Heli, le nom raisonne comme une annonce de l’enfer qui va s’abattre sur la famille de ce jeune mexicain prit malgré lui dans les rouages du trafic de drogue. Pour son troisième film qui a obtenu à Cannes le prix de la mise en scène, le réalisateur Amat Escalante choisit de coller au plus près de ses personnages. Cela se traduit par des choix narratifs (nous sommes immergés dans le quotidien d’une famille pauvre comme il y en a des milliers au Mexique) autant que formels (les angles de prises de vues depuis l’intérieur des véhicules par exemple). Car si le trafic de drogue est l’élément déclencheur de la série de drames qui va bouleverser les vies des différents protagonistes, c’est bien du quotidien d’une certaine catégorie de la population mexicaine plus que des narco trafiquants dont traite le réalisateur. Abandonnant d’emblée tout effet de manche (nous sommes loin de l’esthétique de Cartel par exemple), Amat Escalante filme des acteurs pour la plupart non professionnels qui incarnent des personnages communs écrasés par la violence d’un environnement hors norme.
Car c’est bien là le vrai sujet du film, cette violence banalisée qui culmine lors d’une scène de torture d’autant plus glaçante qu’elle est filmée frontalement, de manière complètement décomplexée et qu’elle est assimilée comme un acte normal par l’ensemble des protagonistes présents dans la pièce.
Violence physique donc, mais également sociale et culturelle. Les hommes s’accrochent à un emploi précaire pour faire vivre leur famille tandis que les femmes sont cantonnées à la maison, souvent loin de chez elles et contraintes de partager le même toit que leur belle famille. L’interdiction d’avorter provoque la multiplication des mères filles, obligeant celles-ci à abandonner leurs études pour se consacrer trop tôt à des enfants la plupart du temps non désirés. C’est cette réalité-là que nous montre Amat Escalante, cette violence non dite démultipliée par une autre réalité, celle du trafic de drogue, des brutalités policières et de la corruption généralisée.
Refusant toute facilité (un certain nombre de faits resteront inexpliqués ou partiellement abordés, comme les problèmes de santé de la femme d’Heli qui se refuse constamment à lui), le réalisateur oscille constamment entre un cinéma hyper réaliste et symbolique. Témoin cette omniprésence des chiens qui semblent accompagner les différents personnages tout au long de leur chemin de croix, ou l’inspectrice qui offre à Heli une poitrine toute fellinienne.
Le film se clôt sur un couple en train de faire l’amour, comme l’aboutissement d’une trop longue frustration sexuelle trainée pendant tout le film, et sur l’image d’Estela tenant dans ses bras le bébé de son frère. Estela, victime muette de violences d’autant plus insupportables qu’elles ne nous sont que suggérées, Estela qui pourrait symboliser à elle seule toute la détresse du peuple mexicain.