Sous de faux airs de film noir, le nouveau film de Guillermo del Toro se révèle être un conte cruel et finalement moral sur la manipulation et les faux semblants. Pour la première fois de sa carrière, le réalisateur ne campe pas son histoire sur des éléments fantastiques et n’utilise la patine du surnaturel que pour mieux nous convier dans l’envers du décor, celui d’un cirque itinérant peuplé d’illusionnistes, de monstres, de bourreaux et de victimes plus ou moins consentantes.
Après une première partie d’introduction fascinante mais qui aurait mérité quelques coupes, l’histoire bascule dans l’univers codifié du film noir personnifié par Cate Blanchett qui surjoue son personnage de femme fatale. On peut lui préférer la galerie épatante de la fête foraine avec ses deux pôles féminins, les formidables Toni Colette et Rooney Mara, sans compter le fidèle Ron Perlman dont la présence est toujours aussi réjouissante.
Illusion et faux semblants donc, que ce soit au travers des tours exhibés par les forains ou de la personnalité trouble du personnage central incarné par Bradley Cooper, que l’on peut au choix ranger dans la catégorie des paumés prisonniers d’un passé trop lourd, des manipulateurs avides d’argent et de pouvoir ou des tueurs en série.
Plus proche du Freaks de Tod Browning que de l’univers de Raymond Chandler, Nightmare Alley démontre une fois de plus l’amour de Guillermo del Toro pour les films de genre et le talent d’un réalisateur en perpétuel mouvement.
Si le film souffre d’un manque de rythme dû à une longueur excessive et qu’il ne marque pas le point d’orgue de la filmographie du réalisateur mexicain, il n’en demeure pas moins un spectacle soigné et une réflexion bienvenue sur les dangers de la manipulation (la dernière scène traumatisante des époux Kimball en est une démonstration sans appel) qui s’achève par une pirouette aussi morale que cruelle. Car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée.