Est-ce une coïncidence ou une influence, mais en cette année 2012 annoncée comme celle de la fin du monde par nombre de prophètes de pacotille, ce thème aura engendré en quelques mois des films majeurs.
Melancholia fut l’un, sinon le plus beau film de 2011 et Take Shelter débute l’année 2012 sur en fanfare. La façon magistrale dont sont traités les deux films n’est d’ailleurs pas leur seul point commun. L’un comme l’autre abordent en effet la fin du monde, réelle ou fantasmée, la maladie mentale et utilisent pour illustrer leurs propos des tableaux de toute beauté. Aux peintures oniriques de Lars Von Trier répondent les scènes magistrales de tempêtes et d’orages de Take Shleter.
L’histoire débute de façon classique. Curtis LaForche est un ouvrier américain moyen, père d’une petite fille sourde muette et mari d’une femme dynamique qui vend sur les marchés des objets qu’elle confectionne elle-même. Leur vie jusque là sans histoire est perturbée par des cauchemars qui hantent les nuits de Curtis. Des visions annonçant la fin du monde et un futur apocalyptique où les humains s’entre tuent. Sachant que sa mère a été internée à l’âge de trente ans pour cause de paranoïa, Curtis s’interroge. Est-il malade ou voit-il avant tout le monde une catastrophe inexorable ? Peu à peu, ces terribles visions vont le couper des êtres qui l’entourent. Son chien d’abord, puis son meilleur ami, son patron et bientôt sa femme.
Take Shelter oscille constamment entre le film d’anticipation et l’étude clinique d’une maladie mentale sans jamais imposer sa vison au spectateur. Au contraire, le film alterne les moments de doutes, les visions de plus en plus terrifiantes de Curtis avant de nous délivrer par un final tétanisant. Ces cauchemars, le réalisateur les traite de façon presque elliptique, particulièrement pour ce qui est du devenir des humains après la supposée catastrophe. Alors qu’il aurait pu en rajouter dans la surenchère, il nous dévoile des scènes aussi brèves que terrifiantes. L’apothéose survient lorsque Curtis rêve de sa propre femme en chemise de nuit et ruisselante de pluie dans la cuisine. Pâle et hagarde, elle regarde alternativement son mari et un couteau posé sur le plan de travail. On s’attend à tout moment à une explosion de violence qui n’arrive jamais ailleurs que dans notre imagination que le réalisateur laisse travailler, nous laissant pantois à imaginer le pire. Rarement des scènes sont allées aussi loin dans la terreur avec une telle économie de moyen. Et quand l’homme est confronté aux éléments déchainé qu’il est seul à voir ou à entendre, ce sont des descriptions aussi belles que puissantes de ce que serait en effet une fin du monde. Une pluie jaune et visqueuse qui se met à tomber, orages dévastateurs, un ciel chargé de toutes les menaces que la nature puisse faire peser sur la race humaine, des oiseaux morts qui tombent du ciel par milliers. Alors que les bruits naturels remplacent la musique, rendant ces scènes paradoxalement encore plus effrayantes, le spectateur ne sait plus s’il est prisonnier de la paranoïa de Curtis ou s’il partage avec lui les derniers instants de l’humanité.
Interprété par un casting parfait dominé par le monolithique Michael Shannon, Take Shelter se conclut en deux temps. Le réalisateur nous propose une première fin clinique et raisonnable quand la famille sort de l’abri anti tempête. Quelques minutes après, une scène qui marquera nos esprits longtemps après avoir quitté la salle clos de manière définitive le film sur une note fantastique, d’une beauté et d’une force absolues. Loin des poncifs du genre, des débordements outranciers des films catastrophes ou post apocalyptiques, Jeff Nichols réalise avec ce second film plus qu’un coup de maitre. Une œuvre forte, dérangeante, belle et maitrisée de bout en bout.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire