samedi 31 mars 2018

Hostiles

L’Amérique n’en finit pas de contempler son histoire à travers le prisme du cinéma dont le western demeure à ce jour le mètre étalon pour parler de la naissance et des fondements d’une nation en devenir. 
A ce jeu-là Scott Cooper entend bien remettre les pendules à l’heure concernant la sanglante confrontation des indiens natifs et des colons lorgnant sur ces immensités à conquérir. 
Dès la première scène, le réalisateur donne le ton. L’Amérique telle que nous la connaissons aujourd’hui est le fruit d’une longue guerre de territoire, une succession de batailles rangées et de massacres pour défendre son bien ou s’accaparer celui du voisin, au cœur d’un pays aux lois encore balbutiantes. La seule autorité qui prévale est celle que nous confère l’arme pendue au mur de la salle à manger, le reste n’est qu’un rapport de force entre les forces en présence. 
Dès lors qu’il emprunte le chemin de l’homme modelé, voire broyé par la guerre, Hostiles tient toute ses promesses. A mi-chemin entre Apocalypse Now et Impitoyable, le film suit les pas de Joseph Blocker que l’on nous décrit comme un boucher, un salaud parmi tant d’autre qui voue une haine tenace aux indiens. Tout comme William Munny incarné par Clint Eastwood, Joseph Blocker est une légende adulée ou haïe selon le camp dans lequel on se trouve, un homme écrasé par la spirale de violence dont il n’a jamais pu se défaire. Christian Bale incarne à la perfection ce personnage ambigu au bord du gouffre, obligé par sa hiérarchie d’escorter un chef de guerre Cheyenne malade pour son dernier voyage. 
S’ensuit alors un périple porté par une photographie magnifique où l’ensemble des protagonistes vont affronter la liste quasi exhaustive des figures imposées du western : Comanches, trappeurs, meurtrier en fuite, propriétaires terriens. Alors que la troupe est peu à peu décimée, chaque personnage se révèle à lui-même, basculant dans la folie ou cherchant au contraire un sursaut de vie dans les bras de l’autre. Le film nous entraine doucement vers un final que l’on pressent depuis un moment quand soudain tout s’accélère. 
Alors que Joseph Blocker multiplie un peu trop rapidement les gestes amicaux envers le chef indien, (SPOILER) la dernière fusillade décime tous les personnages pour ne laisser en vie que l’homme, la femme et l’enfant. Le réalisateur recompose, peut-être même inconsciemment, la figure tutélaire de l’Amérique, à savoir la sacro-sainte famille, symbole de l’ordre retrouvé. Et l’image du petit fils indien de Yellow Hawk engoncé dans un costume cravate aux cotés de sa mère adoptive laisse un goût amer. Si Scott Cooper avait à cœur de réhabiliter le sort des indiens, l’élimination hâtive de tous les protagonistes et l’occidentalisation du petit garçon survivant tendent au contraire à la normaliser par une réhabilitation de son héros de guerre au final assez maladroite. (FIN DU SPOILER) 
Hostiles avait tout pour être un grand film, son dernier quart d’heure en fait un plaidoyer gênant pour la colonisation des terres indiennes.

mardi 27 mars 2018

La forme de l'eau

Et si pour ne fois la bête emballait la belle ? 
Fidèle à son amour immodéré pour les monstres en tous genres et marqué à jamais par l’Etrange créature du lac noir de Jacques Arnold sorti en 1954, Guillermo del Toro nous propose une nouvelle aventure fantastique ancrée dans une Amérique en pleine Guerre Froide. 
Au cœur d’un laboratoire secret, Elisa rencontre une créature fruit de toutes les convoitises dont elle parviendra à percevoir la part d’humanité. Un sujet classique traité avec la grâce et l’intelligence que l’on connait à Guillermo del Toro depuis ses premiers films. 
Porté par un casting remarquable, de la fragile Sally Hawkins à l’inquiétant Michael Shannon, La forme de l’eau joue plus que jamais sur la partition musicale d’Alexandre Desplat ainsi que sur une palette de couleurs où dominent le vert et le rouge. Le vert pour le milieu aquatique dans lequel baigne le film dès les premières images, et le rouge lorsque surgissent le sang et le désir sexuel (Elisa s’achète les chaussures rouges convoitées dès lors que sa relation avec l’Amphibien est consommée). 
S’il renoue avec ses thèmes de prédilection, dont un final proche de celui du Labyrinthe de Pan, le réalisateur fait ici preuve d’une maturité nouvelle en traitant le désir féminin et l’acte sexuel de manière frontale. Multipliant les symboles explicites (l’eau, l’œuf), alternant des plans oniriques empreint d’une poésie envoutante avec des explosions de violence, Guillermo del Toro signe un nouveau film important, un cri d’amour à la tolérance et au panthéon du fantastique où virevoltent les petites fées du Labyrinthe de Pan qui reste à ce jour son chef d’œuvre insurpassable.