mercredi 16 janvier 2008

No country for old men


Pour leur nouveau long métrage, les frères Cohen renouent avec le genre qui avait marqué leur début, le film noir. En adaptant le roman de Cormac Mc Carthy, ils privilégient cependant une fois de plus les personnages à l’histoire. Car tout l’intérêt du film vient de ces personnages hauts en couleurs et souvent légèrement décalés, écrits avec une redoutable précision, ainsi que d’une succession de scènes inoubliables.

Cette galerie de personnages gravite autour de trois axes incarnés par Javier Bardem, Josh Brolin et Tommy Lee Jones, trois points de vue qui nous font aborder l’histoire de trois manières différentes. Le chasseur, la proie, la loi, qui se croisent, se cachent, se courent après, se tuent dans un paysage désertique aussi rude que ses habitants. Les motivations de chaque protagoniste sont aussi différentes que leurs personnalités. L’appât du gain, les principes, le devoir sont autant de raisons, parfois absurdes, de continuer à vivre.

Joel et Ethan Cohen sont donc toujours de remarquables écrivain et metteur en scène, nul doute de ce coté. Ils font partis de ces rares réalisateurs à posséder un univers qui leur est propre, immédiatement reconnaissables par ces saillies d’humour noir, ces personnages qui semblent ne pas savoir ce qu’ils font là, cette propension à enchaîner des scènes cultes. Mais le problème est que les frères promènent le spectateur au sein d’une histoire de plus en plus décousue pour aboutir à un final en demi teinte dont on ne sait trop que penser.

Alors que le film débute de façon assez linéaire, il se perd, et nous perd progressivement, abandonnant au passage certains personnages (que devient le tueur psychopathe incarné par Javier Bardem, pourquoi lui avoir fait subir un accident de voiture ?). L’intrigue se complique au fur et à mesure qu’apparaissent des personnages supplémentaires (le commanditaire de Woody Harrelson, Woody Harrelson lui-même).

En somme, le film semble avoir eu un problème de montage ou de coupes trop hâtives, particulièrement dans sa seconde partie. C’est d’autant plus dommage que ce qui nous est proposé fait montre d’une maîtrise que les frères semblaient avoir un peu perdu depuis Fargo. On ne peut donc qu’imaginer le grand film noir qu’aurait pu être No country for old men, et tenter de se débarrasser de ce sentiment frustrant d’être passé à coté d’un chef d’œuvre qui nous accompagne en sortant de la salle.

It's a free world

L’homme est un loup pour l’homme, c’est cet adage que semble vouloir illustrer Ken Loach dans son nouveau film qui se place cette fois ci du coté des exploitants plutôt que des opprimés.
Au travers des efforts d’Angie, jeune anglaise tour à tour victime, héroïne de son quotidien et chef d’entreprise manipulatrice et sans état d’âme, le réalisateur anglais s’attaque au libéralisme sauvage qui pousse ses contemporains aux pires excès pour se faire une place au soleil. Quitte pour cela à profiter de la misère d’autrui comme d’autres ont profité d’elle. Le travail clandestin en Angleterre et le business lucratif qui en découle offrent à cet éternel révolté le terreau idéal pour dénoncer les travers d’une société qui part à la dérive, emportée par l’attrait du gain ou tout simplement l’espoir d’une vie décente. Car si il se montre sans concession vis-à-vis de ses personnages, la force de Ken Loach est de ne pas les juger ou les caricaturer.
Les motivations de chacun, et celles d’Angie en particulier, ne sont pas condamnables en elles mêmes (offrir un minimum de confort matériel à son fils, exister dans un monde ultra matérialiste et une société de sur consommation). Ce sont les moyens qu’elle emploie pour parvenir à ses fins qui ne souffrent aucune excuse. On est tour à tour émut, compatissant, séduit et finalement dégoûté par cette femme qui ne recule devant rien pour parvenir à ses fins. Dégoûté et inquiet, car Angie nous ressemble dangereusement.
Au-delà d’une réalisation toujours exemplaire, la force du film tient aussi à Kierston Wareing, actrice sensuelle et entière que le réalisateur ne lâche pas d’une semelle et qui incarne à la perfection un personnage ambigu pour qui la fin justifie tous les moyens. Plus que le procès de ses personnages, c’est celui de la société actuelle que nous propose ce réalisateur engagé dont chaque film nous renvoie le douloureux reflet d’un monde bien peu reluisant.

jeudi 3 janvier 2008

La visite de la fanfare

Si ce film israélien d’Eran Kolirin a tous les aspects d’une comédie décalée, c’est pourtant un léger sentiment de tristesse qui s’en dégage après sa vision. En suivant pendant une nuit les mésaventures de cette fanfare de la police égyptienne perdue dans un village reculé israélien, on pense parfois à Caramel et à ses portraits de femmes, à Kusturika et ses tableaux surréalistes. Mais le réalisateur possède pourtant son identité propre et réussit, au travers de personnages touchants et magnifiquement incarnés, à aborder des thèmes graves.

Au cours d’une scène magique dans un dancing où sont assis cote à cote un égyptien charmeur, un israélien timide et maladroit avec les filles, et sa compatriote meurtrie et mal dans sa peau, Eran Kolirin parvient à illustrer de façon profonde et comique toutes les difficultés qu’ont ces êtres à communiquer. L’arabe avec le juif, l’homme avec la femme. Le jeune égyptien prête ses gestes à son voisin israélien afin que celui-ci parvienne à toucher celle qu’il a blessée quelques minutes auparavant par maladresse. Cette scène muette, aussi simple que touchante et burlesque, remplace tous les discours et fait de ce film un véritable plaidoyer pour l’espoir d’un dialogue possible entre des êtres que les à priori auraient tendance à opposer.

Mais la véritable force du film vient de l’actrice Ronit Elkabetz qui incarne avec un charme incroyable un personnage de femme volontaire, éclatante de vie et de beauté, qui prend ce que la vie lui présente de meilleur, quitte à en être parfois meurtrie. Il suffit qu’elle apparaisse à l’écran pour occulter tous les autres personnages et capter tous les regards. A la fois libre et prisonnière d’une société que l’on devine oppressante pour elle, elle incarne ce que les femmes ont de plus beau. Face à elle, deux hommes que tout oppose. Le jeune musicien tombeur qui gagnera son corps, et le chef de la fanfare, qui se cache derrière la raideur de son uniforme et qui touchera son cœur mais n’osera aller plus loin. La visite de la fanfare est un film étrange, parfois un peu lent, souvent beau et drôle, et qui touche à l’universel. Comme cette fanfare perdue au milieu de nul part.