dimanche 8 mars 2009

Gran Torino

On n’avait pas vu Clint Eastwood devant et derrière la caméra depuis le magnifique Million dollars baby. Gran Torino marque donc son retour en tant qu’acteur et constitue une étape essentielle de l’une des filmographies les plus impressionnantes du cinéma américain.
Walt Kowalski est un vétéran de la guerre de Corée qui vient de perdre sa femme. Patriotique, raciste et misanthrope, il ne supporte pas plus ses voisins asiatiques que sa famille. Lorsqu’il intervient pour défendre un jeune asiatique attaqué par un gang, il va malgré lui changer le cours de sa vie et apprendre à dépasser ses préjugés.
Dire que Gran Torino est un film bilan ou que Walt Kowalski est le résumé des personnages les plus marquants que Clint a interprété à l’écran serait réducteur. Car Gran Torino est avant tout un grand film qui ravira les connaisseurs les plus fins de sa filmographie comme ceux qui le découvrent.
Il est cependant évident que ce grand réalisateur et cet acteur immense a mis beaucoup de lui-même, ou plutôt de l’image qu’il a donnée de lui durant toute sa carrière, pour construire ce personnage de dur à cuire. Walt Kowalski pourrait en effet être l’inspecteur Harry Callahan à la retraite. Mais lorsqu’il prend sous son aile le jeune Tao, il nous renvoie directement à l’entraineur Frankie Dunn de Million dollar baby. Et comment ne pas penser au William Munny crépusculaire d’Impitoyable quand Walt Kowalski est hanté par les horreurs de son passé ?
Gran Torino brasse donc les thèmes chers au réalisateur (l’apprentissage, la rédemption, le sacrifice) et constitue en cela une pierre de plus dans une filmographie qui devient de plus en plus cohérente et impressionnante au fil des années. Comme à son habitude, Clint soigne tout autant les dialogues que la musique, composée en partie par son fils Kyle, ou la direction d’acteur. Le personnage de Sue interprétée par la talentueuse Ahney Her est particulièrement bien servi par des dialogues qui font mouche, et qui lui permette de lutter à armes égales avec un Walt Kowalski plus bourru que jamais.
Si l’on devait trouver un seul défaut au film, ce serait d’ailleurs sur ce dernier point. Clint se croit obligé de grimacer et de grogner pour renforcer ce coté chien méchant alors qu’un seul regard suffit à nous faire comprendre ce que cache ce personnage plus complexe qu’il n’en a l’air. Quand il fait mine de pointer un revolver avec deux doigts tendus vers une bande de jeunes délinquants, il est cent fois plus menaçant que n’importe quel Bruce Willis ou Mel Gibson armé jusqu’aux dents.
Les blagues racistes (et très second degrés) que se lancent Walt Kowalski et son coiffeur, la prise en compte de cette réalité multi culturelle des Etats Unis, ce refus d’un manichéisme facile et dangereux font de Gran Torino un film sur la tolérance, souvent extrêmement drôle sur les sujets les plus sensibles. Alors qu’il rejette toute idée de confession et qu’il ne ménage pas le jeune prêtre obstiné qui tente de le comprendre, Walt Kowalski accepte de se faire « lire » par un chaman asiatique. Il trouve chez ces voisins culturellement totalement différents de lui plus de chaleur et de compréhension qu’au coté de ses deux fils qu’il n’a jamais su comprendre.
Quand au final le film prend le chemin d’une histoire de vengeance et que le réalisateur nous mène tout droit vers cette issue, Clint a l’intelligence d’emprunter un chemin de traverse et, dans un ultime pied de nez aux détracteurs qui le traitaient de facho à l’époque de Dirty Harry, nous offre une belle leçon de courage.

samedi 7 mars 2009

Watchmen

Jusqu’à présent, Zack Snyder s’est illustré comme un adaptateur brillant d’œuvres cinématographiques ou littéraires.
Avec l’Armée des morts, il réalise le remake réussi du Zombie de Romero, avec un film davantage tourné vers l’action que son model dont il choisit de ne pas creuser la critique sous jacente de notre société de consommation. 300 est l’illustration de la bande dessinée homonyme de Franck Miller, une œuvre esthétiquement superbe, techniquement maitrisée mais qui reste froide, d’une beauté désincarnée. En s’attaquant à l’adaptation sur grand écran des Watchmen, Zack Snyder relève un pari à priori impossible à tenir.
Le comic de Alan Moore et Dave Gibbons est en effet considéré à juste titre comme une pierre angulaire de la mythologie des super héros, une œuvre à priori inadaptable sur laquelle bon nombre de réalisateurs, et non des moindres, se sont cassés les dents. Force est de constater que le réalisateur a gagné son pari.
L’histoire des Watchmen se déroulent dans un monde alternatif. Nous sommes en 1985, Nixon est toujours au pouvoir, les Etats Unis ont gagné la guerre du Viet Nam grâce à la présence de Docteur Manhattan, un être supérieur, autrefois humain, qui, après un accident est capable de matérialiser et dématérialiser la matière, vivante ou inerte. Il représente à ce titre une force de dissuasion majeure pour les ennemis des Etats Unis, la Russie en tête, et assure ainsi un fragile équilibre entre les puissances atomiques.
Alors que des groupes de justiciers masqués faisaient régner l’ordre dans les rues depuis les années 60, une loi promulguée en 1977 interdit leurs activités. Les derniers à être démantelés seront les Watchmen, composés de 6 membres. Il y a Rorschach, toujours en activité malgré la loi, un homme asocial bien décidé à nettoyer les rues de la ville de tout vice. Le Hibou qui a décroché et qui vit dans le souvenir du passé. Le Spectre Soyeux, seule femme du groupe étouffée par sa mère et compagne du Dr Manhattan. Ozymandias, le premier à avoir révélé son identité au grand jour, à présent richissime homme d’affaire. Le Dr Manhattan devenu un être supérieur que la destiné de l’espèce humaine indiffère de plus en plus. Et enfin le Comédien, un homme cynique et violent, devenu barbouze à la solde de l’Etat.
L’histoire débute par le meurtre du Comédien. Une organisation semble s’en prendre aux anciens justiciers masqués, sur fond de conflit nucléaire imminent accéléré par l’exil du Dr Manhattan sur Mars.
Le comic fleuve brasse tellement de thèmes, politiques, sociologiques, psychologiques, qu’il faudrait une série de plus de 10 heures pour arriver à l’adapter fidèlement. Zack Snyder a pris le parti d’en ignorer les intrigues secondaires et de se concentrer sur les personnages principaux. Il en résulte un film de presque 3 heures interdit au moins de 12 ans. Ce qui signifie que le réalisateur, refusant tout compromis, a réussi à imposer à la production sa vision de l’œuvre initiale, se coupant par la même d’une partie des spectateurs venus voir un énième film de super héros. Et donc d’une part de revenu substantiel. C’est la première victoire d’un homme dont on ne peut qu’admirer l’intégrité.
Par exemple, le Dr Manhattan se promène généralement nu. Pour un être qui se dématérialise à loisir, la notion de vêtement est en effet assez secondaire. Quand il le film de face, Zack Snyder nous le montre donc tel qu’il est, sexe y compris. Cela peut paraitre anecdotique mais c’est tout simplement impensable dans la grande majorité des films américains actuellement produit.
Le réalisateur prend quelques libertés avec le comic et ne se contente pas, comme avec 300, de l’illustrer case par case. Ainsi, lorsque Rorschach intercepte un violeur de petite fille, on le voit dans le comic tuer ses chiens avec un hachoir, puis attacher le violeur avec des menottes, l’arroser d’essence et lui donner une scie avant de mettre le feu. S’il veut s’en sortir vivant, le violeur devra se scier les bras (c’est d’ailleurs une scène que l’on retrouve presque exactement dans le Mad Max de Georges Miller, simple coïncidence ?). Dans le film, le meurtre des chiens est éclipsé alors que l’on voit Rorschach s’acharner au hachoir sur le violeur. De même, le film nous montre clairement le Comédien assassinant JFK alors que le comic nous le laisse seulement deviner. Ces détails mis à part, on ne peut que constater que l’œuvre d’origine est non seulement respectée mais admirablement bien portée à l’écran, grâce à des choix de mise en scène et de montage intelligents. L’’interview télévisée du Dr Manhattan est montée en parallèle avec l’attaque par une bande de voyous du Hibou et du Spectre Soyeux. Nous assistons alors presque simultanément aux accusations portées contre le Dr Manhattan soupçonné de contaminer ses proches par radioactivité, qui le conduiront à l’exil, et à la violente bagarre du Hibou et du Spectre Soyeux qui marque le début d’une prise de conscience et leur retour sur le devant de la scène. Un être disparait et deux autres se réveillent.
A la différence de 300, on s’attache aux personnages qui ont tous une véritable identité, et qui représentent la quintessence même de bon nombre de super héros plus connus. Prenons le Hibou, sa cave secrète et ses gadgets perfectionnés, ajoutons lui le coté mondain, l’intelligence, la dextérité et l’immense fortune d’Ozymandias, et pour finir le refus de toute concession, la connaissance des bas fonds les plus sordides et cette volonté inextinguible de nettoyer la ville de Rorschach, et nous obtenons le personnage de Batman. Ce même Rorschach combiné avec les méthodes et l’armement du Comédien aboutissent au Punisher. Tout comme dans le Dark Knight de Franck Miller, se pose la question de la légitimité de ces justiciers dont certains font respecter les lois et d’autres imposent leurs propres lois. Who watch the Watchmen ?
La réussite du film tient donc avant tout à l’extraordinaire richesse du comic mais aussi au talent de Zack Snyder qui a su combiner un scénario intelligent avec une bande son étonnante (de Dylan à Simon et Garfunkel), qui a eu l’intelligence de ne pas prendre de stars pour incarner ses personnages, qui prouve une fois de plus sa maitrise technique pour raconter une histoire complexe qui transcende les thèmes abordés. Attendons de voir ce qu’il fera avec un sujet original mais pour le moment, il a réussi avec brio à mettre en image une œuvre phare et complexe, et rien que pour cela il a droit à toute notre estime.