L’homme et la légende ont toujours été au centre de la filmographie de Clint Eastwood. Ce thème fut magistralement traité avec Impitoyable où la légende rattrape l’homme qui tente de lui échapper, et avec Gran Torino où l’homme s’émancipe enfin de son passé dans une forme de rédemption.
Dans ces deux films, Clint Eastwood se confronte avec une légende qu’il connait bien, la sienne. Ses multiples personnages de western dans Impitoyable, et une version vieillissante de l’inspecteur Harry dans Gran Torino. D’ailleurs, dans les deux films en question, c’est le réalisateur lui-même qui se met en scène et qui interprète ces personnages magnifiques et crépusculaires.
Avec J. Edgar, Clint s’attaque à un tout autre sujet puisqu’il s’agit d’un personnage réel, le créateur du FBI J. Edgar Hoover interprété par Léonardo DiCaprio. Et plutôt que de traiter ce personnage par le biais du mythe que son incroyable parcours a suscité, il préfère se concentrer sur l’homme, ou du moins l’image qu’il entend nous en donner.
De ce point de vue, le film est une réussite. Captivant dans les rapports que J. Edgar entretient avec une mère ultra possessive, dans la naissance du FBI tel que nous le connaissons actuellement, avec notamment l’acte fondateur que fut l’enlèvement et le meurtre du bébé Lindbergh, ou dans ses multiples confrontations avec huit présidents qui essaient de déloger un personnage qu’ils soupçonnent à juste titre de posséder sur eux un ascendant de plus en plus fort, le film est cependant frustrant quand il s’agit de traiter la face la plus sombre du patron du FBI.
Mais bien que traversant les époques et évoquant les pages les plus importantes de l’histoire récente des Etats Unis (l’assassinat de JFK par exemple), le film ne fait qu’efflorer la vraie nature de Hoover. Si son aversion des communistes et des radicaux de gauche qui a était l’un des moteurs de son existence est parfaitement mise en évidence, sa chasse ambigüe des homosexuels, ses liens plus ou moins avérés avec les assassinats de Martin Luther King, voire même de JFK et de son frère Robert Kennedy, sont en grande partie occultés.
Clint Eastwood décrit un personnage complexe, déchiré par ses contradictions (son amour pour son associé et sa nature homosexuelle qui s’opposent à la rigidité d’une mère qu’il vénère), manipulateur et avide de pouvoir. Mais il passe à coté de la Grande Histoire, de ses liens complexes avec les pages les plus sombres de l’histoire des Etats Unis. Décrit comme un homme rigide et puritain, Hoover ne reculait devant aucun moyen pour parvenir à ses fins, y compris le meurtre, commandité à distance bien entendu. Le réalisateur a préféré se concentrer sur un autre aspect du personnage, et l’histoire qu’il raconte est en tout point passionnante et maitrisée. Il est juste dommage que devant une telle icône, il préfère la lumière à l’ombre contrairement à James Ellroy par exemple qui dépeint dans ses romans un homme bien différent.
Dernier point de dissonance, les maquillages vieillissant les personnages. Si celui de Naomi Watts est réussi, Léonardo DiCaprio apparait tour à tour comme un vieillard et comme un acteur portant un masque de vieillard. Quand à Armie Hammer dans le rôle de Clyde Tolson, il ressemble carrément au grand père momifié de Massacre à la Tronçonneuse.
Le parti pris par Clint Eastwood pour traiter le personnage de Hoover est discutable, mais si l’on accepte cette vision forcement subjective de l’homme, alors J. Edgar reste un film passionnant qui dépeint une page important de l’histoire de l’Amérique.
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