jeudi 29 février 2024

Dune Partie 2

En 2021 Denis Villeneuve faisait le pari un peu fou d’adapter le roman tentaculaire de Franck Herbert sur grand écran. Malgré des impasses narratives inévitables (le mythe de l'ordre du Bene Gesserit n’est par exemple qu’effleuré), ce premier film évitait les écueils d’une exposition trop scolaire tout en posant les bases de la mythologie et de la chute de la maison Atréides. 
Trois plus tard le réalisateur canadien nous embarque de nouveau sur Arrakis en compagnie de Paul Atréides et de sa mère Lady Jessica qui voit en son fils le nouveau messie. Elle n’est pas la seule et le survivant de la maison Atréides va se retrouver à la croisée des chemins, déchiré entre ses aspirations personnelles et une destinée hors du commun. 
Spectacle de haut vol porté par la musique de Hans Zimmer, Ce deuxième volet embrasse à bras le corps les thèmes chers à Franck Herbert parmi lesquels le pouvoir des religions et les mécanismes du fanatisme sont les plus intéressants. 
Entre pouvoir et responsabilité, l’auteur et à travers lui le réalisateur interroge les arcanes du pouvoir et la manipulation des foules (« annoncez leur la venue d’un messie et ils l’attendront pendant des siècles » proclame Chani dont la supposée clairvoyance s’oppose frontalement à l’emprise de la mère de Paul et sa propension à semer les graines du fanatisme). 
Space opéra réjouissant malgré la multiplicité des personnages et des intrigues, la saga Dune pensée par Denis Villeneuve réussit le pari d’allier spectacle total et réflexion pertinente sur la naissance et les dérives d’une religion.

samedi 24 février 2024

Sleep

L’ennemi intime. Depuis que son mari est sujet à des crises de somnambulisme, Soo-jin ne dort plus. De comportements étranges à des pulsions suicidaires, Hyun-su devient dans son sommeil un étranger au sein de son propre foyer, un inconnu de plus en plus menaçant pour sa femme, son chien et bientôt leur nouveau-né. 
Entre les impasses de la médecine et la tentation de l’occulte, Soo-jin se sent peu à peu basculer dans une angoisse irrépressible dont elle ne perçoit pas l’issue pour elle et sa famille. 
Grand prix du dernier festival international du film fantastique de Gérardmer, le premier film du coréen Jason Yu entremêle adroitement les codes de la comédie grinçante voire franchement morbide proche du Parasite de Bong Joon-ho dont il fut par ailleurs l’assistant, et le film de pure épouvante plongeant ses racines dans le home invasion et le récit de fantôme indissociable de la culture asiatique. 
Métaphore d’un couple au bord de l’explosion et d’un pays divisé depuis des dizaines d’années, Sleep alterne les séquences de jour et de nuit, basculant d’un portrait en creux de la classe moyenne coréenne à une ambiance inquiétante quand l’être aimé se mue en menace mortelle. 
Habilement mené et porté par deux acteurs incarnés dont le regretté Sun-kyun Lee récemment décédé et à la mémoire duquel le film est dédié, Sleep aurait gagné en puissance à conserver cette ambiguïté sur laquelle repose une grande partie de l’intrigue sans proposer au spectateur une explication trop évidente. 
Jason Yu signe un premier film parfaitement maitrisé et demeure l’une des figures montantes d’un cinéma coréen décidemment plein de promesses.

samedi 10 février 2024

Amelia’s Children

Si on ne pense pas forcément au Portugal quand on évoque le cinéma fantastique européen, le nouveau film du réalisateur Gabriel Abrantes s’est néanmoins fait remarquer au trente et unième festival de Gerardmer en remportant le prix du jury exæquo avec le franco-belge En attendant la nuit.
Et c’est bien dans la grande tradition des films horrifiques les plus classiques (demeure mystérieuse, malédiction familiale, sorcellerie, villageois hostiles) que se situe cette plongée en enfer pour Ed, jeune new-yorkais orphelin depuis sa naissance lorsqu’il découvre sa nouvelle famille au fin fond du Portugal. Après l’émoi des retrouvailles, sa petite amie Ryley commence à trouver sa nouvelle belle mère et son beau frère vraiment flippants. Et pour cause. 
S’il utilise toutes les ficelles des codes horrifiques, Gabriel Abrantes n’en oublie pas moins d’instiller une bonne dose de perversion dans cette histoire de quête de jeunesse éternelle sur fond d’inceste et de sacrifice d’enfant. 
Pression psychologique avec une montée en tension efficace et horreur physique lorsque l’on découvre cette figure maternelle défigurée par la chirurgie esthétique (le pendant moderne et sarcastique des sacrifices de vierges pour rester éternellement jeune), Amelia’s Children joue surtout avec une inversion des rôles pour prendre le spectateur à contre-pied. Témoin cette scène d’introduction où le véritable danger ne vient pas forcément de là où on l’attend, et le duo Ed et Ryley dont les stéréotypes masculins et féminins s’inversent continuellement (Ed est sujet à des crises de panique et passe son temps à être secouru tandis que sa fiancée endosse le rôle de l’héroïne qui pète des genoux à coups de marteau). 
Malgré un déroulé un tant soit peu prévisible, une réalisation convenue et quelques zones d’ombres dans le scénario, Amelia’s Children n’en demeure pas moins un film d’angoisse efficace qui explore avec une certaine impertinence les sentiers battus d’un genre horrifique qui ne demande qu’à se renouveler.

samedi 3 février 2024

Iron Claw

Il n’y a pas de malédiction mais une terrible tragédie, celle des frères Von Erich, catcheurs de père en fils soumis au joug d’un patriarche autoritaire et frustré qui voit en sa descendance la dernière occasion de ramener la ceinture du championnat du monde à la maison. 

Car The Iron Claw, la griffe de fer, c’est à la fois la prise emblématique de cette fratrie sur le ring que la mainmise d’un père toxique dont la soif de revanche sur une vie sans concession les conduira tous à leur perte. 

Pour incarner ce concentré d’histoire américaine, Sean Durkin met en scène des corps huilés et musclés à outrance offerts à des spectateurs avides de personnages iconique, des corps que l’on pousse dans leurs derniers retranchements et qui cassent en premier. Maladie, accident, perforation, fracture, ce sont bien les corps qui demandent grâce, juste avant que l’esprit ne bascule à son tour à la recherche d’un havre de paix qu’il ne trouvera que dans la mort. 

Réussite à tout prix, religion aveugle et armes à feu, The Iron Claw résume à lui seul tout un pan de la culture américaine dans ce qu’elle a de moins reluisant. Entre l’aveuglement d’une mère et l’acharnement d’un père, le film déroule son implacable trame avec une constante tension sous-jacente jusqu’à ce que le vernis finisse par craquer. 

Remarquable de maitrise et de retenue, la réalisation de Sean Durkin s’attache au plus près à ses personnages, les faibles comme les forts, des plus odieux aux plus touchants sans jamais tomber dans le pathos excessif ou l’apitoiement facile. 

Il n’y a pas de malédiction mais une masculinité toxique, un culte de l’effort poussé à son paroxysme et pour finir un dernier plan lumineux sur la famille de celui qui aura su briser le cercle et inculquer d’autres valeurs à ses propres enfants.