samedi 22 novembre 2025

Running Man

Depuis Le prix du danger d’Yves Boisset en 1983 la mise en scène d’une violence télévisée destinée à manipuler les masses a fait l’objet de multiples variations autour du même thème, plus ou moins réussies et plus ou moins conscientes du message politique qu’une telle satire peut véhiculer. 
En reprenant les bases du roman de Stephen King publié en 1982 sous le nom de Richard Bachman, pseudonyme sous lequel il signa ses œuvres les plus énervées et engagées politiquement (citons entre autres Marche ou Crève récemment porté à l’écran), Edgar Wright aurait pu se contenter d’un spectacle inoffensif et débridé apte à tenir le haut de l’affiche le temps d’un énième vidage de cerveau. 
Oui mais Edgar Wright n’a pas pour habitude de rentrer dans les cases, ou alors pour mieux les exploser de l’intérieur (Hot Fuzz et Shaun of the Dead en sont les plus éclatantes démonstrations). 
Porté par l’ultra charismatique Glen Powell et une myriade de seconds rôles tous plus investis les uns que les autres, le réalisateur britannique double une course contre la montre sans aucun temps mort d’une critique acerbe, et dangereusement actuelle, de la banalisation de la violence, de la manipulation des foules par les médias et d’un certain abrutissement devant les écrans. 
Réflexion bienvenue et bien énervée sur le pouvoir des images et de la désinformation, Running Man n’en reste pas moins un film d’action dopé à la testostérone filmé par un réalisateur amoureux de son art, celui du travail bien fait et d’une générosité jamais démenti à l’égard du spectateur qu’il n’a cessé être.
Sans jamais tomber dans la caricature ni le dogmatisme, Edgar Wright réussit à investir le système de l’intérieur et à plastiquer son blockbuster pour en faire un véhicule piégé lancé à toute vitesse vers un futur dystopique peut être pas si lointain que cela.

samedi 1 novembre 2025

Smashing Machine

Avant les stars du MMA adulées par des millions de fans et hyper médiatisées, il y avait les pionniers d’un sport dont les règles évoluaient du fil des championnats plus ou moins officiels. Avant l’adrénaline et les feux des projecteurs il y avait la sueur et la solitude des vestiaires. 
C’est par ce prisme refusant le spectaculaire au profit de la dimension humaine de ses protagonistes que Benny Safdie a choisi de raconter son histoire, celle de Mark Kerr, de son staff d’entrainement et de sa femme Dawn Staples. 
Porté par une interprétation convaincante de Dwayne Johnson bien aidé par la présence d’Emily Blunt lors de ses scènes les plus intenses, Smashing Machine s’inscrit dans la longue lignée des films sportifs, plus proche d’un Raging Bull que d’un Rocky dans ce portrait d’une célébrité aux pieds d’argile qui va livrer son combat le plus âpre en dehors du ring. 
Soutenu autant qu’affaibli par une relation tumultueuse avec sa femme, Mark Kerr longtemps resté invaincu à ses débuts va faire l’expérience de la défaite et d’une dépendance aux opioïdes qui vont l’obliger à s’éloigner des rings pour mieux revenir et se retrouver. Mais loin des success stories habituelles du genre, le réalisateur s’attache à son biopic tout en évitant les pièges les plus évidents d’une histoire à première vue balisée. 
ATTENTION SPOILERS Pas de victoire finale en guise de rédemption ni de combat pourtant attendu contre son ami Mark Coleman mais une défaite cuisante contre ses propres démons FIN DES SPOILERS 
Entre l’épure attendue d’un certain cinéma indépendant américain et le passage obligé du tournoi final, entre scènes intimistes les plus souvent dramatiques et violence des combats sans esthétique superflue, Smashing Machine peint les prémices d’un sport spectacle ancré dans son époque, modelé par des combattants entrainés à la dure dont les combats les plus difficiles se déroulent souvent loin des acclamations de la foule.

samedi 18 octobre 2025

Chien 51

Un Paris futuriste et grisâtre divisé en zones selon les classes sociales de ses habitants, une présence policière oppressante secondée par une intelligence artificielle omniprésente, des drones meurtriers au service d’une justice expéditive, des flics désabusés au passé trouble. 
Tous les ingrédients d’une SF dépressive et inquiète sont au rendez-vous du nouveau film de Cédric Jimenez adapté du roman éponyme de Laurent Gaudé. Et conformément à l’adage voulant que c’est dans les vieilles marmites que l’on fait les meilleures soupes, le réalisateur convoque ses grands classiques pour un projet d’une ampleur inédite dans le cinéma français. 
Un paysage urbain noyé de pluie (coucou Blade Runner), une technologie avant-gardiste au service du maintien de l’ordre (coucou Minority Report), on pourrait dérouler la liste des références incontournables du cinéma de science-fiction jusqu’à en oublier le projet d’origine. 
Car si Chien 51 se révèle un solide thriller d’anticipation paranoïaque, il reste évident que Cédric Jimenez demeure plus à l’aise dans les scènes d’action, par ailleurs parfaitement orchestrées, que dans les interactions entre les personnages souvent traitées au lance pierre. 
Porté par une distribution de luxe visiblement très impliquée dans le projet, Chien 51 souffre paradoxalement d’une certaine froideur et d’un manque de sensibilité autour de protagonistes qui auraient pour la plupart mérités plus d’épaisseur. 
Si le film ne marquera pas d’une pierre blanche l’histoire de la SF, Chien 51 reste un film d’action efficace resserré sur une intrigue minimaliste, la reconstitution convaincante d’un Paris anxiogène où les différences de classes se matérialisent par des quartiers aux accès verrouillés et une réflexion supplémentaire, et peut-être prophétique, des dérives d’une technologie hors de tout contrôle.

samedi 4 octobre 2025

Marche ou crève

Marche ou crève est l’un, sinon le premier roman écrit par Stephen King dont la parution prendra plus de 10 ans sous le pseudonyme de Richard Bachman. 
Hanté par le souvenir des générations de jeunes américains disparus pendant la guerre du Viêt-Nam, l’histoire partage de nombreux points communs avec la saga Hunger Games dont, hasard ou coïncidence, le réalisateur Francis Lawrence a adapté au cinéma l’ensemble des épisodes depuis le deuxième opus. 
Parmi ces convergences, une Amérique dystopique et fascisante en proie à une crise tellement profonde qu’elle choisit de sacrifier chaque année une partie de sa jeunesse lors d’un jeu à l’issue fatale sensé aider la population à retrouver le goût du devoir envers la Nation. 
Mais alors qu’Hunger Games prenait rapidement une dimension politique au-delà de l’arène où s’affrontent les jeunes combattants dans une lutte à mort, Marche ou crève se cantonne à un principe aussi simple qu’efficace : une marche, cinquante participants encadrés par l’armée, pas de ligne d’arrivée, le gagnant est celui qui reste debout, les autres sont exécutés sans autre forme de procès. 
En choisissant d’illustrer le roman sans développer d’inutiles intrigues secondaires et de coller au plus prés des marcheurs, à l’exception de quelques flash-backs expliquant les motivations de Raymond Garraty, Francis Lawrence opte pour une épure qui aurait pu exacerber la noirceur de son film et en faire l’un de ces diamants noirs qui hantent longtemps les esprits. 
Mais alors que le réalisateur expose une violence frontale sans concession lors des mises à mort et filme de manière presque documentaire la fatigue des corps (crampes, diarrhées, fractures de fatigue, crise d’épilepsie, épuisement extrême avec à chaque fois la même issue), il met également en scène une joyeuse troupe de copains au sein de laquelle se nouent des amitiés alors que chaque participants représente pour les autres un obstacle supplémentaire vers la victoire et un risque accru de mort. 
On a alors l‘impression de suivre une troupe de scouts pétris de bons sentiments, à l’exception du méchant de service et de quelques profils un peu louches, dont les deux principaux protagonistes conservent une forme étonnante après plus de 500 kilomètres parcourus alors qu’autour d’eux les concurrents zombifiés tombent les uns après les autres. Il en ressort un sentiment bizarre, entre souffrance et sentimentalisme, violence crue et amitié virile à tendance gay, et ce n’est pas le cabotinage d’un Mark Hamill constamment dissimulé derrière ses lunettes teintées qui vient crédibiliser l’ensemble. 
Marche ou crève navigue entre deux eaux, tour à tour battle royal hard boiled et hymne maladroit à l’entraide. On aurait aimé qu’il choisisse son camp une bonne fois pour toute et laisse sa sensiblerie maladroite sur le bord du chemin.

dimanche 28 septembre 2025

Une bataille après l’autre

Les batailles se succèdent, une révolution chasse l’autre et les illusions se perdent dans les fumées des gaz lacrymogènes. 
Ancien artificier dans une organisation révolutionnaire, Bob vit seul avec sa fille, sa défonce quotidienne et sa paranoïa. Perfidia Beverly Hills, son amante et mère de Willa, ancienne égérie des French 75, s’est enfuie du jour au lendemain, tout comme ses idéaux et la flamme qui l’animait. Alors quand sa fille disparait après une descente de police menée par le bien barré colonel Steven J. Lockjaw, Bob se lance dans une dernière quête désespérée pour la retrouver, épaulé par le toujours zen Sensei Sergio. 
Avec cette nouvelle adaptation du roman de Thomas Pynchon, Paul Thomas Anderson continue sa radiographie de l’Amérique en renvoyant dos à dos les mouvements armés d’extrême gauche et les milices fascisantes au service d’une droite raciste et suprémaciste. 
Menée tambour battant, cette épopée de deux heures quarante cinq se vit à cent à l’heure aux cotés de personnages tous plus cintrés les uns que les autres qui se raccrochent encore à des luttes illusoires. Celles d’un monde plus juste ou plus blanc selon le côté duquel on penche, avec pour constante un regard désabusé sur la valeur du sacrifice. 
Paul Thomas Anderson mélange les genres pour nous offrir l’un ce des moments de cinéma particulièrement réjouissants, porté par des acteurs au meilleurs de leurs formes pour incarner des personnages cabossés qui s’écrasent contre le mur du réel alors que la société qu’ils fantasmaient devient de plus en plus illusoire. 
Mais malgré un ton résolument tourné vers la comédie souvent grinçante, malgré l’étincelle d’espoir porté par la lumineuse Chase Infiniti, le film de Paul Thomas Anderson témoigne au final d’un profond pessimisme quant à la situation actuelle.
Les Révolutions du passé ne perdurent plus qu’au travers de résistances erratiques bien vite étouffées par un nouvel ordre d’extrême droite dont les ramifications s’étendent aux plus hautes sphères du pouvoir. 
C’est alors qu’Une bataille après l’autre prend une tournure prémonitoire et se révèle, par-delà le spectacle, un miroir particulièrement inquiétant du monde actuel.

samedi 13 septembre 2025

Sirat

Des corps en mouvement au son d’une musique techno, l’étendu désertique du désert marocain avec pour seul horizon un mur d’enceintes. Et puis de cette masse extatique émergent des corps et des visages atypiques. 
La caméra capte la vibration des basses et suit ces personnages que nous ne lâcherons plus. Louis accompagné par son fils Estéban et cette communauté de teufers qui va les accueillir bien malgré eux. Bigui, Stef, Josh, Tonin et Jade, tous embarqués dans une fuite en avant, un voyage sans retour possible aux confins d’un monde au bord du précipice, une dernière danse pour se sentir vivant avant le grand saut vers l’inconnu. 
Car au-delà de sa volonté évidente de capter l’insaisissable, la musique, la vibration des corps et cette volonté désespérée d’exister une dernière fois, Sirat ne parle de rien d’autre que d’une fuite devant une guerre généralisée qui ne sera jamais nommée, une société où les cabossés et les infirmes n’ont pas leur place, et où l’être aimé manquera toujours à l’appel. Et même si l’on danse, on fume, on boit et on s’aime, la fête a un goût de cendre et laissera bientôt place à la douleur et à la mort. 
Le film bascule brutalement lors d’une scène traumatisante pour ne plus jamais lâcher le spectateur et maintenir une tension qui ramène au mythique Sorcerer de William Friedkin. Et ce n’est pas le seul point commun entre le film d’Olivier Laxe et le remake du salaire de la peur. 
Au-delà d’une similarité évidente, un convoi de camions confrontés à une nature hostile sur un parcours semé d’embûches, Sirat et Sorcerer partagent également une morbidité et une tragédie de fin du monde qui en font des œuvres aussi marquantes qu’inclassables. 
Bien qu’imperceptible, la mort demeure omniprésente dés les premières scènes du film avec ces corps aux mouvements saccadés et mécaniques et cet homme en quête de son enfant dont nous ne percevrons qu’une série de photos, véritable Orphée traversant les Enfers et ne comprenant que bien tard le prix à payer pour sa quête. 
Sirat se vit et se ressent pleinement une fois le film terminé, quand les images refont surface et que l’on se demande si l’on vient d’assister à une ode à la vie envers et contre tout ou au contraire au chant du cygne d’une humanité acculée dans ses derniers retranchements. Quoiqu’il en soit on n’en ressort pas indemne.

samedi 6 septembre 2025

Exit 8

Tout commence par une scène à priori anodine dans le métro de Tokyo. Une jeune mère dont le bébé pleure bruyamment se fait agresser verbalement par un homme dans l’indifférence générale. Et c’est bien l’indifférence ou plutôt l’attention portée aux autres et à son environnement proche qui sera la clef de l’une des multiples portes de sortie d’Exit 8. 
Catapulté dans les couloirs déserts du métro alors qu’il vient d’apprendre qu’il va devenir père, si toutefois il accepte d’endosser cette responsabilité, un homme déambule dans ce qui ressemble à une boucle sans fin régie par une loi aussi simple qu’impitoyable. S’il décèle une anomalie autour de lui il doit faire demi-tour, dans le cas contraire il continue d’avancer pour accéder au niveau suivant jusqu’à la fameuse sortie 8. En cas d’erreur il revient à son point de départ, prisonnier de ces interminables couloirs qui tournent sur eux même. 
Adaptation d’un jeu vidéo basé sur le même concept, le film de Genki Kawamura s’ouvre et se conclut sur le boléro de Ravel, une boucle musicale reprise par différents instruments, et ce n’est que l’un des multiples indices et clefs de compréhension d’un long métrage qui invite le spectateur à participer activement à la quête du, ou plutôt des protagonistes principaux. 
Débutant par une vue subjective en plan séquence pour ensuite nous placer au coté des personnages, Exit 8 traduit à la perfection le statut des fameux PNJ des jeux vidéo, ces personnages non jouables dont la fonction première est de faire avancer la quête du héros en lui apportant des informations clefs. 
Expérience cinématographique aux multiples ramifications, Exit 8 pourrait tout aussi bien être une vision de l’Enfer où errent les âmes en peine, une allégorie de nos sociétés modernes où l’indifférence nous condamne à une vie vide de sens ou la représentation d’un utérus duquel nous restons prisonniers jusqu’au jour de notre naissance. 
Injonction au refus de l’indifférence et au manque d’attention envers notre prochain ponctué de visions horrifiques aussi fugitives que marquantes, Exit 8 réussit le pari de la représentation intelligente de l’essence même du jeu vidéo et d’une réflexion ludique sur nos sociétés repliées sur elles même, tout en abordant la question de la paternité et des responsabilités qu’elle implique.