On sort de Suspiria dans le même état de chamboulement émotionnel que du Mother ! de Darren Aronofsky, ce qui n'est pas peu dire. D’ailleurs la comparaison entre les deux films ne s’arrête pas là.
Installation progressive d’une atmosphère anxiogène, montée en puissance jusqu’à un final apocalyptique, épilogue faussement apaisé, Mother ! et Suspiria constituent à coup sur les deux coups de boule cinématographique les plus marquants et clivants de ces deux dernières années. Car loin de s’atteler à un remake respectueux de l’original, Luca Guadagnino peint sa propre toile et remonte aux origines même du mythe des sorcières.
Femmes libres, féministes avant l’heure, manipulatrices, les sorcières ont nourri depuis des siècles les histoires les plus cruelles, et c’est bien ce côté engagé contre un matriarcat d’autant plus terrible qu’il se double d’un régime totalitaire (voire à ce sujet le sort réservé à la femme du Dr. Josef Klemperer dévoilé à la toute fin du film) qu’explore le réalisateur.
Dans un Berlin plongé dans les années de plombs et le terrorisme, une ville terne et grise où il pleut en permanence, débarque Susie Bannion, une jeune américaine élevée dans l’ombre d’une mère bigote, pour intégrer l’académie de danse Helena Markos. Ce que les murs de l’école recèlent dépassera de loin ses pires cauchemars, pourtant gratinés.
En plus de deux heures trente, Luca Guadagnino installe une atmosphère vénéneuse par petites touches, comme un peintre impressionniste colleraient ses visions fugitives sur une toile en perpétuel mouvement. Oscillant entre passé et présent, onirisme et réalité, passant d’un personnage à l’autre sans perdre le spectateur en route, le réalisateur nous embarque dans un monde presque exclusivement féminin (mis à part le Dr. Josef Klemperer, témoin et moteur de l’avancée de l’action vivant dans le souvenir de sa défunte épouse, tous les autres hommes sont au mieux de piètres faires valoir, au pire de simples figurants) fait de folie et de faux semblants, de luttes de pouvoir et d’art, de sacrifice et d’abnégation.
Suspiria nous offre au passage une composition remarquable de Dakota Johnson qui se métamorphose tout au long du film et explose dans les scènes de danse, ainsi que la scène de meurtre la plus longue, originale et éprouvante vue sur un écran depuis longtemps.
Le film se termine là où Dario Argento n’a pas su éviter l’écueil du Grand Guignol dans Mother of Tears. Oscillant constamment entre terreur et ridicule (comme Aronofsky dans Mother ! une fois encore), Luca Guadagnino nous peint un final dantesque, un véritable sabbat qui conclut un film dont on ressort retourné, parfois agacé par quelques dialogues indigents mais au final subjugué par autant de culot dans ses partis pris esthétiques et narratifs. La véritable raison d’être du cinéma en quelque sorte.