mercredi 29 février 2012

Bullhead

Le cinéma belge nous réserve décidemment bien des surprises. En 2004, Fabrice Du Welz invente le survival rural avec Calvaire, énorme claque et premier film totalement maitrisé. En 2012, Michael R. Roskam nous livre une autre bombe, un thriller rural étonnant et inclassable.
Le film suit l’itinéraire de Jacky, un éleveur qui pique ses bêtes aux hormones de croissance et qui a des liens plus ou moins étroits avec la mafia liée à ce trafic. Jacky, c’est aussi un petit garçon qui a subi un traumatisme épouvantable et qui tente vaille que vaille de se construire une identité en tant qu’homme.
Marqué par la quasi absence de musique et par une galerie de gueules toutes plus incroyables les unes que les autres. Les personnages qui traversent le film et les acteurs qui les interprètent sont tout simplement stupéfiants. La plus belle performance étant bien entendu celle de l’acteur principal Matthias Schoenaerts, une sorte de Tom Hardy belge, un condensé de violence et de fragilité qui laisse transparaitre à chaque plan le petit garçon mutilé qu’il ne cessera jamais d’être. Car Jacky traite ses bêtes comme lui-même, il leur injecte des hormones pour gagner plus d’argent, il se pique pour garder cet équilibre hormonale précaire que son propre corps ne peut plus assurer.
Si l’histoire nous fait pénétrer dans le quotidien de la petite mafia belge qui s’engraisse, c’est le cas de le dire, en commercialisant de la viande hormonée, Bullhead ne se contente pas d’être un simple thriller pour autant. Le film alterne avec équilibre des scènes ultra violentes, d’autant plus traumatisantes que la violence est toujours hors champs, des moments comiques assurés principalement par le duo de garagistes et la rivalité entre wallons et flamands absolument irrésistibles. Mais Bullhead ménage aussi des passages poétiques et touchants, comme les relations naissantes entre Jacky et Lucia, un amour bien évidemment condamné d’avance qui ne pourra se terminer que tragiquement.
La singularité du film ne tient pas seulement au milieu qu’il décrit ou au casting du film. Tout cela ne serait pas grand-chose sans une réalisation solide qui ne fait aucune concession et qui illustre parfaitement ces destins brisés. A l’heure des lancements hyper médiatisés et des films packagés à l’avance pour des consommateurs convaincus avant même d’entrer dans la salle, il est rare d’être vraiment surpris au cinéma. Bullhead est une vrai bonne surprise qui devrait ouvrir bien des portes à son réalisateur.

dimanche 5 février 2012

Millenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes

Quoi de plus normal que David Fincher, réalisateur de Seven et de Zodiac, soit séduit par l’adaptation du livre de Stieg Larsson dont l’un des principaux protagonistes est un serial killer de la pire espèce ? Stieg Larsson qui aurait d’ailleurs pu être influencé dans son histoire par le monumental Seven sorti bien avant qu’il n’écrive ses romans.
Mais au-delà du parcours de ce(s) tueur(s), c’est à une autres histoire de la Suède que nous convie l’auteur de la trilogie Millénium, une histoire marquée par le nazisme, celle d’un pays dont l’apparente normalité cache des secrets parfois bien lourds à porter. Un pays dont la famille Vanger est une sorte de parabole.
Cette histoire, le réalisateur l’a saisie à bras le corps pour nous livrer un film de 2H30 qui condense les centaines de pages et les multiples intrigues parallèle du roman d’origine. Bien évidemment, le scénariste Steven Zaillian a dû faire des choix et sacrifier certains passages ou personnages pourtant importants. C’est ainsi que Cecila Vanger passe presque au second plan et que son aventure avec le journaliste Mikael Blomkvist disparait complètement de l’histoire. De plus, le film propose une fin différente, conservant la clef de l’énigme mais la compressant afin de ne pas freiner le film dans son rythme. Mais la patte du réalisateur se ressent surtout dans des points de détails, comme ce lointain cri de femme montant de la cave alors que Mikael Blomkvist est en train de diner en compagnie de Martin Vanger et de sa compagne dans leur propre maison. Un détail rétrospectivement terrifiant pourtant absent du roman d’origine.
Dans les rôles principaux, Daniel Graig et Rooney Mara incarnent parfaitement les personnages imaginés par le romancier. Dans un rôle à l’exact opposé de l’agent 007, Daniel Graig est constamment dominé par son associée Lisbeth Salander. Que ce soit quand ils font l’amour ou quand elle lui sauve la vie, les rôles traditionnellement attribués à l’homme et à la femme dans les films sont ici parfaitement contraires. Témoin cette scène où, au cours d’une relation sexuelle, Daniel Graig veut discuter d’une hypothèse de travail avec Rooney Mara quand celle ci l’interrompt le temps qu’elle ait son orgasme. Cette dernière habite d’ailleurs totalement le personnage décalé du hacker asocial qui fait toute l’originalité du roman et complète admirablement bien le journaliste au bout du rouleau auquel elle s’associe et dont elle finit par tomber amoureuse.
Glaçant, inexorable, captivant, le film de David Fincher illustre donc à merveille le roman Stieg Larsson et parvient non seulement à capter l’essence même de l’histoire (l’intrigue et le contexte sous jacent), à condenser un roman fleuve en un film parfaitement maitrisé de bout en bout, mais encore à nous proposer des personnages en parfaite adéquation avec leur modèle de papier.