Quelques jours à peine après la sortie de l’Aube de la justice, on a tout écrit ou presque sur le nouveau film de Zack Snyder. Réponse évidente de DC Comics à l’écurie Marvel, longue bande annonce de la franchise Justice League annoncée l’année prochaine, mise au pilori d’un Ben Affleck déjà crucifié dès l’annonce de son rôle dans le costume du justicier de Gotham, etc, etc. S’il reste évident que Zack Snyder demeure un formaliste hors pair, il serait pour le moins hasardeux de le cantonner à un exercice de style certes réussi visuellement mais un peu vain parce que des super héros drapés dans leurs capes qui se cognent dessus ce n’est finalement pas très profond.
En mettant en scène deux icones du panthéon super héroïque, le réalisateur prend à contrepied la vision résolument décomplexée d’un Joss Whedon qui fait de ses Avengers des figures pop avant d’être tragiques. Car c’est bien de tragédie qu’il s’agit ici.
Plus semblables qu’il n’y parait (orphelins, leur mère porte le même prénom et aussi bien Superman que Batman sont présentés en marge d’une société qu’ils s’échinent à préserver des forces du mal), les deux justiciers n’en sont pas moins aussi proches des criminels qu’ils combattent que des institutions qu’ils défendent. En effet, Superman nous est d’entrée présenté comme un tueur de masse qui sacrifie des milliers de civils, dommages collatéraux de ses affrontements avec le Général Zod. C’est d’ailleurs l’occasion pour le réalisateur de nous plonger dans l’envers du décor, ce qu’il se passe réellement lorsque des surhommes prennent une ville comme champ de bataille. Héros doublement orphelin (de ses parents biologiques et de son père d’adoption), étranger apatride et pourtant image même de la figure héroïque toute puissante, Superman prend toute sa dimension face à un Batman plus névrosé que jamais. Car si le kryptonien sacrifie sans le vouloir des populations entières, le chevalier noir lui agit comme un vigilante qui s’assume pleinement. Si les morts ne sont pas explicitement montrés, Batman mutile ses victimes en les marquants au fer rouge ou en brisant allégrement bras et jambes, s’érigeant en juge et bourreau sans le moindre état d’âme.
Au milieu de ces deux figures ambigües, le film regorge de personnages aussi bien interprétés qu’écrits, que ce soit une Holly Hunter toujours parfaite dans le rôle de la sénatrice Finch ou une Amy Adams touchante en Loïs Lane qui ne se cantonne pas à jouer la demoiselle en détresse.
Débarrassé de la lourdeur de la figure christique du Superman de Man of Steel et s’appropriant avec bonheur l’ambiguïté d’un Batman totalement incarné, n’en plaise aux pisses froids, par un Ben Affleck parfait dans son double rôle de Bruce Wayne / Batman, le réalisateur réussit à s’inscrire dans un film très codifié sans jamais renier son style. Car aucun doute ne subsiste dès les premières images du film, nous sommes bien devant un film de Zack Snyder. Comment ne pas penser aux Watchmens lors des dix premières minutes du film, ou à Sucker Punch lorsque le score guerrier de Hans Zimmer fait place à une musique plus rock et qu’apparait pour la première fois une Wonder Woman plus iconique que jamais ?
Puissant, habité et passionnant dans sa première partie, le film bascule malheureusement dans l’affrontement bourrin et chorale lors d’un final convenu contre un Doomsday surgit de sa boite à la dernière minute. Si le film souffre d’un méchant d’envergure (Jesse Eisenberg peine à convaincre dans le rôle d’un Lex Luthor en devenir), on regrettera aussi et surtout l’absence totale au générique du nom de Franck Miller tant l’ombre de son Dark Knight plane sur tout le film. Dans l’affrontement entre les deux justiciers bien entendu, mais aussi au travers de l’armure de Batman, de son armement à base de kryptonite et de la vision onirique d’un chevalier noir poussiéreux dans un monde post apocalyptique qui semble tout droit sorti des pages des comics de Miller.
Généreux et sincère dans son projet de représentation des figures super héroïques dans tout ce qu’elles comportent de plus ambigüe, Zack Snyder signe donc un film certes déséquilibré par son final mais plus intéressant que bien des adaptations sorties ces dernières années.