vendredi 31 août 2012

Kill List

Le film s’ouvre sur une violente dispute opposant Jay, un ancien soldat traumatisé par ses années de guerre, et sa femme Shen. Une dispute à propos de leurs problèmes d’argent, problèmes qui pourraient être résolus par un travail que lui propose Gal, son meilleur ami lui aussi ancien soldat. La situation commence à déraper quand on se rend compte que ce travail consiste en une série d’assassinats et que la femme de Jay, non contente d’être au courant de la situation, le pousse même dans cette voie. En acceptant cette mission, Jay commence une lente descente aux enfers dont il ne ressortira pas indemne. Kill List ressemble à un voyage aux confins de l’horreur, l’une de ces expériences où le voyage a plus d’importance que la destination en elle-même. Car à la fin du film, on ne sait plus vraiment où l’on en est, on n’est plus sur de la réalité des évènements qui se sont déroulés sous nos yeux. En cela, Kill List est une expérience unique, l’un de ces films coup de poing que l’on reçoit en pleine face et dont on a du mal à se remettre.
Comme Take Shleter, Guilty of romance ou Bullhead cette année, Kill List fait d’abord appelle à nos sens avant notre intellect, et ce n’est qu’à la sortie du film que l’on se met à réfléchir à ce que l’on vient de voir. Alternant choc visuel (le meurtre au marteau) ou laissant à notre imagination le soin de mettre des images sur l’innommable (les cassettes vidéos conservées par l’Archiviste), le réalisateur Ben Wheatley mêle les genres et s’amuse à brouiller les pistes, perdant le spectateur pour mieux le retrouver là où on ne l’attendait plus. Le film commence comme un drame social avant de bifurquer vers le polar puis de sombrer dans le fantastique et l’épouvante. Confronté à une secte païenne qui pratique des sacrifices humains, Jay, et nous avec, s’enfonce peu à peu dans un monde parallèle où tout peut arriver, et particulièrement le pire.
Le film regorge de pistes offertes au spectateur comme autant d’interprétations possibles d’une histoire pourtant assez linéaire. Ainsi, la liste des personnes que doivent éliminer les deux tueurs comporte quatre noms. Le Prêtre qui représente la religion, l’Archiviste qui incarne le savoir, le Député symbole de la politique et enfin le Bossu dont le dénouement nous révèlera la vraie et terrible nature, et qui représente finalement la famille. Quatre figures du pouvoir sous ses formes les plus diverses, quatre symboles que Jay doit tuer pour accomplir son destin.
Kill List mêle donc les genres et aligne des scènes d’anthologie, allant de la comédie (la confrontation avec les catholiques au restaurant), à la violence la plus frontale et traumatisante (du bon usage d’un marteau pour faire parler les gens) en passant par l’épouvante (la poursuite dans la forêt puis dans le tunnel par une horde de fanatiques). Ces scènes restent graver dans la mémoire du spectateur longtemps après la projection, mais elles participent surtout à la cohérence de cette terrible descente aux enfers.
On pourrait croire que tout commence lorsque la compagne de Gal marque la maison de Jay par un signe cabalistique. Pourtant, l’une des premières scènes du film qui voit ce dernier jouer au chevalier avec son fils à cheval sur les épaules de sa mère, Gal faisant mine de tuer sa femme avec une épée en plastique, trouve son écho dans la scène finale qui la reproduit presque à l’identique, avec un retentissement autrement plus grave.
Doit-on en conclure que c’est le destin de Gal que d’être l’Elu ? Ou qu’il a était choisi par la secte à cause de ses poussées d’ultra violence ou que finalement tout ceci n’est que le fruit d’un délire paranoïaque ?
Porté par des acteurs absolument impeccables et une réalisation inspirée, Kill List transcende son statu de film et nous convie à un voyage dont on ne revient pas indemne. C’est suffisamment rare pour être souligné.

mercredi 15 août 2012

Rebelle

Première incursion de Pixar dans le film de princesse, Rebelle met en scène une jeune fille écossaise qui justement refuse de devenir une princesse. Mais bien plus qu’un conte, Rebelle est avant tout un film sur l’adolescence comme son titre français l’indique. Le film traite en effet du passage de l’enfance au monde adulte en invoquant les théories freudiennes les plus basiques, habillées des légendes et du fantastique celtiques. Merida est une jeune fille libre et insouciante, choyée par son père et en conflit avec sa mère qui rêve pour elle d’un destin tout tracé passant par le mariage et les responsabilités dues à son rang, comme elle l’a elle-même vécue quand elle avait le même âge. Le début du film voit l’affrontement du père avec un ours monstrueux qui lui dévore une jambe. Fergus, qui est à la fois roi et père, acquiert alors la réputation d’un redoutable tueur d’ours qui n’a de cesse de retrouver Mordu, l’animal qui l’a privé de son intégrité physique. Quand Merida, à la suite d’une violente dispute avec sa mère, rencontre une sorcière qui n’est autre que l’incarnation de son subconscient, elle lui demande, inconsciemment, de la transformer en ours.
La jeune fille en devenir qu’elle est souhaite clairement la mort de sa mère par le bras de son propre père afin de prendre sa place et, inconsciemment toujours, et symboliquement, de coucher avec lui. Alors que sa mère est prisonnière de sa forme d’ours, privée de son humanité, Merida parvient enfin à communiquer avec elle. La reine est en effet à la merci de sa fille qui doit lui apprendre comment se nourrir et la protéger. Les rôles sont inversés, la fille a pris la place de la mère qui se trouve refoulée à sa nature animale.
Rebelle est le premier film Pixar à être coréalisé par une femme, Brenda Chapman. Est-ce un hasard, mais il est notable que tous les personnages d’hommes sont quasiment insignifiants. Les chefs de clans sont des brutes qui ne pensent qu’à boire, manger et à se battre, leurs fils sont des abrutis congénitaux, quand au roi, il est incapable de prendre une décision ou de prononcer un discours sans l’aide de sa femme. L’histoire se concentre en fait autour de deux personnages, Merida et Elinor, la fille et sa mère, la sorcière n’étant que la concrétisation des désirs les plus secrets et inavouables de l’adolescente.
Bien entendu, tout cela se terminera bien, chacun faisant des concessions pour respecter l’autre en tant que personne et non plus comme le symbole de l’autorité ou d’un certain rang social. Comme d’habitude, l’animation est parfaite, la 3D parfaitement dispensable et les personnages bien écrits. Pourtant, les ficelles sont plus grosses que d’habitude. L’esprit frondeur qui faisait tout le piquant des chefs d’œuvre passés, de Monstres et Compagnie aux Indestructibles, la poésie qui imprégnait Wall E sont ici absents. L’influence de Disney semble plus pesante et le coup d’essai des studios Pixar dans le conte de fées n’est pas aussi concluant que l’on pourrait l’espérer. Vivement la suite de Monstres et Compagnie !

jeudi 2 août 2012

Guilty of romance

Premier film de Sono Sion à sortir dans les salles françaises, Guilty of romance brasse tellement de thèmes, aborde de si nombreux genres qu’une seule vision ne suffit pas pour en appréhender toute la complexité et la richesse. Porté par une superbe photo qui semble parfois aller chercher son inspiration chez Dario Argento, le film parle d’abord des femmes, de la société japonaise et des femmes dans la société japonaise. La femme chez Sono Sion est multiple et complexe. La mère, l’épouse, la pute, la femme professionnellement active. Le film débute par une succession de scènes de la vie ordinaire d’Izumi, l’épouse effacée d’un écrivain célèbre. Son existence semble se cantonner à attendre son mari et à prévenir le moindre de ses désirs domestiques. A ce titre, Izumi incarne une certaine idée de la femme au Japon, inféodée à son mari, ou plus généralement à sa famille, et totalement soumise. Jusqu’à ce qu’un concours de circonstance l’amène à rencontrer Mitzuko, une professeur d’université le jour qui vend son corps la nuit. Ivre de liberté et de sensualité retrouvée, mais également rongée par la culpabilité de l’adultère, Izumi se laisse entrainer dans un jeu dangereux qui va la changer à jamais.
La mère est celle de Mitzuko, une vieille femme pleine d’amertume et de haine qui incarne un personnage d’une méchanceté jusque là peu vu à l’écran, notamment au travers d’une scène de thé particulièrement venimeuse. La femme c’est enfin l’inspecteur Kazuko qui enquête sur des meurtres perpétrés dans le quartier des Love Hotels et qui pourraient bien avoir un lien avec les différents protagonistes de l’histoire.
Cette version de Guilty of romance diffusée en Europe est tronquée de plusieurs minutes par rapport à celle distribuée au Japon, et c’est principalement le personnage de l’inspecteur qui en pâtit. L’enquête apparait en effet comme un film conducteur un peu décousu et on reste frustré de ne pas en apprendre davantage sur le personnage de Kazuko. Malgré cela, ou plutôt à cause de ces scènes coupées, le film se concentre davantage sur les personnages de Mitzuko et d’Izumi, deux femmes écrasées par une société encore largement dominée par les hommes et qui, chacune à leur manière, décident de s’en échapper.
Mais si la femme est au cœur du film, Sono Sion embrasse de nombreux autres thèmes, comme par exemple le rapport aux mots, et à la poésie. Les mots ont un rôle central dans le film, que ce soit les litanies répétées par Izumi pour vendre ses saucisses, et plus tard son corps aux passants, les lectures publiques de son mari au travers desquelles Izumi vit par procuration une existence qu’elle rêve mais que son compagnon est incapable de lui offrir. Le sens des mots enfin revêt une importance particulière pour Mitzuko qui initie Izumi à cette notion, notamment par le biais de la poésie et un extrait du texte de Ryuichi Tamura « On My Way Home » qui revient comme un leitmotiv tout au long du film. Guilty of romance est une œuvre protéiforme qui touche à peu prés tous les genres, du film érotique dans la grande tradition des romans pornos japonais au drame et passant par la slasher et l’étude sociétale.
Film envoutant et parfois déconcertant, Guilty of romance est enfin porté par la présence lumineuse de la belle Megumi Kagurazaka, ancienne modèle photo devenue actrice et accessoirement compagne du réalisateur. Qu’elle soit épouse rangée ou prostituée provocante, soumise ou affranchie du poids des conventions sociales qui la broient, elle illumine l’écran par sa présence et sa plastique de rêve.
Guilty of romance est distribué dans une dizaine de salles en France, dans une version raccourcie. Ce n’est pas un film facile d’accès, à tous les sens du terme, mais c’est un voyage unique qui donne furieusement envie de découvrir les autres films de Sono Sion.