jeudi 24 janvier 2013

Zero Dark Thirty


Après Démineurs, Kathryn Bigelow embarque à nouveau le spectateur avec l’armée américaine et s’attaque cette fois ci à un gros morceau. Rien de moins que la traque de Ben Laden après les attentats du 11 septembre, une traque orchestrée par la CIA qui durera dix ans et se conclura par l’assaut de la maison où il se réfugiait et son exécution. On se doute qu’un tel film n’a pas dû être facile à produire et que la réalisatrice était sous surveillance constante. Le sujet est sensible et la plupart des évènements relatés sont encore sous le sceau du secret défense. En prenant en compte ces paramètres, on ne peut que saluer le travail de la réalisatrice. Le film commence par un écran noir et une bande son relatant les derniers moments des personnes prisonnières des tours en feu. Le deuxième plan enchaine directement sur l’interrogatoire d’un suspect deux ans après les faits. Il serait plus juste de parler de torture. Car sur les sites noirs de la CIA, les agents du gouvernement ne reculent devant rien pour obtenir des aveux pouvant les conduire à l’homme le plus recherché de la planète.
Le ton est donné, la quête de Ben Laden s’apparente plus à une vengeance qu’à un désir de justice. Il faut des résultats, c'est-à-dire des cibles à abattre, pour justifier les sommes énormes consacrées à cette recherche. Et pour cela, tous les moyens sont bons, la torture et l’humiliation sont monnaies courantes.
Loin de justifier ce procédé comme on a pu lui reprocher, Kathryn Bigelow montre sans détour les souffrances des prisonniers et le désarroi des agents américains. Elle illustre à merveille le climat de peur et de paranoïa qui régnait alors au Pakistan, le danger omniprésent représenté par des hommes et des femmes prêts à mourir pour leur cause et déterminés à emmener avec eux le maximum d’américains.
Alors certes, l’histoire est parfois difficile à suivre tant les pistes explorées et les interactions entre les différents protagonistes sont compliquées. Le film fait l’impasse sur l’avant septembre et la mécanique ayant conduit à ces tragiques évènements, notamment le rôle joué par les Etats Unis dans la création d’un personnage comme Ben Laden. Mais le fait de condenser en deux heures trente dix ans de recherche était déjà une gageure en soi, les évènements ayant conduits aux attentats mériteraient à eux seuls un film qui reste à faire.
De plus, Kathryn Bigelow a l’honnêteté de ne pas stigmatiser les arabes dans leur ensemble et de ne pas nous servir des images d’Epinal, piège dans lequel il aurait été facile de tomber. En effet, le seul homme que l’on voit sur son tapis de prière fait partie de la CIA. La dernière séquence de recherche et destruction, que l’on imagine assez fidèle à ce qui a pu se passer, est d’une terrible efficacité. La réalisatrice nous embarque avec les troupes d’assaut à l’intérieur même de la dernière demeure fortifiée des terroristes avec une maitrise qui n’est plus a démontrer depuis son précédent film.
Zero Dark Thirty est surement un film partisan qui ne reflète pas l’entière vérité de ce qui s’est passé. C’est le point de vue d’une américaine qui essaie d’être aussi impartiale que possible sur l’un des sujets les plus difficiles de notre histoire récente. L’entreprise était risquée, le résultat est honnête.

samedi 5 janvier 2013

Maniac


Les spectateurs français ont découvert le film de William Lusting par le biais des VHS René Château en même temps que Zombie et Massacre à la tronçonneuse, deux autres monuments de l’horreur des années quatre vingt qui ont eut droit à leur remake d’ailleurs très réussis. Jusqu’à présent, personne ne s’était attaqué à ce film moins connu du grand public. Jusqu’à ce qu’Alexandre Aja et Grégory Levasseur, dont les remakes semblent devenir la marque de fabrique, ne décident d’en écrire et produire une nouvelle version. La tâche était ambitieuse tant le film original reste un sommet du film d’horreur urbain et malsain. Cette réputation pleinement justifiée est due en grande partie à la présence de Joe Spinell dont le physique si particulier confère à son personnage une dimension unique, parfaire incarnation d’un psychopathe dérangeant, à mille lieues des habituels croquemitaines qui hantent les films de genre. Pour cette nouvelle version, les scénaristes choisissent de se démarquer du modèle original en optant pour une vue subjective sensée immerger le spectateur dans la peau et l’esprit de Franck Zitto, incarné de manière assez inattendue par Elijah Wood que l’on n’attendait pas dans ce type de personnage.
Difficile toutefois de faire table rase du passé tant la puissance du Maniac de 1980 est grande. Dès le générique d’ouverture, le ton est donné. Une musique électronique assourdissante, des rues sombres et mal famées, un titre qui remplit l’écran en lettres rouges, on se croirait de retour trente ans en arrière. Et tout au long du film, les auteurs n’auront de cesse de se raccrocher à leur modèle, comme dans la scène du parking où le reflet de Franck, couteau et scalp à la main, renvoie directement à l’affiche originale. Ou à travers le mannequin coiffé des cheveux d’Anna, réplique exacte de celui que l’on peut voir dans le film de William Lusting.
Mais au-delà de ces clins d’œil référentiels, il faut admettre que le film possède sa propre personnalité. Si le point de vue subjectif ne permet pas à Elijah Wood de développer une interprétation qui reste assez minimaliste, le personnage d’Anna, les flashes back mettant en scène sa mère interprétée par America Olivo et leur connotation sexuelle beaucoup plus marquée que dans l’original sont des points de vue intéressants qui enrichissent la personnalité complexe du tueur. Les relations entre Franck et Anna sont d’ailleurs beaucoup plus fouillées et construites que celles qui passaient par le personnage interprété à l’époque par Caroline Munro.
Malheureusement Elijah Wood n’est pas Joe Spinell. Alors que son personnage se fond dans la foule et participe même au vernissage d’une exposition, on imagine mal le Franck Zitto original, poisseux et imposant, dans la même situation. Au-delà de quelques détails techniques (une petite incision et le cuir chevelu se détache presque tout seul), et malgré des effets gores du plus bel effet, le film de Franck Khalfoun ne distille pas cette atmosphère suffocante et anxiogène que seul Henry, portait of a serial killer a su retrouver depuis le classique de William Lusting.
Presque dénué d’humour, si ce n’est le meurtre de Martin particulièrement jouissif, et de ce second degré, voir de cynisme, qui désamorce les effets de la plupart des films d’horreur actuels, Maniac reste un film efficace, dont la nécessité ne se faisait peut être pas ressentir mais qui a su avec intelligence trouver sa voie tout en respectant à peu prés son modèle.
Il est dommage que le réalisateur ait choisit de conclure son histoire sur un plan bêtement explicatif. L’avant dernière scène onirique qui voit Franck se transformer en mannequin aurait été nettement plus adaptée à l’esprit du film.

mardi 1 janvier 2013

Touristes


Après le formidable Kill List, Ben Wheatley revient avec une comédie grinçante dans laquelle il s’intéresse à un couple d’anglais très moyens, populaires dans le sens le plus péjoratif du terme. Tina, et Chris sont en effet des personnages à la limite de la caricature, adeptes des voyages en caravane, des musés de toutes sortes et accessoirement des meurtres en série. Car s’ils cumulent pas mal de travers, ils ne supportent pas ceux des autres. Un papier jeté par terre, un enterrement de vie de jeunes filles trop bruyant, des voisins de camping un peu hautains, il n’en faut pas plus pour déclencher des exécutions expéditives et débarrasser le monde de ceux qu’ils considèrent comme nuisibles. Touristes est donc une comédie noire mais ne se limite pas à cela. En faisant le portrait de ces classes moyennes que l’on peut vite classer dans la catégorie des beaufs, le réalisateur jette un regard cynique sur notre société, notre capacité à supporter les autres et à communiquer nos sentiments. Car ces meurtres ne sont rien d’autres que l’expression d’une frustration sociale ou affective et remplacent le langage qui est paradoxalement plus difficile à manier.
La scène où Tina commence une lettre à son amant à l’aide d’un crayon géant acheté dans un musé est à ce sens représentative de l’esprit du film. Le crayon disproportionné symbolise son incapacité à exprimer ses sentiments par écrit, et il lui sera beaucoup plus facile d’envoyer une jeune fille trop entreprenante se fracasser la tête contre les rochers.
On peut reprocher au réalisateur un manque d’empathie vis-à-vis de ses personnages dont les actes ne sont jamais clairement expliqués. C’était déjà le cas pour son précédent long métrage mais cette distanciation conférait à Kill List une atmosphère glaciale, presque clinique qui servait merveilleusement bien son sujet. Ici, on aurait préféré plus de proximité avec ce couple hors norme pour partager avec eux cette folie meurtrière au final assez jouissive.
Si certaine scènes de Touristes renvoient directement à Kill List, comme ce rituel païen en plein camping, et malgré un final d’un cynisme absolu, le film n’arrive pas à se hisser au niveau de ce dernier. Ce n’était pas le projet du réalisateur de refaire le même film et on ne peut qu’attendre avec impatience son prochain projet qui s’annonce comme beaucoup plus ambitieux.