vendredi 31 juillet 2015

La rage au ventre

Le film de boxe, genre à part entière répondant à un certain nombre de règles et de passages obligés (victoire, chute, entrainement, rédemption) n’est jamais mieux représenté que lorsqu’il arrive à s’extraire de ces dogmes, à les transcender pour mieux se les approprier. Ce n’est pas le cas de La rage au ventre qui déroule sans surprise un scénario balisé sur lequel le spectateur un tant soit peu averti aura systématiquement dix minutes d’avance. 
Plus à l’aise dans le film d’action que dans le drame familiale, Antoine Fuqua sort la grosse artillerie pour nous émouvoir et nous tirer quelques larmes entre deux combats de boxe pour le coup plutôt réussis. Tout y passe, de la disparition d’un être cher à la perte de tous ses biens matériels, des foyers sociaux à l’appartement crasseux, de la perte des amis à celle de sa fille, le pauvre Billy Hope se retrouve pris dans une tempête qui le dépasse et ne lui épargne rien. Il devra alors tout reconstruire pour prouver à la société (représentée par le juge) et à lui-même qu’il est capable de s’assumer en tant que père et adulte responsable. Le problème, c’est que l’on a le plus grand mal à y croire. 
Les personnages sont taillés à la serpe, Jake Gyllenhaal sombre dans la performance à tout prix et le pourtant formidable en toutes circonstances Forest Whitaker a le plus grand mal à se sortir d’un rôle qui frôle la caricature, sinon le déjà vu. Les évènements se succèdent à une vitesse inimaginable (il se passe quelques semaines entre le drame et le match final), ne nous laissant pas le temps de nous attacher à des personnages trop lisses et policés malgré les efforts du réalisateur pour filmer un Billy Hope le regard bas et le visage constamment tuméfié. Jusqu’au final que l’on voit arriver à des lieues et qui vient couronner une morale si typiquement américaine qu’elle en devient gênante. 
Antoine Fuqua a oublié en cours de route que, de Raging Bull à Rocky en passant par Million Dollars Baby, les plus beaux films de boxe mettaient en scène des perdants (sur ou en dehors du ring), plutôt que des champions que l’on ne sent jamais vraiment en danger. C’est d’autant plus dommage que le film décolle légèrement dans sa seconde partie, on en vient à s’intéresser à des personnages secondaires (l’assistante sociale Angela Rivera) qui ne seront malheureusement pas développés. Les matchs sont bien filmés mais le réalisateur passe à côté de son vrai sujet. 
Comme l’annonce l’affiche du film, « son plus grand combat se joue hors du ring ». C’est loin d’être le plus intéressant pour le spectateur.

lundi 20 juillet 2015

La Isla mínima

Une petite ville d’Andalousie dans l’Espagne post franquiste des années 80. Deux policiers antinomiques débarquent pour enquêter sur la disparition de deux jeunes adolescentes. Dès les premières images du film durant lesquelles une vue aérienne préfigure les circonvolutions d’un cerveau humain, on se laisse emmener dans un voyage au cœur des ténèbres, dans une société en pleine mutation qui cache les plus noirs dessins de pervers en tous genres. 
Juan, flic coriace et malade, en fin de carrière dissimule un lourd secret. Pedro lui est un jeune policier idéaliste, plein de doutes et bientôt père de famille. A eux deux, ils symbolisent les deux facettes de cette société espagnole en train de tourner le dos à un passé fasciste pour se tourner vers une démocratie encore incertaine. Car les rancœurs ont la vie dure et le passé est parfois lourd à porter. Mais comment construire son avenir, bâtir pour ses enfants sans regarder en face l’histoire récente de son pays ? 
Bien plus qu’un thriller, par ailleurs parfaitement maitrisé, La Isla mínima se paye aussi le luxe d’être un film social, l’étude anthropologique d’un microcosme qui vit replié sur lui-même, les deux pieds dans le passé alors que la modernité (les revendications salariales des ouvriers, le désir des jeunes filles de quitter le village, le travail des femmes) frappe à sa porte. Certes, le réalisateur Alberto Rodriguez n’hésite pas à puiser aux sources des plus grands classiques pour nourrir son film. On pense à David Fincher (Zodiac), David Lynch (Twin Peaks) et bien évidemment à la saison 1 de True Detective. Mais cela n’empêche pas La Isla mínima d’avoir son identité propre grâce à une interprétation au cordeau de l’ensemble du casting, dominé par le duo Raúl Arévalo et Javier Gutiérrez, au soin tout particulier apporté à la photographie qui sert une atmosphère poisseuse et envoutante. 
Le film n’est pas exempt de quelques défaut, comme ce sentiment que tout est trop millimétré, chaque indice étant distillé au bon moment, chaque rencontre, même fortuite, arrivant à point nommé. Il manque surement un brin de folie pour transformer ce film excellent en chef d’œuvre, mais comment ne pas rester scotché par le simple fait qu’une course poursuite nocturne en Dyane Citroën et en pleine campagne procure dix fois plus de frissons que tout ce que l’on a pu avoir ces dernières années avec des dizaines de voitures de luxe s’encastrant les unes dans les autres ? 
Comme souvent, c’est une fois encore le voyage qui importe plus que la destination. L’intérêt du film ne résulte pas tant dans la révélation finale que dans le parcours intérieur des différents protagonistes et dans le processus narratif, maitrisé de bout en bout par un réalisateur qu’il sera urgent de suivre. 
On se surprend alors à rêver d’un film français mettant en scène un policier ou un militaire, ancien tortionnaire de la guerre d’Algérie, non pas parce que c’est fun ou branché, mais parce qu’un réalisateur et un producteur auront eu le courage de regarder la passé de notre pays dans le blanc des yeux.

samedi 18 juillet 2015

Love

Love aurait pu être un bon film, un très bon film même. Car la note d’intention du réalisateur trublion, réaliser un film d’amour à forte connotation sexuelle, est fort louable. 
Prenant le contre-pied de la plupart des histoires d’amour qui jettent un voile pudique sur les relations sexuelles des protagonistes, qui sont tout de même une composante essentielle d’une relation de couple, ou bien les films ouvertement explicites sur le sexe, dont le porno traditionnel est le représentant le plus répandu, et qui évacuent quasi systématiquement tout sentiment, Gaspar Noé proclamait haut et fort depuis plusieurs années qu’il allait mettre un bon coup de pied dans la fourmilière et nous proposer enfin un vrai film d’amour ET de sexe. 
Alors oui, du sexe il y en a dans Love. Simulé ou non, cadré serré ou en plan large, à deux, trois ou beaucoup plus, il y en a même tellement dans la seconde partie du film que l’on ne sait plus où donner de la tête. Les scènes de coït se succèdent les unes aux autres, gagnant en fébrilité ce qu’elles perdent en tendresse. Car c’est bien là que réside le handicap de Love : l’absence de tendresse, d’amour, d’empathie avec des personnages que l’on aimerait aimer. 
Laissons de côté la vision pessimiste du couple que nous propose Gaspard Noé, là n’est pas le problème. Ce qui plombe le film, c’est en premier des personnages pour le moins antipathiques interprétés par des acteurs auxquels on ne parvient jamais à s’identifier. La palme revient certainement à Murphy, un américain de 25 ans apathique, gonflant, pour ne pas dire complètement abruti. Passant d’une amante sur laquelle il greffe tous ses fantasmes à une concubine à qui il fait un enfant par accident (thème qui revient d’ailleurs à plusieurs reprise au cours de l’histoire), Murphy passe son temps à pleurnicher sur son sort, se droguer, regretter le temps passé, se droguer, baiser pour oublier, se droguer, s’engueuler avec Electra et/ou Omi, se droguer. Bref, un jeune homme plein d’énergie à qui on a envie de mettre deux claques, voire plus si affinité. 
Autre souci, et non des moindres, la propension du réalisateur à se citer lui-même (les personnages filmés de dos, la maquette de l’immeuble sur la table de nuit renvoient directement à Enter the Void, le club échangiste qui n’aurait pas dépareillé dans irréversible), se répéter (la bite filmée depuis l’intérieur d’un vagin, c’est sympa une fois dans Enter the Void, ensuite ça devient lassant) et s’auto référencer (le fils de Murphy s’appelle Gaspar, l’ancien amant d’Electra se nomme Noé…). Bref, on frôle l’auto fellation à tel point que cela en devient gênant. 
Enlevons les scènes de sexe (qui soit dit en passant non rien de bien méchantes pour effaroucher autant de monde) et que reste-t-il ? Rien, ou pas grand-chose. Car d’amour, pas la moindre trace dans Love. Les personnages se croisent en se regardant le nombril, cherchant dans l’autre la matérialisation de ses propres fantasmes et la possibilité de flatter son égo. Ne parlons pas de la 3D que rien, si ce n’est un argument publicitaire de plus, ne justifie (sauf si vous appréciez une éjaculation faciale en relief). 
C’est d’autant plus dommage que Gaspar Noé a du talent, il le montre au détour de quelques plans (la scène d’amour à trois entre Murphy, Electra et Omi par exemple), suffisamment de culot pour oser s’aventurer là où les autres ne vont pas. Mais il ne faudrait pas oublier en route qu’un film, c’est avant tout une histoire, des personnages et la volonté profonde de toucher son public avant de satisfaire son propre égo. Ce que le réalisateur semble avoir oublié en route.