dimanche 21 décembre 2008

Two lovers

Alors qu’il livrait l’année dernière une splendide chronique familiale sur fond de film noir avec La nuit nous appartient, James Gray réitère l’exploit avec Two lovers qui est certainement l’un des plus beaux films traitant de l’amour de ces dernières années.
Le film s’ouvre sur la tentative de suicide de Leonard Kraditor, un jeune homme un peu perdu interprété par Joaquin Phoenix. Leonard vit chez ses parents et travaille dans le pressing familial. Il rencontre tour à tour deux femmes. Sandra la brune, la fille de l’associé de son père est amoureuse de lui. Michelle la blonde, sa voisine de palier dont il tombe éperdument amoureux. S’ensuit alors une succession d’évènements qui font une relation amoureuse.
Si les personnages féminins, la brune introvertie qui incarne la sécurité et la blonde plus libérée, en apparence, qui représente l’aventure, peuvent faire penser à Vicky Crisitna Barcelona, la comparaison s’arrête là. Car là où Woody Allen nous montrait sous l’angle de la comédie la légèreté des rapports qui s’établissent entre des personnes qui cherchent à se séduire, James Gray nous propose une vision à la fois cérébrale et terriblement viscérale de ces mêmes rapports.
James Gray filme ses acteurs au plus prés et ne laisse rien échapper de leurs magnifiques interprétations. Vinessa Shaw joue tout en douceur une femme amoureuse qui n’a de cesse de prendre soin de l’homme qu’elle aime. Gwyneth Paltrow incarne une femme perdue qui s’attache à une relation extra conjugale et qui ne voit pas l’amour à sa porte. Quand à Isabella Rossellini, elle est une mère à la fois attentionnée et un peu étouffante qui exprime plus de sentiments par ses silences qu’en paroles. Au milieu de ces femmes, Joaquin Phoenix habite à la perfection un homme emprunté, maladroit, qui par amour fait les mauvais choix, tout aussi aveugle que celle qu’il aime.
La grande réussite du film tient tout autant à ses interprètes, en tout point impeccables, qu’à une réalisation à la fois stylisée et humaine et à une direction d’acteurs remarquable. Le réalisateur prend le temps d’installer ses personnages, de les faire vivre, de nous les faire aimer ou détester dans tout ce qu’ils ont de plus beau ou de plus mesquin, de plus humain en somme. Que ce soit lors d’une scène de boite de nuit où Joaquin Phoenix occupe la piste pour séduire la femme qu’il aime, lors d’un repas douloureux où celui-ci devient le confident et le témoin involontaire du bonheur de cette même femme, chaque scène de Two lovers a des accents de vérité que seuls les grands cinéastes savent nous faire ressentir.
James Gray parle de la relation amoureuse non pas comme d’une histoire d’amour contrariée qui finit bien, mais comme d’un ensemble d’évènements tragiques, heureux ou cruels.
Il en parle comme quelqu’un qui a aimé, que l’on a aimé, sans que cela soit tout le temps réciproque, et c’est cette vérité qui parle à chacun de nous, comme l’écho d’histoires passées ou à venir.

Le bon, la brute et le cinglé

Le bon, la brute et le cinglé est un projet atypique, retransposition du western italien et presque homonyme de Sergio Leone par le coréen Kim Jee-Woon qui a déjà œuvré dans le polar stylé et réussi (A bittersweet life) et le film d’épouvante (Deux sœurs).
L’histoire, transposée dans la Mandchourie des années 30, se cantonne à une course poursuite entre une multitude de protagonistes qui, poussés par des motivations diverses telles que la vengeance, l’appât du gain, ou des raisons politiques, cherchent à mettre la main sur une mystérieuse carte au trésor.
Tous ces personnages, militaires ou bandits, gravitent autour du trio annoncé dans le titre, trois personnages liés entre eux par un passé que l’on ne découvrira qu’à la fin.
Le premier reproche que l’on peut faire au film est sa longueur. L’histoire, ou plutôt le pitch qui sert de prétexte à une succession de moments de bravoure, est tellement peu développée que le réalisateur aurait gagné à raccourcir son film d’une bonne demi-heure, à défaut de s’appuyer sur un vrai scénario.
Car si les personnages de la brute et surtout du cinglé interprétés respectivement par Byung-hun Lee et Song Kang-Ho sont bien écrits, habités par les acteurs qui les incarnent et donc intéressants, celui du bon joué par Jung Woo-Sung est d’une incroyable fadeur, terne et sans profondeur. Quand on sait qu’il fait écho au rôle de Clint Eastwood dans Le bon, la brute et le truand, il y a de quoi se sentir frustré.
Kim Jee Woon s’essaie donc au mélange des genres, non seulement en s’attaquant à un représentant mythique du western spaghetti, mais en passant régulièrement de la pure comédie aux gunfights acrobatiques, sans oublier d’impressionnantes scènes de cascades et de poursuites. Il en ressort un film visuellement réussi mais sans réel scénario, une succession de scènes d’anthologie au service d’une intrigue presque inexistante, deux personnages complexes et charismatiques qui mettent d’autant plus en évidence le vide du troisième.
Un mélange des genres qui laisse au final l’impression d’un film inachevé. Un beau spectacle un peu long, pas désagréable mais un peu vain.

mardi 16 décembre 2008

Burn after reading

Les frères Cohen reviennent avec ce qu’ils savent faire de mieux, les portraits croisés d’une bande d’idiots mêlant comédie et brusques montées de violence.
Burn after reading est un film d’espionnage (presque) sans espion. Mis à part Osbourne Cox, un membre de la CIA mis au placard qui décide d’écrire ses mémoires, tous les personnages du film sont sans rapport avec le monde de l’espionnage. Et pourtant le film nous emmène dans les méandres de ce monde secret, du siège de la CIA aux sous sols de l’ambassade de Russie, de filatures en assassinats en passant par le chantage et l’extorsion.
Et c’est la grande force de ce film construit autour des faux semblants que de nous entrainer dans la même confusion que celle qui règne entre les différents protagonistes de l’histoire. Harry Pfarrer, un flic coureur de jupon se croit suivi en permanence et devient complètement parano alors que c’est sa femme qui entame une procédure de divorce qui le surveille. Les dirigeants des services secrets américains voient des complots là où il n’y a que magouilles opportunistes de bas étage.
Fidel à leur style reconnaissable entre tous, Joël et Ethan Cohen surprennent le spectateur en parsemant ce qui est avant tout une comédie loufoque d’actes de violence aussi soudains que brutaux (John Malkovich et sa hachette) ou de scènes complètement décalées (Georges Clooney et sa machine…).
Bien que le film soit totalement maitrisé et réalisé de main de maitre, Burn after reading est avant tout un film d’acteurs, un festival de personnages tous plus barrés les uns que les autres interprétés par les comédiens les plus doués du moment.
Georges Clooney et Brad Pitt campent, chacun dans des registres différents, des imbéciles avec une évidente délectation et le talent qu’on leur connait. Frances McDormand retrouve un rôle pas très éloigné de l’ingénue de Fargo, John Malkovich est plus énervé que jamais, Tilda Swinton enfin campe admirablement une bourgeoise rigide et arriviste.
Tout se petit monde se croise, s’entretue, se trompe, se ment pour notre plus grand plaisir.
Burn after reading n’est certes pas le plus grand film des frères Cohen ni une date majeur dans l’histoire du cinéma, c’est simplement un film réussi servi par des interprètes extraordinaires, des personnages haut en couleurs sur lesquels les réalisateurs portent un regard aussi distancié (voir le générique de début et de fin) que respectueux. Et c’est déjà beaucoup.

dimanche 7 décembre 2008

Hunger

Caméra d’or au dernier festival de Cannes, Hunger débarque sur nos écrans précédé d’une réputation élogieuse.
Ce premier film de l’anglais Steve McQueen raconte le calvaire de Bobby Sands et de ses compagnons irlandais emprisonnés en Irlande du Nord en 1981. Alors que le gouvernement anglais de Margaret Thatcher leur refuse le statu de prisonnier politique, ils entament une grève de la faim qui se soldera par dix morts, dont celle de l’homme qui fut l’initiateur de ce mouvement protestataire.
Nous entrons dans la prison, et dans le film, en suivant le quotidien d’un gardien de prison, qui passe ensuite le relais au prisonnier Davey Gillen qui partage sa cellule avec Gerry Campbell, lui aussi détenu politique. C’est par leur intermédiaire que nous rencontrons enfin Bobby Sands pour ne plus le lâcher jusqu’à la fin, sa fin.
Pour illustrer son propos, le réalisateur ne recule devant rien et utilise même l’horreur de chaque situation pour mieux faire passer ce qu’il a à dire. Pour témoigner de leur colère, les prisonniers irlandais entament une grève de l’hygiène et tapissent d’excréments les murs de leurs cellules. Cette situation extrême, tout comme les humiliations, la répression excessive des matons anglais, ou les exécutions sommaires commises par les milices de l’IRA, servent de matériau à Steve McQueen pour construire un film choc et entrainer le spectateur dans une expérience physique parfois difficile.
Le film est construit à partir de longs plans fixes (le nettoyage du couloir), comporte dans sa première partie très peu de dialogues, et restitue de manière presque palpable la saleté dans laquelle vivait ces hommes. Cette impression est exacerbée lors du calvaire de Bobby Sands durant lequel rien ne nous est épargné. On partage avec lui ses draps tachés de sang et de vomissures, ses escarres, sa lente agonie due à 66 jours de privation.
Si Hunger est un film fort et implacable, un film dont on ne ressort pas indemne, on peut toutefois regretter le choix scénaristique du réalisateur qui divise son film en deux parties, séparées l’une de l’autre par le dialogue entre le prisonnier et le prêtre.
Hunger commence par être un film politique ancré dans une réalité forte (le conflit irlandais au début des années 80), mettant en scène des militants de l’IRA prisonniers des anglais. Le film s’attarde sur leurs revendications, le bras de fer qu’ils entament avec le gouvernement anglais et leurs conditions de détention injustifiables.
Survient alors un incroyable plan séquence de presque 20 minutes, une discussion admirablement bien construite entre Bobby Sands et le père Dominic Moran qui tente de le dissuader d’utiliser son corps comme une arme au service de ses idéaux. Le propos verse alors dans la théologie, avant que le film ne bascule dans l’idéologie lorsque le réalisateur s’attarde (trop ?) sur l’agonie presque christique du prisonnier. La grève de la faim est presque déconnectée du contexte politique du film et pourrait servir n’importe quelle cause. Le sujet semble se suffire à lui-même et tellement captiver le réalisateur que celui-ci filme des scènes à la limite de la complaisance. Ce ne sont que les indications du générique de fin qui viennent nous ramener au sujet premier du film.
On pourra trouver Hunger difficile à appréhender dans son approche formelle, trop extrême dans la représentation de la déchéance des corps, il n’en demeure pas moins un film éprouvant, que l’on ressent physiquement et dont on ne sort pas indifférent.

mardi 2 décembre 2008

Mesrine, l’ennemi public numéro 1

Deuxième partie du dyptique de Jean François Richet consacré à Jacques Mesrine, L’Ennemi public numéro 1 pouvait laisser craindre une dérive du réalisateur vers une certaine fascination pour son personnage et l’iconisation de celui qui fut une figure mythique du grand banditisme français. L’affiche du film, largement inspirée de celle de La passion du Christ de Mel Gibson, abondait dans ce sens.
Curieusement, cette suite se différencie radicalement du premier épisode aussi bien par le fond que par la forme, pour le meilleur comme pour le pire.
Si la réalisation est toujours maitrisée et la direction d’acteur inattaquable, on peut toutefois déplorer un certain manque de dynamisme et de panache dans les scènes d’action. Alors que l’Instinct de mort nous proposait des séquences de fusillades jusqu’alors rarement vu dans le cinéma français, en terme de maitrise et de construction, L’Ennemi public numéro 1 fait presque preuve de paresse et tombe dans les travers d’une production calibrée pour la télévision. La scène finale qui voit la dernière sortie de Mesrine espionné par les policiers est interminable, d’autant plus qu’elle nous a déjà été présentée.
A l’inverse, cette suite se démarque du premier opus par son discours. Largement inspiré par les divers écrits et déclarations de Mesrine lui-même, dont l’enregistrement posthume que l’on retrouve aussi en partie dans la chanson de Trust, l’Instinct de mort, le scénario se montre beaucoup plus fin et intéressant que précédemment.
L’Ennemi public numéro 1 suit l’évolution d’un homme qui a décidé de vivre non pas en marge de la société mais d’en profiter au maximum selon ses propres règles. On découvre un personnage mégalomane, manipulateur, intelligent, qui ose tout pour parvenir à ses fins. Confronté à l’image que lui renvoient ses amis, notamment François Besse et Charlie Bauer interprétés respectivement et remarquablement par Mathieu Amalric et Gérard Lanvin, Mesrine se retrouve face à une réalité qu’il n’accepte pas. Il se voudrait rebelle, anti social alors qu’il ne fait que voler de l’argent pour mieux consommer et participer à cette société qu’il décrie.
Son combat contre les Quartiers de Haute Sécurité l’entraine dans une spirale de plus en plus folle et cache mal un désir de reconnaissance ainsi qu’une pulsion autodestructrice. Son amour pour Sylvia Jeanjacquot ne pourra le sauver de lui-même et c’est dans un acte presque suicidaire qu’il tombera porte de Clignancourt.
Les dialogues sont remarquables mais il est vrai que le personnage n’était pas avare en déclarations percutantes et en bons mots.
Il serait intéressant de revoir les deux films bout à bout, chacun ayant une personnalité marquée, brillant tantôt par la mise en scène et tantôt par le scénario, avec toujours une galerie de personnages brillamment interprétés.
Mesrine reste un personnage marquant plus de trente ans après sa mort, et si les films ne prétendent pas lever le voile sur tous les mystères que revêt encore le destin hors du commun de cet homme, ils ont au moins le mérite de montrer que l’on peut réaliser en France une œuvre ancrée dans une certaine réalité, un contexte politique et social marqué sans pour autant en sacrifier le coté spectaculaire.