Pour son troisième long métrage, Jordan Peele met les petits plats dans les grands et s’offre un spectacle à l’ambition revendiquée sans perdre de vu ce qui fait son succès depuis Get Out et Us, un sous texte résolument politique et une accumulation d’indices suffisamment opaque pour faire tourner en bourrique le moindre critique en herbe.
Sous couvert d’un film de monstre et d’invasion extraterrestre, le réalisateur vise ici la société du spectacle sous toute ses formes, du journaliste à sensation au directeur de la photo intransigeant en passant par l’organisateur de spectacle forain et du quidam à la recherche de la gloire. De la sitcom qui tourne au drame hors caméra à la recherche du cliché à sensation à exhiber dans les talk-shows devant des millions de téléspectateurs, l’image capturée par des caméras numériques, argentiques ou un simple appareil photo sur un champ de foire est l’objet de toute les convoitises, quitte à la payer au prix fort.
C’est d’ailleurs par le regard que survient la menace, celui du chimpanzé fou lors de la traumatisante scène d’ouverture, le reflet dans l’œil du cheval lorsqu’il rue sur le plateau de cinéma et bien entendu le regard qui condamne quiconque fixera l’alien à l’image d’une monstrueuse gorgone descendue du ciel. A cheval (c’est le cas de le dire) entre le bon sens terrien incarné par le personnage d’OJ, l’exubérance parfois puéril de sa sœur Emerald et la perversion du spectacle incarnée à la fois par Jupe, ancien enfant star traumatisé converti en forain inconscient et Holst, directeur de la photographie prêt à sacrifier sa vie pour quelques secondes de film, Jordan Peele joue sur de multiples registres et paye largement son tribu à Steven Spielberg en convoquant la menace diffuse mais omniprésente des Dents de la mer et les aliens belliqueux de la Guerre des mondes.
Particulièrement soigné dans sa mise en scène, suffisamment malin pour susciter de multiples interprétations (les discussions autour de la chaussure verticale ne sont pas près de tarir), traversé de purs moments de terreur brute (le singe Gordy, les victimes digérées par l’extraterrestre) mais résolument trop long et bavard (le film aurait gagné à être amputé d’une bonne demi-heure), Nope confirme une fois encore que l’on peut allier grand spectacle et réflexion, que l’on peut se montrer exigeant envers les spectateurs tout en ralliant le public dans les salles. Scénariste malin et réalisateur confirmé, Jordan Peele n’a à priori pas fini de nous surprendre.
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