Pour ceux et celles qui comme moi étaient adolescents en 1988, la prise d’otage des gendarmes dans la grotte d’Ouvéa évoque nécessairement quelque chose. Un fait divers marquant mais jamais clairement expliqué et depuis lors oublié par la plupart des gens. Mathieu Kassovitz décide qu’il est temps de dépoussiérer cette affaire et de faire la lumière sur ce qui se révèlera comme un drame humain bien plus grave que ce que les médias et politiques de l’époque avaient bien voulu laisser paraitre.
Le film suit la succession des évènements qui aboutissent à l’assaut final sous forme de compte à rebours menant inéluctablement vers l’issue dramatique que l’on connait. Pour ce retour à la réalisation, Mathieu Kassovitz prend son temps. Les pales des hélicoptères et la musique grave et hypnotique rythment le parcours douloureux de Philippe Legorjus, capitaine du GIGN dont la mission est habituellement de négocier avec des preneurs d’otages.
Mais en Nouvelle Calédonie et dans le contexte des élections présidentielles opposant Chirac et Mitterand, la situation est tout autre. Le gouvernement dépêche l’armée sur place, les évènements ne sont pas, ou peu couverts par les médias, et surtout les preneurs d’otages sont eux-mêmes pris en otages par les enjeux politiques français. Tous les éléments sont en place pour que la situation dégénère, ce qui ne manque pas d’arriver.
Pour reconstituer de manière aussi fidèle que possible la succession de décisions qui ont abouti au massacre final, Mathieu Kassovitz effectue un impressionnant travail de recherche et livre un film qui n’élude pas son sujet. Il cite clairement les politiques en place à ce moment là, la soif de pouvoir qui domine tout autre chose et particulièrement la valeur d’une vie humaine. Un peu long dans sa première partie (le film aurait gagné à être raccourci d’un bon quart d’heure), L’Ordre et la Morale suit le parcours de deux hommes.
Alphonse Dianou, le chef des preneurs d’otages dont les principes et les idéaux l’enferment peu à peu dans une situation qui le dépasse. Et surtout Philippe Legorjus qui, tout en cherchant à trouver une solution pacifique au conflit n’en applique pas moins les ordres qui lui sont donnés en bon soldat. Un homme tiraillé entre ce qu’il croit et ce qu’on lui dit de faire, un homme qui essaie tant qu’il peut de sauver des vies mais qui finit par s’incliner devant les décisions, pourtant criminelles, de ses supérieurs. Un homme avec ses forces et ses faiblesses, son courage et ses lâchetés que le réalisateur a le courage de montrer tel qu’il est. Ni héros ni parfait salaud, un fonctionnaire qui, à défaut de pouvoir changer le système s’y plie et s’arrange avec sa conscience.
L’ordre et la Morale est un film courageux, lucide, une dénonciation de plus des exactions commises au non de l’intérêt national. Le sujet est captivant, le traitement l’est un peu moins faute d’une mise en scène que l’on aurait voulu plus tendue et nerveuse. Il n’en reste pas moins que c’est un film indispensable.