mercredi 5 avril 2017

Le serpent aux milles coupures

La rencontre entre DOA et Eric Valette laissait présager du meilleur dans le paysage du polar français. Rendez-vous raté.
Non pas que Le serpent aux milles coupures soit un film loupé ou ennuyeux, loin de là, il regorge d’éléments intéressants mais ne parvient pas à se détacher de quelques scories qui plombe le polar français depuis plusieurs années. 
L’un des défauts du film, et pas des moindres, réside dans ses seconds rôles dont la plupart ont du mal à exister et dont certains en particulier nous plonge dans un profond malaise. La palme en revient à Pascal Greggory qui récite avec un manque total de conviction des dialogues beaucoup trop écrits, et dont la dernière réplique enfonce le clou d’un cercueil déjà bien lesté. Il est en cela accompagné par Stéphane Debac qui, si son jeu n’est pas à remettre en cause, incarne un personnage sensé trempé dans le trafic de drogue et qui semble sortir tout droit d’une sitcom familiale. Totalement décalé sans pour autant être comique, le personnage de Jean-François Neri n’est pas crédible une seule seconde à côté d’un Terence Yin qui frôle la caricature mais parvient in extremis à incarner un tueur glaçant pourtant bien (trop) gratiné sur le papier. 
Après une longue exposition parfois brouillonne, le film se concentre dans un village dont tous les agriculteurs sont racistes (…) et qui va se transformer en théâtre sanglant lorsque tout ce qui porte un flingue dans un rayon de dix kilomètres converge au même endroit pour le règlement de compte final. Et ce n’est pas la moindre des frustrations du film que de nous priver du combat bestial que l’on espérait entre Terence Yin et Tomer Sisley, combat expédié en quelques secondes. 
Si Eric Valette revendique de nombreuses influences allant du western rural au torture porn, et s’il les assimile plutôt bien dans une série B dont on ne peut nier la sincérité et l’efficacité, la sauce peine à prendre malgré le personnage de Tomer Sisley, sociopathe taciturne dont on n’apprendra pas grand-chose et qui tombe pourtant dans les travers les plus grossiers. En témoignent la séquence suicidaire trop démonstrative pour être honnête ou le demi-tour final pour aider une famille qu’il vient de séquestrer contre les méchants paysans du coin. 
Peut être que DOA aurait dû confier l’adaptation de son roman à un autre scénariste car il y avait matière à en tirer un film sec et nerveux, sans concession (le motard aurait pu se retrouver malgré lui entre deux feu sans avoir pour cela besoin de faire demi-tour, ce qui semble assez peu crédible dans sa situation). On sera en droit de préférer un Braqueurs sorti un an plus tôt et qui, avec un personnage central au final pas si éloigné, arrivait à nous proposer un spectacle autrement plus réjouissant.

samedi 1 avril 2017

Brimstone

La frontière entre dénonciation de la violence et complaisance semble parfois tellement ténue qu’elle laisse le spectateur désorienté et partagé entre fascination morbide et répulsion. C’est exactement le cas de Brimstone qui, par sa maitrise formelle et scénaristique au service de ses excès a de quoi perdre une bonne partie de son public en route. 
Car oui, le film est une réussite à plusieurs niveaux. Saluons tout d’abord un réalisateur et un directeur de la photo qui composent chaque plan (cadrage, éclairage) avec une minutie qui fait mouche à chaque fois. On se laisse happer par ces paysages sauvages que traversent des personnages hauts en couleur interprété par un casting impeccable. Et c’est là le deuxième atout de Brimstone, de Dakota Fanning qui porte à bout de bras un personnage aussi complexe que central, à Guy Pearce qui incarne un méchant que l’on n’est pas prêt d’oublier, sans oublier Emilia Jones ou la toujours aussi charismatique Carice Van Houten qui habite chaque plan avec un jeu quasi minimaliste. 
Riche en rebondissements et chapitré comme un passage de l’Ancien Testament, Brimstone nous replonge dans la boue des pionniers de l’Ouest Américain avec un réalisme que l’on n’avait pas vu depuis Dead Wood. Alors quoi ? Tous ces talents réunis ne suffisent ils pas pour composer un bon film ? C’est justement lorsque l’on aborde la finalité même du réalisateur que l’on commence à se poser des questions. 
Car à travers cette tragédie emprunte de religion, Martin Koolhoven ne fait rien de moins que d’illustrer les œuvres du Marquis de Sade. Comment ne pas penser par exemple aux Infortunes de la vertu devant le spectacle de cette jeune fille innocente qui passe de mains en mains et traverse les épreuves les plus humiliantes lors d’un Chemin de Croix unique en son genre ? Sauf qu’à la différence du divin Marquis, on ne peut même pas ici se raccrocher au plaisir de l’érotisme, ou alors un érotisme des plus déviants. Et c’est bien ce qui surprend le plus chez Martin Koolhoven, cette volonté de faire subir à ses personnages féminins les pires humiliations, tant physiques que psychologiques, sans leur laisser la moindre issu de secours, la plus petite possibilité de s’évader de ce qui ressemble à un avant-goût des Enfers sur Terre. Et si les femmes sont systématiquement humiliées, les hommes eux se divisent en deux catégories : les monstres infâmes et les futurs cadavres. Pas de demi-mesure, pas salut, pour personne. 
Le réalisateur condamne unanimement tous les protagonistes d’un film qui, sous couvert d’une critique ouverte de la religion et de sa vision des femmes, en adopte pourtant tous les codes. Car le personnage de Liz s’apparente en tous points à une martyr dans la plus pure tradition chrétienne, et cela jusqu’au dénouement final qui annihile définitivement toute forme d’espoir. Ce n’est certes pas en caricaturant les hommes à ce point ou en abaissant les femmes pour montrer combien elles souffrent que l’on porte un message féministe. Et ce n’est pas en revêtant les habits de martyr que l’on dénonce les excès des religions. 
Brimstone nous laisse pantois, impressionné par autant de talents et de bonnes volontés au service d’un spectacle nihiliste, aussi beau que pervers, mais dont on ne sait au final que penser. On aimerait aimer, mais on se sent gêner par la délectation avec laquelle le réalisateur nous inflige autant de cruauté. Il en restera l’image d’un prêcheur d’autant plus terrifiant qu’il n’en reste pas moins terriblement humain dans sa folie, et qui prend une dimension quasi surnaturelle à la fin du film, la révélation d’une Dakota Fanning qui d’un simple mouvement de sourcil fait passer toute une palette d’émotions et dont la seule présence illumine un long et douloureux chemin de croix, et un malaise indéfinissable qui nous hante longtemps après être sorti de la salle.