jeudi 6 mars 2014

Alabama Monroe

On ne peut pas reprocher à Felix Van Groeningen de nous prendre par surprise. Avec sa structure chronologique éclatée, le réalisateur nous plonge dès le départ dans le cœur du drame qui se joue devant nous. Pas de faux suspens, on sait dès le début ce qui va se passer. Car Alabama Monroe déroule une histoire sinon banale du moins tristement classique. La rencontre d’un couple, l’arrivée d’un enfant, l’irruption de la mort, l’impossibilité d’un deuil trop lourd à porter et l’autodestruction de deux êtres meurtris. L’intérêt du film est ailleurs, et plus particulièrement dans ses personnages. 
En 2009, Felix Van Groeningen livrait déjà avec La merditure des choses la chronique à la fois tendre et amer d’une famille de marginaux hauts en couleur. En passant de la chronique sociale au drame familiale, il garde ce goût prononcé pour les personnages décalés, que ce soit physiquement (la chevelure hirsute de Didier, les tatouages d’Elise) ou psychologiquement (le côté punk de Didier, la fragilité d’Elise). En déconstruisant son film d’un point de vue narratif, en nous dévoilant dès le début les drames à venir, le réalisateur nous force à nous détacher de l’histoire pour nous concentrer sur cette famille en train d’imploser. 
S’il ne nous épargne rien du calvaire tant physique que morale des personnages, Felix Van Groeningen met tout son talent pour filmer avec délicatesse des moments de grâce qui donnent au film toute sa force. Comme le groupe de musicien qui interprète de façon prémonitoire Le lion est mort ce soir pour le retour de Maybelle à la maison, le dernier concert de Didier et Elise où, incapable de se parler, ils communiquent par la musique et au travers de gestes aussi insignifiant qu’une main posée sur un ventre ou un regard qui cherche l’autre sans jamais le trouver. Comme ces tatouages qui racontent la vie d’Elise sur son corps, remplaçant les discours revendicatifs de Didier, en colère contre la société, la religion et cette Amérique qu’il admire tant. Comme la mort d’un enfant et le deuil impossible, le vide d’Elise et la rage de Didier, les consumant chacun à leur tour. Comme cet oiseau mort qui se change en étoile ou cet ultime récital autour d’un lit de mort qui vient clore le film.
Merveilleusement interprété par Johan Heldenbergh (déjà présent dans La merditude des choses) et la belle Veerle Baetens, Alabama Monroe nous prend aux tripes et au cœur pour ne plus nous lâcher jusqu’au générique de fin, accompagné par cette belle musique à la fois entrainante et d’une tristesse sans nom, comme ce film rare et précieux. On en ressort avec le besoin pressant d’aller embrasser nos enfants, notre femme ou notre mari, en leur disant combien on les aime, avant qu’il ne soit trop tard.

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