Michael Haneke, considérant à juste titre que son film original n’a pas été vu par suffisamment de monde, le public américain auquel il était destiné en priorité, en réalise dix ans après le remake au plan prés.
C’est l’occasion pour toute une génération de spectateurs de découvrir enfin cette œuvre choc, véritable analyse clinique de la violence à l’écran.
En effet, l’objectif premier du réalisateur est bien de réagir à la banalisation de cette violence et à sa médiatisation en nous proposant le spectacle frontal d’une famille torturée à mort par deux jeunes hommes en apparence bien sous tous les rapports, et sans motifs réels. En cela, Funny Games prend l’exact contre-pied de Hostel ou Saw qui utilisent la torture à des fins de divertissement.
A l’heure où la violence sous toute ses formes envahit les écrans, où le moindre film de guerre verse dans le gore (John Rambo dernièrement), sans parler des fresques historiques hyper sanglantes (La passion du Christ), alors que les films de torture reviennent sur le devant de la scène (la série des Saw et Hostel justement), Haneke décide de dynamiter le système de l’intérieur en réalisant le remake américain de son brûlot original allemand. Et force est de constater que la claque que l’on se prend est cinglante et amène à réagir.
Haneke condamne et refuse les films qui esthétisent la violence la plus extrême et en font un spectacle captivant. Si il nous place vicieusement en position de spectateur impuissant et pourtant presque complice devant les atrocités qui défilent à l’écran quand Michael Pitt nous prend à partie, il réfute cependant toute idée de voyeurisme. Ainsi, durant le streep tease imposé à Naomie Watts, jamais nous ne verrons le corps nu de l’actrice offert aux regards de ses tortionnaires. Les scènes de meurtres se passent presque toujours hors champs et les seuls effets sanglants que nous verrons n’en sont que les résultantes. Les hurlements des victimes retentissent alors qu’ils sont dans la pièce d’à coté ou hors caméra.
La pression psychologique n’en est pas pour autant atténuée, bien au contraire, mais impossible de prendre un plaisir, il faut bien le dire un peu pervers, à voir des meurtres sadiques à l’écran comme on pourrait le faire en voyant La colline a des yeux par exemple. Funny Games constitue en cela une étude froide de la violence. Ce n’est ni fun ni banal ni jouissif semble nous dire Haneke, une nuit de torture est longue, douloureuse et au combien pénible. Le réalisateur illustre d’ailleurs ses propos par des plans fixes parfois interminables et une bande son agaçante, comme ces commentaires provenant de la télé allumée alors que le corps d’un enfant gît ensanglanté dans le salon. Sans parler du générique qui superpose à des images que l’on croirait issues d’une publicité Kinder une musique agressive qui remplace brutalement des morceaux de classiques.
Le film est servi par des acteurs justes, la victime Naomie Watts et le bourreau Michael Pitt en tête. Ce dernier tout de blanc vêtu n’est d’ailleurs pas sans rappeler avec son compère la bande de délinquants d’Orange Mécanique. Les deux tortionnaires jouent avec leurs victimes et c’est de cette mise en scène de leurs actes que provient leur jouissance. La scène où Michael Pitt guide Naomie Watts pour retrouver le corps de son chien est en cela assez explicite. La femme semble télé guidée par le jeune homme qui en fait sa marionnette. On peut d’ailleurs se demander si tout le film n’est pas le fantasme d’un esprit malsain lorsque, alors que Naomie Watts s’empare du fusil et que la situation lui échappe, Michael Pitt refait défiler toute la scène à l’envers à l’aide d’une télé commande afin d’en reprendre le contrôle.
Le fait que les tortionnaires n’aient aucune raison d’agir comme ils le font (ils jouent d’ailleurs de manière dérisoire, et Haneke à travers eux, à inventer toute une série de motifs pour expliquer leurs gestes), la rapidité avec laquelle ils se débarrassent des membres de la famille que l’on accompagne tout au long de leur calvaire (Naomie Watts meurt sans plus de considération que si ils jetaient un papier dans la rue), la fin exempte de toute morale et de tout espoir font de Funny Games un film dérangeant. Et, que l’on aime ou pas, important.
Cela n’empêche en rien de trouver du plaisir dans le spectacle d’une violence stylisée, caricaturale, exutoire, esthétique, amusante ou effrayante comme en proposent nombre de films d’horreurs ou d’actions. Haneke nous rappelle juste que l’on doit garder en tête que ce n’est que du cinéma et que, si elle peut être source de divertissement, la violence ne devrait jamais être banalisée. Et c’est sûrement davantage du coté de la télévision que des films gore souvent montrés du doigt qu’il faudrait faire preuve de vigilance.