On n’avait pas vu Clint Eastwood devant et derrière la caméra depuis le magnifique Million dollars baby. Gran Torino marque donc son retour en tant qu’acteur et constitue une étape essentielle de l’une des filmographies les plus impressionnantes du cinéma américain.
Walt Kowalski est un vétéran de la guerre de Corée qui vient de perdre sa femme. Patriotique, raciste et misanthrope, il ne supporte pas plus ses voisins asiatiques que sa famille. Lorsqu’il intervient pour défendre un jeune asiatique attaqué par un gang, il va malgré lui changer le cours de sa vie et apprendre à dépasser ses préjugés.
Dire que Gran Torino est un film bilan ou que Walt Kowalski est le résumé des personnages les plus marquants que Clint a interprété à l’écran serait réducteur. Car Gran Torino est avant tout un grand film qui ravira les connaisseurs les plus fins de sa filmographie comme ceux qui le découvrent.
Il est cependant évident que ce grand réalisateur et cet acteur immense a mis beaucoup de lui-même, ou plutôt de l’image qu’il a donnée de lui durant toute sa carrière, pour construire ce personnage de dur à cuire. Walt Kowalski pourrait en effet être l’inspecteur Harry Callahan à la retraite. Mais lorsqu’il prend sous son aile le jeune Tao, il nous renvoie directement à l’entraineur Frankie Dunn de Million dollar baby. Et comment ne pas penser au William Munny crépusculaire d’Impitoyable quand Walt Kowalski est hanté par les horreurs de son passé ?
Gran Torino brasse donc les thèmes chers au réalisateur (l’apprentissage, la rédemption, le sacrifice) et constitue en cela une pierre de plus dans une filmographie qui devient de plus en plus cohérente et impressionnante au fil des années. Comme à son habitude, Clint soigne tout autant les dialogues que la musique, composée en partie par son fils Kyle, ou la direction d’acteur. Le personnage de Sue interprétée par la talentueuse Ahney Her est particulièrement bien servi par des dialogues qui font mouche, et qui lui permette de lutter à armes égales avec un Walt Kowalski plus bourru que jamais.
Si l’on devait trouver un seul défaut au film, ce serait d’ailleurs sur ce dernier point. Clint se croit obligé de grimacer et de grogner pour renforcer ce coté chien méchant alors qu’un seul regard suffit à nous faire comprendre ce que cache ce personnage plus complexe qu’il n’en a l’air. Quand il fait mine de pointer un revolver avec deux doigts tendus vers une bande de jeunes délinquants, il est cent fois plus menaçant que n’importe quel Bruce Willis ou Mel Gibson armé jusqu’aux dents.
Les blagues racistes (et très second degrés) que se lancent Walt Kowalski et son coiffeur, la prise en compte de cette réalité multi culturelle des Etats Unis, ce refus d’un manichéisme facile et dangereux font de Gran Torino un film sur la tolérance, souvent extrêmement drôle sur les sujets les plus sensibles. Alors qu’il rejette toute idée de confession et qu’il ne ménage pas le jeune prêtre obstiné qui tente de le comprendre, Walt Kowalski accepte de se faire « lire » par un chaman asiatique. Il trouve chez ces voisins culturellement totalement différents de lui plus de chaleur et de compréhension qu’au coté de ses deux fils qu’il n’a jamais su comprendre.
Quand au final le film prend le chemin d’une histoire de vengeance et que le réalisateur nous mène tout droit vers cette issue, Clint a l’intelligence d’emprunter un chemin de traverse et, dans un ultime pied de nez aux détracteurs qui le traitaient de facho à l’époque de Dirty Harry, nous offre une belle leçon de courage.