchera de manière radicale, la seule possible.
Le réalisateur prend son temps pour filmer ses personnages, installant de longs dialogues décalés que ne renierait pas le Tarantino des débuts. Des moments tendus à l’extrême qui débouchent sur des explosions de violence surréalistes. Le trait est poussé tellement loin que le film prend des allures de conte fantastique. On en vient à douter de la réalité de ces personnages presque iconiques de bêtise, de lâcheté et de perversion, mais jamais caricaturaux.
William Friedkin aime ses personnages, aussi tordus soient ils, et nous fait partager sa joie presque enfantine d’être derrière la caméra et de diriger ce théâtre de marionnettes tragiques. C’est une belle leçon de cinéma dont bon nombre de réalisateurs devraient s’inspirer.

vendredi 7 septembre 2012

The Secret

Comme nombre de réalisateurs français de genre, Pascal Laugier part aux Etats Unis réaliser son nouveau film. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne fait aucune concession et livre une histoire conforme à sa vision, sans adopter l’attitude béate du fan aveuglé par les lumières américaines. Alors que le film est vendu aux Etats Unis comme une énième histoire d’épouvante, The Secret est pourtant loin d’être aussi simple que cela. Tout comme Martyrs, le film possède différents niveaux de lectures et une narration complexe qui demande des efforts aux spectateurs. Et comme pour Martyrs, on en sort en se demandant si on aime ou on déteste ce que l’on vient de voir. Le film est composé de quatre parties et le passage de l’une à l’autre par le biais de révélations successives change complètement notre point de vue à chaque fois. L’histoire débute à Cold rock, petite ville rurale américaine sur laquelle semble planer une malédiction accompagnant la décrépitude économique de la ville et de ses habitants. Depuis quelque temps, des enfants disparaissent sans laisser aucune trace. Très vite, les habitants parlent du Tall Man, un mystérieux croquemitaine qui viendrait enlever les enfants pour les emmener là où on ne les reverra jamais.
Après un très beau générique, le réalisateur installe une ambiance inquiétante et pose toutes les règles du fantastique. Nous découvrons ces évènements inquiétants à travers les yeux de Julia interprétée par une Jessica Biel impressionnante dans son rôle de veuve qui élève seule son enfant. La musique, la photographie, la réalisation, tout concours avec brio à une atmosphère envoutante, un peu triste et vraiment anxiogène. L’histoire s’accélère quand son fils est à son tour enlevé et qu’elle se lance à la poursuite du ravisseur.
Un premier retournement de situation nous oblige alors à porter un regard différent sur tout ce que l’on vient de voir, et le film sort du domaine du fantastique. Une deuxième révélation, quand le Tall Man frappe à nouveau en enlevant Jenny, nous replonge dans le surnaturel, jusqu’au troisième retournement (la révélation du visage du Tall Man) qui oriente définitivement le film dans un autre registre et expulse tout élément fantastique pour ne plus jamais y revenir.
Pascal Laugier compose un travail intéressant sur la subjectivité et les interprétations que l’on peut faire de ce que l’on nous montre. Témoin la scène du prologue que l‘on revoit ensuite et qui, à la lumière de ce que l’on apprend, prend un tout autre sens. Le problème, déjà rencontré dans Martyrs, vient du dénouement qu’il nous propose.
(attention, spoiler)
Il pose une question cruciale en terme de déontologie et de sociologie en mettant en scène un groupe de personnes qui enlèvent les enfants pauvres condamnés à suivre les traces de leurs parents pour les faire adopter par des familles riches et leur offrir ainsi un meilleur avenir. La question n’est pas tranchée comme en témoigne le questionnement que Jenny adresse aux spectateurs à la fin du film, mais l’on peut trouver douteux l’idée même du scénario, d’autant plus qu’elle est légitimée par le réalisateur (Jenny retrouve la parole grâce aux soins prodigués par sa nouvelle mère d’adoption). Tant qu’à investir de l’énergie et de l’argent pour aider ces enfants, on pourrait aussi suggérer de le faire au niveau des familles en question plutôt que de se poser en juge au nom du déterminisme social et de décider de priver une mère de ses enfants.
(fin du spoiler)
Fidèle à sa fascination pour les figures sacrificielles féminines, Pascal Laugier se sert du fantastique plus qu’il ne le sert. C’est son droit le plus strict mais on peut aussi trouver cela agaçant.

jeudi 6 septembre 2012

Expendables 2 : unité spéciale




Alors que le premier épisode de ce qui pourrait bien devenir une franchise et qui réunissait les grandes gloires du cinéma d’action des années 80 oscillait avec plus ou moins de bonheur entre action pure et clin d’œil, ce deuxième opus prend une direction significativement différente. Le tout est de savoir si c’est voulu ou non. Le film commence par un prologue fulgurant qui voit le commando attaquer une base terroriste au Népal pour libérer un milliardaire chinois kidnappé et un mystérieux prisonnier. La séquence est efficace, brutale et spectaculaire et laissait envisager le meilleur pour la suite. Malheureusement il n’en est rien. Car une fois révélée l’identité du prisonnier qui apparait comme un diable sorti de sa boite, c’est à un véritable catalogue de tous les poncifs du genre que nous convie le réalisateur Simon West. Sans parler d’un scénario prévisible au possible et de dialogues qui prêtent constamment à sourire. Tout ce qui caractérise les films d’action les plus basiques et qui agace généralement le spectateur se retrouve concentré en une heure trente, ce qui constitue en soi un véritable tour de force.
Des soldats qui font mouche à tous les coups et qu’aucune balle ne peu atteindre, une certaine misogynie latente, des équipements et des véhicules qui apparaissent comme par enchantement dans les endroits les plus reculés de la planète, une escouade de soldats et un tank anéantis par un seul homme (Chuck Norris certes, mais quand même), des situations désespérées qui se résolvent avec l’apparition d’une sauveur inattendu (par les personnages, car le spectateur lui le voit venir de loin), la jeune recrue qui veut se retirer et dont c’est la dernière mission avant de rejoindre sa fiancée, et qui évidemment meurt en premier (à ce niveau là ce n’est plus un spoiler), la liste est longue et en devient pénible au bout d’une demi heure.
La vieille garde est toujours là et on retrouve avec plaisir ces vieilles trognes pourtant marquées par les années, mais pour ce second épisode, le réalisateur se met en pilote automatique et ne livre que le strict minimum. Jet Li disparait dès le début au profit d’une femme, asiatique elle aussi, Dolph Lundgren fait le comique de service, Bruce Willis et Arnold Schwarzenegger multiplient les clins d’œil à leurs filmographies respectives, quand à Sylvester Stallone, il frôle en permanence la caricature. Encore une fois, seul Jason Statham sauve la mise.
Quand aux nouveaux venus, ce n’est pas mieux. Chuck Norris fait une apparition paresseuse, et Jean Claude Van Damme cabotine comme jamais. Jusqu’à son nom, Vilain, au cas où on ne comprendrait pas son rôle dans l’histoire.
Vendu comme un film d’action, Expendables 2 est en fait davantage une comédie qui caricature le genre qu’un renouveau du film de commando. Pour cela on préférera se tourner du coté de l’Asie et revoir par exemple The Raid. Il reste à savoir si la démarche est volontaire ou non. Quoiqu’il en soit, je passe pour mon tour pour le troisième épisode.