lundi 21 avril 2014

Heli

Heli, le nom raisonne comme une annonce de l’enfer qui va s’abattre sur la famille de ce jeune mexicain prit malgré lui dans les rouages du trafic de drogue. Pour son troisième film qui a obtenu à Cannes le prix de la mise en scène, le réalisateur Amat Escalante choisit de coller au plus près de ses personnages. Cela se traduit par des choix narratifs (nous sommes immergés dans le quotidien d’une famille pauvre comme il y en a des milliers au Mexique) autant que formels (les angles de prises de vues depuis l’intérieur des véhicules par exemple). Car si le trafic de drogue est l’élément déclencheur de la série de drames qui va bouleverser les vies des différents protagonistes, c’est bien du quotidien d’une certaine catégorie de la population mexicaine plus que des narco trafiquants dont traite le réalisateur. Abandonnant d’emblée tout effet de manche (nous sommes loin de l’esthétique de Cartel par exemple), Amat Escalante filme des acteurs pour la plupart non professionnels qui incarnent des personnages communs écrasés par la violence d’un environnement hors norme. 
Car c’est bien là le vrai sujet du film, cette violence banalisée qui culmine lors d’une scène de torture d’autant plus glaçante qu’elle est filmée frontalement, de manière complètement décomplexée et qu’elle est assimilée comme un acte normal par l’ensemble des protagonistes présents dans la pièce.
Violence physique donc, mais également sociale et culturelle. Les hommes s’accrochent à un emploi précaire pour faire vivre leur famille tandis que les femmes sont cantonnées à la maison, souvent loin de chez elles et contraintes de partager le même toit que leur belle famille. L’interdiction d’avorter provoque la multiplication des mères filles, obligeant celles-ci à abandonner leurs études pour se consacrer trop tôt à des enfants la plupart du temps non désirés. C’est cette réalité-là que nous montre Amat Escalante, cette violence non dite démultipliée par une autre réalité, celle du trafic de drogue, des brutalités policières et de la corruption généralisée. 
Refusant toute facilité (un certain nombre de faits resteront inexpliqués ou partiellement abordés, comme les problèmes de santé de la femme d’Heli qui se refuse constamment à lui), le réalisateur oscille constamment entre un cinéma hyper réaliste et symbolique. Témoin cette omniprésence des chiens qui semblent accompagner les différents personnages tout au long de leur chemin de croix, ou l’inspectrice qui offre à Heli une poitrine toute fellinienne. 
Le film se clôt sur un couple en train de faire l’amour, comme l’aboutissement d’une trop longue frustration sexuelle trainée pendant tout le film, et sur l’image d’Estela tenant dans ses bras le bébé de son frère. Estela, victime muette de violences d’autant plus insupportables qu’elles ne nous sont que suggérées, Estela qui pourrait symboliser à elle seule toute la détresse du peuple mexicain.

jeudi 10 avril 2014

Noé

Drôle de film que ce Noé, mélange aussi improbable qu’hétéroclite entre morceaux de bravoure héroïques et passages d’une naïveté désarmante. Il faut dire que l’histoire, inspiré de l’Ancien Testament, n’est pas commune, et que selon les sensibilités (que l’on croit que le monde a été créé par Dieu en sept jours ou que l’on soit adepte de la théorie de l’évolution), on l’appréhendera forcément de manière différente. Et c’est bien là que le bât blesse. Car incapable de choisir son camp, Darren Aronofsky livre un film fourre-tout, iconoclaste, qui oscille constamment entre des éclairs de génie et une imagerie pieuse on ne peut plus basique. Car Noé, s’il n’est pas exempt de défauts, est avant tout un film maitrisé porté par des interprètes talentueux, illustré par des images de synthèse parfaitement intégrée à l’histoire et des décors somptueux, et porté par un souffle épique parfois digne du Seigneur des Anneaux. Et les références cinématographiques ne s’arrêtent pas là. Présenté comme un guerrier solitaire poussé malgré lui vers le statu de héro sacrificiel dans un monde post, ou pré apocalyptique, Noé n’est pas sans rappeler la figure de Mad Max dans les épisodes deux et trois. 
Porté par des scènes à couper le souffle, comme ces naufragés accrochés à leur rocher qui hurlent au milieu d’une tempête titanesque ou la scène de l’assaut de l’Arche que n’aurait pas renié Peter Jackson, Noé n’en demeure pas moins bancal. 
Témoin cette scène où Russel Crowe raconte à sa famille la création du monde par Dieu. L’histoire est illustrée en accéléré par des scènes montrant l’évolution de la vie, du vide intersidéral à l’amibe puis à l’organisme pluricellulaires, le poisson, le reptile, l’oiseau et le mammifère. Transition avec un fondu au noir pour passer à Adam et Eve, deux êtres lumineux qui batifolent dans le Jardin d’Eden avant que le Serpent ne vienne briser ce bel équilibre. Prenons encore pour exemple la figure de Noé, père et cultivateur qui fuit la compagnie des hommes, confronté à Tubal Caïn, roi cruel, amateur de viande donc forcément mauvais (Darren Aronofsky va même jusqu’à transformer son peuple en anthropophage pour bien enfoncer le clou (la viande corrompt plus qu’elle ne nourrit). C’est là tout le paradoxe du réalisateur qui oscille entre le darwinisme et l’imagerie chrétienne, comme s’il avait eu peur de son sujet et avait à cœur de contenter tout le monde. 
C’est d’autant plus dommage que le réalisateur de Requiem for a Requiem for a dream, avec déjà la toute belle Jennifer Connelly, nous laisse entrevoir ce qu’aurait pu être son film au travers de quelques scènes d’une puissance phénoménale. 
Oscillant entre film à grand spectacle et fresque humaniste, plombé par les convictions écolos du réalisateur et sa peur devant un sujet aussi chargé d’histoire et de symboles, Noé reste un patchwork certes stylisé, pas vraiment désagréable mais tellement loin de ce que l’on pouvait en attendre.

jeudi 3 avril 2014

Her

Dès les premières minutes du film, Spike Jonze nous plonge dans l’atmosphère si particulière de cette histoire hors du commun. Une ambiance à la fois douce et froide, colorée et aseptisée qui décrit si bien par petites touches un futur pas si lointain dans lequel les êtres humains ont le plus grand mal à communiquer entre eux. Car c’est là l’un des sujets du film qui regorge de pistes à explorer pour le spectateur qui veut bien s’en donner la peine. Theodore Twombly est un homme seul, à priori peu sociable, surtout depuis sa rupture amoureuse dont il a le plus grand mal à se remettre. Il passe ses journées, comme nombre de ses semblables, connecté à sa boite mail et aux informations extérieures grâce à son oreillette. Chez lui, ses seules discussions sont celles qu’il entretient avec un personnage de jeu vidéo interactif. Sa vie va progressivement basculer quand il fait l’acquisition d’un programme informatique évolué, personnifié par la voix chaude et rocailleuse de Scarlett Johansson. Samantha, puisque tel est son nom, va alors prendre une place de plus en plus importante dans sa vie, jusqu’à ce qu’il en tombe éperdument amoureux. 
Her se présente de prime abord comme un film casse gueule, mélangeant allégrement science-fiction, comédie et romance avec comme point de départ un postulat à priori impossible à transposer à l’écran. Et il faut en effet tout le talent, la délicatesse et la finesse d’un Spike Jonze plus inspiré que jamais pour transcender ce scénario surréaliste et livrer un film d’une beauté et d’une justesse incroyable. 
Porté par des acteurs impeccables, Joaquin Phoenix démontre une fois de plus toute l’étendue de son talent dans un rôle toute en retenu, tandis que Scarlett Johansson donne littéralement corps à Samantha par le seul biais de sa voix. Sans oublier des seconds rôles, parmi lesquels Amy Adams, en parfaite harmonie avec le reste de la distribution. 
Si le film installe progressivement un environnement futuriste tout à fait crédible, les personnages restent plus que jamais au centre de l’histoire. Jusqu’à Samantha, un programme informatique si évolué et parfait qu’il va aller jusqu’à reproduire les imperfections de la nature humaine. D’abord attentionné puis charmeuse, Samantha n’en deviendra pas moins possessive, jalouse, jusqu’à prendre ses distances lors d’un final que nous ne révélerons évidemment pas. 
C’est donc bien d’une histoire d’amour dont il est question, mais également du portrait doux amer de personnages qui n’arrivent plus à communiquer entre eux, dont les relations sont inévitablement vouées à l’échec et qui trouvent dans les intelligences artificielles des partenaires qu’ils pensent idéaux. 
Sans être un brulot contestataire, Her nous questionne doucement mais surement sur l’importance des rapports humains, le développement vertigineux des outils de communication qui s’accompagne d’une solitude de plus en plus grande, particulièrement dans les grandes métropoles où l’on passe plus de temps avec des amis virtuels qu’avec des personnes de chair et de sang. 
Des questions et des pistes de réflexion, le film nous en proposent des dizaines. Mais c’est aussi une belle histoire envoutante et mélancolique, parfois drôle et parfois tragique, comme la vie en quelque sorte.