Drôle de projet que ce Snowpiercer, adaptation d’une bande dessinée française par un réalisateur sud coréen avec une distribution internationale. Pourtant, le choix Bong Joon Ho est parfaitement cohérent avec le matériau d’origine. Le réalisateur a prouvé, avec Host entre autre, qu’il savait marier divertissement pur et chronique sociale, qu’il maitrisait parfaitement la construction des scènes de catastrophe, et qu’il portait un intérêt tout particulier à ses personnages. Snowpiercer, le Transperceneige en français, met donc en scène une planète Terre dévastée par une nouvelle ère glaciaire. Les quelques survivants ont embarqué à bord d’un train ultra moderne qui roule sans jamais s’arrêter, faute de quoi ses passagers seraient voués à une mort certaine. A l’intérieur de cette arche de Noé moderne, la hiérarchie sociale est très stricte. Ceux qui ont embarqués avec un billet de première ou deuxième classe vivent à l’avant du train dans le luxe et l’oisiveté. Les autres sont cantonnés dans les wagons de queue et survivent sous le joug et selon le bon vouloir des classes supérieures. Mais la révolte gronde, et bientôt un groupe de rebelles se met en tête de remonter les wagons un à un jusqu’à la machine de tête où se terre Wilford, le concepteur du train.
Le réalisateur aurait pu choisir une voie mystique pour raconter son histoire, multipliant les allégories religieuses tant le sujet s’y prêtait. Au contraire, il prend le parti d’ancrer son récit dans des considérations très terre à terre. Contrairement aux écrits bibliques, ce n’est pas pour fuir la colère divine que les survivants de l’apocalypse se sont réfugiés dans le train, mais pour échapper aux conséquences désastreuses des expériences ratées de quelques scientifiques qui pensaient pouvoir arrêter le réchauffement climatique, lui-même causé par l’activité humaine. Et à la différence de l’Arche de Noé, ce ne sont pas (seulement) des élus qui montent à bord du train, mais ceux qui ont réussi à survivre. Le thème de la sélection, naturelle ou artificielle, sera d’ailleurs au cœur des révélations du film. Enfin, le mystérieux personnage de Wilford, considéré comme un dieu vivant par nombre de ses passagers, est vite démystifié et se révèle au final un redoutable manipulateur plutôt qu’un guide spirituel.
Mais s’il préfère à juste titre s’intéresser aux ressorts sociologiques plutôt que mystiques de son histoire (la métaphore des pauvres remontant les wagons du train comme ils graviraient de force les échelons pour accéder à un statut social supérieure est d’ailleurs évidente), Bong Joon Ho n’en oublie pas pour autant de dérouler un film captivant et surprenant à plus d’un titre.
Convoquant un casting hétérogène, il s’entoure d’interprètes à l’unisson, tous parfaits dans leurs rôles. Si les personnages campés par Ed Harris, John Hurt et Song Kand-Ho collent parfaitement aux acteurs, nous retrouvons avec plaisir Chris Evans, Tilda Swinton ou Jamie Bell dans des compositions où on ne les attendait pas forcement.
Maitrisant comme à son habitude sa réalisation de bout en bout, Bong Joon Ho nous offre une succession de scènes aussi surprenantes que réjouissantes au fur et à mesure que nous remontons le train en compagnie des rebelles. Citons parmi elles la séquence tout simplement incroyable du cours d’école suivie de la scène des œufs, ou encore la confrontation des héros avec des dizaines de tueurs cagoulés armés de haches. Jouant avec les ruptures de rythmes, alternant accès de violence et séquence humoristique, le réalisateur réussit le pari de nous prendre à chaque fois à contrepied sans nous perdre une seule seconde.
Si la scène finale du film apporte un peu de lumière, le propos reste d’un cynisme et d’une noirceur que l’on avait perdu l’habitude de voir dans un film d’anticipation ces dix dernières années. Snowpiercer renoue donc avec la grande tradition des films qui allient grand spectacle et propos politiques (au sens premier du terme), qui offre au spectateur un divertissement de haute volée sans forcément le caresser dans le sens du poil. Cela devient rare et ça n’en est que meilleur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire