mardi 16 juillet 2024

Horizon : une saga américaine chapitre 1

Le projet est monumental, raconter en quatre chapitres la naissance de l’Amérique moderne, celle des pionniers et de l’occupation des territoires indiens avec en toile de fond la guerre de Sécession et l’expansion des premières villes surgies de paysages encore vierges de toute modernité. 
Un pari que le scénariste producteur réalisateur et acteur Kevin Costner semble en train de perdre si l’on en croit les mauvais résultats au box-office de cette partie introductive de trois heures et la sortie repoussée du deuxième volet. Et pourtant quel film.
S’il ne cède pas à la facilité des ressorts narratifs propres aux séries télévisuelles avec une exposition parfois très brute de personnages surgis de nulle part et des intrigues qu’il faut saisir en cours de route, le premier chapitre de cette saga américaine reste passionnant et d’une ampleur folle. 
Portée par un casting au cordeau et une écriture qui ne devrait révéler sa puissance qu’au bout des quatre films, Horizon alterne les passages à fleur de peau (le départ des jeunes recrues pour le front) et des moments de bravoure impressionnants dont l’attaque des colons par les Apaches reste le point d’orgue.
Impitoyable avec ses protagonistes et rigoureux dans sa reconstitution historique, le film de Kevin Costner fait souffler un vent épique sur le western vu comme la matrice des Etats-Unis d’Amérique tels que nous les connaissons aujourd’hui. 
Si la multitude des personnages et des intrigues se prêterait naturellement au format d’une série télé (on pense notamment à DeadWood), Kevin Costner fait le pari fou du grand écran. 
Difficile de juger de l’œuvre avant sa conclusion finale dont les dernières images de ce chapitre 1 nous donnent un avant-goût, mais que ce soit par l’ampleur du projet ou le plaisir que l’on prend à parcourir ces grands espaces, on croise les doigts pour que le film trouve enfin son public et permette à son réalisateur de clore une saga qui s’annonce magistrale.

dimanche 14 juillet 2024

Longlegs

 

Une jeune recrue du FBI traumatisée par un drame survenu pendant son enfance doit faire face à un tueur machiavélique et déchiffrer les indices qu’il sème derrière lui. Sur le papier Lonlegs coche toutes les cases pour s’inscrire dans la lignée des meilleurs films d’horreur de ces dernières années. 
On pense bien sûr au Silence des agneaux avant que l’intrigue ne bifurque vers le satanisme et l’ambiance trouble chère à la série True Detective. Hélas Nicolas Cage n’est pas Anthony Hopkins et Oz Perkins n’a pas le talent d’écriture et de mise en scène de Nic Pizzolatto et Cary Joji Fukunaga. 
Porté par une esthétique volontairement datée et des effets de style lourdement appuyés, Longlegs hurle à chaque plan son désir d’apporter sa pierre à l’édifice de cette nouvelle vague fantastique passionnante portée par Ari Aster ou David Robert Mitchell. Et la présence de la toujours impeccable Maika Monroe est d’ailleurs le seul lien tangible avec le formidable It Follows sorti dix ans plus tôt. 
Car malgré quelques effets marquants et des idées de mise en scène intéressantes comme l’apparition progressive du visage du tueur, Longlegs déroule une succession de scènes attendues sans prendre le temps de développer ses personnages auxquels on ne s’attache pas vraiment. 
Trauma et tueur d’enfant, satanisme et enquête du FBI, tout y passe et le réalisateur déroule une liste des passages obligés du film d’horreur faussement vintage et tellement désireux de s’approprier le genre qu’il en oublie le spectateur en chemin. 
Le plan final enfonce le dernier clou du cercueil avec un Nicolas Cage en roue libre tellement ridicule qu’il en devient embarrassant et involontairement parodique. 
On préférera se replonger dans la première saison de True Detective, son interprétation exemplaire et son écriture au cordeau pour écouter le Diable nous murmurer à l’oreille.

mardi 9 juillet 2024

Le Comte de Monte-Cristo

Un millionnaire misanthrope et masqué, une croisade où se mêlent justice et vengeance, la disparition tragique du père et la trahison d’un ami cher. Difficile de croire que Bob Kane ne s’est pas inspiré du personnage d’Alexandre Dumas pour créer son Batman en 1939, car oui le Comte de Monte-Cristo contient en substance tous les éléments fondateurs du super-héros iconique de l’univers DC. 
Et c’est bien cet univers romanesque d’une richesse incroyable que les réalisateurs et scénaristes Matthieu Delaporte et Alexandre De La Patellière, déjà responsables de l’adaptation en deux volets des Trois Mousquetaires, sont allés chercher pour cette nouvelle illustration de l’œuvre d’Alexandre Dumas. Une veine qui ne semble pas prête de se tarir si l’on en croit les projets de spin off en cours. 
Si le Comte de Monte-Cristo puise son inspiration dans la culture populaire au sens le plus large du terme, on frôle parfois le fantastique lors des multiples apparitions d’Edmond Dantès et sa propension à se tirer des situations les plus périlleuses, et propose de ce fait une matière encore plus prompte à l’aventure que les Trois Mousquetaires, il faut reconnaitre au duo de réalisateurs un souffle épique et une volonté de spectacle débridé que l’on ne rencontre que rarement dans le cinéma français. 
Ne lésinant pas sur les moyens et le cadre historique parfaitement reconstitué, le Comte de Monte-Cristo s’appuie sur une partition musicale de premier plan et une distribution en parfaite adéquation avec une galerie de personnages aussi nombreux que hauts en couleurs pour servir une intrigue tortueuse à souhait.
Dense sans jamais perdre le spectateur en chemin, tour à tour épique et intimiste, et moins académique que les Trois Mousquetaires, ce nouveau Comte de Monte-Cristo met surtout en lumière une direction d’acteurs exemplaire et un casting de premier plan tout entier au service de son histoire. 
Si le film tire un peu en longueur, trois heures tout de même, on imagine mal comment mieux condenser cette incroyable histoire de vengeance aux multiples ramifications qui met à la portée de tous l’imagination foisonnante d’un romancier trop longtemps sous-estimé.

samedi 6 juillet 2024

Elyas

Elyas est un ancien militaire, membre des Forces Spéciales traumatisé par la guerre. Lorsqu’il revient d’une mission en Afghanistan, il n’est que l’ombre de lui-même, un homme brisé, psychologiquement instable et profondément solitaire. Poussé par un ancien compagnon d’arme il accepte néanmoins de servir de garde du corps à une adolescente et sa mère, richissimes membres d’une famille royale du Moyen-Orient exilée en France. L’enlèvement de Nour va précipiter les choses et réveiller le guerrier qui sommeille en lui. 
Sur le papier Elyas ressemble à s’y méprendre à une énième variation de Man on Fire réalisé vingt ans plus tôt par Tony Scott, lui-même inspiré librement par le film d’Elie Chouraqui de 1987. Et les similitudes entre les deux films sont légion, à commencer par la relation fusionnelle entre l’ancien soldat meurtri et la petite fille trahie par son père. 
Mais là où Florent-Emilio Siri tire son épingle du jeu c’est dans le caractère profondément paranoïaque de son récit. En faisant d’Elyas un homme instable et perturbé sous traitement médical, il instille un doute permanent sur la véracité des évènements se déroulant sous nos yeux. 
Entre complot et folie, Elyas entraine le spectateur dans une course poursuite effrénée qui ne laisse que peu de temps morts et réserve de belles surprises, comme cet affrontement sauvage dans l’espace exigu d’un camping-car, modèle de découpage d’une redoutable efficacité. 
Sans révolutionner les canons du genre, Elyas capitalise sur la présence minérale d’un Roschdy Zem une fois de plus impeccable en ours mutique et une mise en scène qui assume ses ambitions de film d’action tout en laissant la part belle aux émotions de personnages ambigus mais finalement attachants.

lundi 24 juin 2024

Vice Versa 2

En 2015 Pixar ajoutait une pierre de plus à son édifice déjà impressionnant avec cette plongée irrésistible dans la tête de la petite Riley âgée de 11 ans et dont les émotions s’emballent alors que la famille emménage dans une nouvelle ville. L’occasion de faire connaissance avec Joie, Peur, Colère, Tristesse et Dégoût en compétition permanente pour contrôler l’existence d’une petite fille attachante mais un peu perdue. 
En 2024 Riley est devenue adolescente et s’il y a bien un âge où les émotions échappent à toute logique c’est justement la puberté et son cortège de sentiments contradictoires. Le terrain idéal pour une suite attendue mais qui, comme ce fut le cas pour tous les plus grands succès de Pixar (Cars, Les Indestructibles, Monstres et Compagnie et tant d’autres) n’arrivera jamais à atteindre l’émotion du premier opus. 
Après une introduction lourdement explicative pour nous remettre en mémoire les protagonistes historiques, l’histoire débute enfin avec un cadre nouveau. Exit le déménagement pour laisser place à un stage de hockey qui, malgré un contexte plus fourni (l’amitié mise à mal par un changement de lycée) n’en restera pas moins l’intrigue principale d’une histoire un peu trop simpliste du point de vue de Riley. 
Du coté des émotions au contraire c’est la frénésie permanente avec deux fois plus de personnages mais un focus quasi permanent sur Angoisse alors que des sentiments comme Ennui, Envie ou Embarras auraient mérité plus de place. On a un peu l’impression d’assister au même périple que dans le premier opus et de visiter de nouveau des lieux emblématiques comme  la Mémoire à long terme, le Pays de l’Imagination, la Pensée Abstraite, ou la Production des Rêves et, malgré quelques bonnes surprises ce deuxième voyage perd son charme initial. 
Loin d’être ennuyeux ou bâclé, Vice Versa 2 reste un divertissement de haut niveau mais avec un sujet aussi riche, on ne peut s’empêcher de lui préférer Alerte Rouge qui, sur un thème similaire, arrivait à se hisser à un niveau de réflexion plus abouti sans pour autant sacrifier un spectacle de tous les instants.

dimanche 16 juin 2024

Les guetteurs

C’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes. C’est ce qu’a dû se dire Ishana Shyamalan en se lançant dans la réalisation d’un premier film qui aurait pu, à quelques détails près, être réalisé par son père et dont il reprend les principaux ressorts dramatiques. 
Après un prologue efficace mais déjà vu une bonne dizaine de fois durant lequel un randonneur perdu dans une forêt disparait brutalement sous nos yeux, place au personnage de Mina incarné par Dakota Fanning qui, si elle a bien grandi depuis Man on fire, n’en conserve pas moins une belle présence à l’écran. 
On n’en dira pas autant de son personnage au pathos bien chargé et dont nous découvrirons le secret par une série de flash-back plus ou moins bien amenés. 
Tombée en panne de voiture dans la fameuse forêt, Nina trouve refuge dans une maison isolé habitée par trois autres réfugiés obligés de se mettre en scène tous les soir pour les mystérieux gardiens des lieux.
Après un postulat de départ intriguant et une première partie tout à fait intéressante qui renvoie une fois encore vers la filmographie de papa Shyamalan crédité à la production, le Village en tête, le film bascule ensuite dans une succession de révélations hasardeuses et une sortie de route malheureusement prévisible quand il joue la carte des bons sentiments au profit de la terreur pure. 
Prise de risque minimum donc pour cette première expérience qui, si elle manque singulièrement de personnalité propre n’en demeure pas moins efficace pendant la première heure et présage du meilleur lorsque, à l’image de Jennifer Lynch, Ishana Shyamalan aura réussi à tuer le père pour trouver sa propre voie.

samedi 25 mai 2024

Furiosa

Alors que la jeune Furiosa coule des jours heureux au sein d’une oasis entourée par des hordes de barbares, elle est arrachée à son clan, fait prisonnière, assiste impuissante à la mort de sa mère et grandit au milieu de ses ravisseurs jusqu’à ce qu’elle soit relâchée, devienne une combattante émérite, se venge et passe du statu de walkyrie à celui d’Imperator lors du final de Fury Road dont Furiosa constitue le prequel. 
Si ce scénario fait écho à de lointains souvenirs de cinéphile c’est qu’il est calqué presque trait pour trait sur l’épopée de Conan le barbare écrit et réalisé par John Milius quarante ans plus tôt.
George Miller cimente son film de références multiples, emprunte à son propre panthéon en reproduisant parfois à l’identique les spectaculaires cascades de Fury Road (l’attaque du Porte-Guerre devient un passage obligé depuis Mad Max 2), autant qu’à une imagerie religieuse appuyée lorsque Furiosa quitte à deux reprises le jardin d’Eden (le véritable paradis lorsqu’elle est enfant et le simulacre d’éden lors de l’évasion des concubines d’Immortan Joe) en cueillant un fruit. 
Alors oui, ce nouvel opus de la saga Mad Max tient toutes ses promesses en termes de spectacle total, de cascades chorégraphiées à la seconde près et de personnages iconiques dont la plupart pourraient faire l’objet d’un film à part entière. 
Pourtant, alors que George Miller a pour habitude de nous parachuter en pleine action dés les premières minutes du film, il prend ici le temps d’un long prologue pour poser l’intrigue et les personnages et compose avec Dementus un méchant (trop) bavard et poseur loin du charisme animal tout en menace larvée d’un Immortan Joe dans le précédent opus. 
Si l’énergie est toujours présente, on sent que, contrairement aux précédents épisodes de la saga, Furiosa a tendance à tirer sur la corde et recycler des idées déjà exploitées avec plus de brio. 
Entre de nombreux morceaux de bravoures et les digressions d’un Dementus à la limite du cabotinage, Furiosa aura au moins le mérite de prolonger le frisson de Fury Road qui ne constituait en son temps qu’une version dopée aux stéroïdes et extrêmement jouissive d’un Mad Max 2, à jamais le seul et unique mètre étalon en matière de cinéma post apocalyptique.

dimanche 19 mai 2024

When Evil Lurks

Drôle de film que ce long métrage argentin aussi fauché que les Terrifier de Damien Leone et animé par la même volonté de s’ancrer dans le cinéma de genre avec une énergie communicative et un goût assumé pour les excès et le gore. 
On se croirait presque revenu quarante ans plus tôt en plein âge d’or d’un cinéma bis italien hargneux et dérangeant, parfois un peu foutraque et boiteux mais diablement rafraichissant dans son économie de moyen et son inventivité. Et la découverte du premier infecté semble d’ailleurs tout droit sorti de l’Enfer des zombies d’un certain Lucio Fulci qui n’aurait pas renié le massacre à venir. 
Encouragé par les règles entourant l’éradication du mal qui s’empare d’une bourgade rurale, notamment l’interdiction d’utiliser des armes à feu sous peine de se retrouver soi même possédé, les protagonistes font la part belle aux armes blanches pour commettre leurs méfaits, nous offrant ainsi quelques scènes de meurtre du plus bel effet. 
Film de possession et d’invasion, When Evil Lurks illustre la déliquescence des corps et des âmes d’une communauté repliée sur elle-même et joue avec nos sens pour exacerber une atmosphère rapidement anxiogène. Que ce soit sur le plan sonore (les mots répétés en boucle par Jair) ou visuel (la glace qui coule sur ses doigts, la pouriture omniprésente et la décomposition des chairs), le film de Demián Rugna insuffle dès les premiers plans un malaise qui ne nous quittera pas. 
Handicapé par des seconds rôles peu convaincants (la mère et la femme de Pedro mal servies par des dialogues à rallonge et une interprétation peu convaincante) et des passages explicatifs interminables et maladroits (le trajet en voiture pour fuir la ville), When Evil Lurks ne parvient pourtant jamais à se hisser à la hauteur de ses glorieux modèles. 
Il n’en reste pas moins une proposition de cinéma sincère, plombée par une écriture trop approximative mais témoignant d’un véritable amour au cinéma d’exploitation.

lundi 29 avril 2024

Civil War

This is fucking war ! 
Ça y est, nous y sommes et les Etats Unis sont passés d’une société fracturée à une véritable guerre civile où des états armés font sécession contre le gouvernement fédéral. 
Mais plus que l’aspect politique du conflit, le film pourrait se dérouler dans n’importe quel pays du monde, c’est bien la guerre dans toute son horreur et sa brutalité, et la couverture de l’information que le réalisateur prend à bras le corps à travers une série de vignettes illustrant le périple d’un groupe de journalistes dans un pays dévasté. 
Dans Civil War il est question de reporters plutôt que de soldats, de déshumanisation plutôt que d’héroïsme. Car, et c’est le pari risqué du film, les personnages principaux de ce voyage au bout de l’enfer n’ont rien de sympathiques. 
Reporters de guerre shootés à l’adrénaline ou lessivés à force de regarder l’horreur droit dans les yeux, apprentie journaliste prête à tout pour faire sa place, l’humain n’existe plus à travers l’objectif d’un appareil photo et les cadavres ont beau s’entasser sur le bord du chemin, le principal reste l’interview ultime ou le cliché mythique. On pleurera les morts plus tard si on les pleure, et on se forge une carapace tellement épaisse pour durer dans le métier et éviter de sombrer dans la folie que l’on en perd sa propre humanité. 
Alex Garland conclut son film par une séquence glaçante mais avant cela le réalisateur d’Annihilation et de Men nous embarque dans un périple sur le fil du rasoir et d’une tension extrême, la traversée d’une Amérique en feu où tout peut arriver, surtout le pire, et où des soldats en uniforme affrontent les services secrets du Président à coup d’armes automatiques dans une Maison Blanche en proie aux flammes. 
Reflet déformant d’une réalité de plus en plus anxiogène, Civil War reste avant tout le portrait d’individus qui, livrés à eux même, sont capables des pires atrocités et de la froideur la plus totale pour s’en faire le témoin. Eprouvant et pourtant désespérément lucide.

samedi 20 avril 2024

Monkey Man

Retrouver la star de Slumdog Millionaire derrière et devant la caméra d’un film de baston énervé produit par Jordan Peele a de quoi éveiller la curiosité si ce n’est une attente fébrile. 
Le résultat, s’il n’est pas toujours à la hauteur de la hype générée par le film, est assez honnête pour susciter une bienveillance immédiate. 
Film d’action aux influences multiples, des récentes pellicules indonésiennes et thaïlandaises en termes de combats chorégraphiés jusqu’aux canons du genre américains pour la caractérisation du héros, Monkey Man puise à la fois dans l’iconographie de la culture indienne et dans les stéréotypes d’un genre très codifié. 
D’un divertissement très premier degrés à une dimension sociale exacerbée quand le personnage principal s’érige en défenseur des opprimés, les hijras (transgenres et homosexuels) en tête, le film de Dev Patel oscille constamment entre brutalité crue et onirisme, saillie gore et sentimentalisme à l’eau de rose, spectacle primaire et brûlot politique parfois naïf. 
Immergé dans les traditions hindoues par la figure du dieu Hanuman, le film n’en demeure pas moins résolument connecté à une modernité tout aussi prégnante en Inde, symbole de la prédation des plus riches et d’une avidité à peine voilée par le vernis du fanatisme religieux, des brutalités policières et des manœuvres politiques. 
Maladroit, épuisant dans son éclectisme, codifié à l’extrême et pourtant unique en son genre, Monkey Man est suffisamment sincère et généreux dans sa démesure pour engendrer la sympathie.

dimanche 14 avril 2024

La Malédiction : l'origine

Une jeune religieuse américaine se retrouve en Italie, enceinte malgré elle, dans un couvent peuplé de personnages inquiétants et de nonnes austères qui fomentent en secret un complot visant à restaurer la toute puissance de l’église, quitte pour cela à jouer avec des forces qui les dépassent.
Hasard du calendrier ou fuite malencontreuses, le scénario de ce prequel du film de Richard Donner ressemble tellement à celui d’Immaculée sorti sur les écrans français deux semaines plus tôt que la comparaison devient inévitable. Et si les deux films partagent un personnage principal porté par une interprète totalement investie dans son rôle (épatantes Sydney Sweeney dans Immaculée et Nell Tiger Free dans La Malédiction : l'origine qui a bien grandi depuis son rôle de Myrcella Baratheon dans Game of Thrones), la ressemblance s’arrête là. 
Car là où Immaculée réussissait à condenser en une heure trente un film de genre engagé et rageur, La Malédiction : l'origine étire sur deux heures une intrigue qui aurait gagné à plus de concision, coincée entre un cahier des charges obligatoire et des efforts manifestes pour développer sa propre identité. Et c’est précisément sur ce point que réside l’intérêt du film. 
Au travers de quelques scènes chocs, d’une mise en scène soignée et de la prestation de Nell Tiger Free, le film d’Arkasha Stevenson réussit à exister par lui-même tout en respectant les codes de la série (le prologue semble d’ailleurs tout droit sorti du film original de 1976). 
Moins viscéral et frontal qu’Immaculée, La Malédiction : l'origine n’en demeure pas moins un préquel à la fois fidèle et incarné d’une saga qui n’a pas inspiré que des chefs d’œuvres.

lundi 8 avril 2024

Pas de vagues

Comme le personnage d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, Julien aimerait changer la vie de ses élèves, ou du moins leur laisser un souvenir impérissable, celui du professeur de collège dont on reparle des dizaines d’années après avec reconnaissance et un brin de nostalgie dans la voix. 

Comme tant d’autres professeurs, Julien passe ses journées entre une falaise et un précipice. Le mur administratif et le bloc de ses collègues dont la bienveillance de principe ne supporte que mal leur remise en cause, et le numéro de funambule qu’il exécute chaque jour devant une classe qu’il tient à bout de bras comme une charge de nitroglycérine qui ne demande qu’un choc pour exploser. 

Ce choc, ce sera une expression mal interprétée, un traitement de faveur maladroit, un enchainement de quiproquos et de rumeurs aussi explosifs qu’une trainée de poudre. Alors commence une lente mais inexorable descente aux enfers que rien ni personne ne pourra enrailler. 

Des cours de récréations aux classes en passant par la salle des profs, la caméra de Teddy Lussi-Modeste suit ses acteurs au plus près et dresse le portrait sans concession d’une machine administrative et d’un corporatisme dont la nocivité passive n’a rien à envier à la brutalité d’élèves à la dérive. 

Si l’on peut reprocher au film un parti pris trop centré sur le professeur alors que le point de vue de Leslie n’est que trop tardivement explicité, Pas de vague se regarde comme un thriller passionnant dont la montée en tension s’accompagne d’une photographie glaçante de la solitude des professeurs confrontés à des situations qui les dépassent.

samedi 23 mars 2024

Immaculée

Le personnage de la nonne, au même titre que les soldats nazis ou les prisonniers, fait l’objet d’un sous genre à part entière du cinéma d’exploitation qui connut son zénith dans les années 70 à 80 en Europe et au Japon. 
C’est donc dans la lignée de la nunsploitation et son cortège de passages obligés (nonnes inquiétantes, couvent austère, châtiments corporels, imagerie chrétienne) que Michael Mohan situe son nouveau film. Mais s’il exploite à fond les codes du genre er tire le meilleur parti de ces lieux cloitrés dissimulant les secrets les moins avouables, le réalisateur américain ne se cantonne pas pour autant au film d’épouvante standard ponctués par les habituels jump scares. 
D’une durée salutaire d’à peine une heure trente, Immaculée dénote des productions actuelles par un montage aussi discret qu’efficace qui déroule habilement son histoire sans aucun temps mort. 
Incarnés par une pléiade d’actrices impeccables (seul Alvaro Morte semble se contenter du minimum syndical), les personnages déambulent dans des couloirs sombres où les portes claquent et les planchers grincent en plein milieu de la nuit. Mais malgré quelques effets convenus destinés à faire sursauter le spectateur à un rythme de métronome, Immaculée ne sombre que rarement dans la facilité et se hisse au-dessus des films d’horreur habituel par une réalisation et une direction d’acteur maitrisées de bout en bout. 
Gentiment anticlérical à ses débuts, le film sombre dans sa dernière demi-heure dans une rage nihiliste qui nous laisse pantois et haletant, souffrant avec une héroïne hissée bien malgré elle au rang d’icone féministe pourfendeuse de l’autorité ecclésiastique. 
De son prologue jusqu’au dénouement final, Immaculée tient les spectateurs en haleine et s’impose dés à présent comme l’une des meilleures surprises horrifiques de ce début d’année.

jeudi 29 février 2024

Dune Partie 2

En 2021 Denis Villeneuve faisait le pari un peu fou d’adapter le roman tentaculaire de Franck Herbert sur grand écran. Malgré des impasses narratives inévitables (le mythe de l'ordre du Bene Gesserit n’est par exemple qu’effleuré), ce premier film évitait les écueils d’une exposition trop scolaire tout en posant les bases de la mythologie et de la chute de la maison Atréides. 
Trois plus tard le réalisateur canadien nous embarque de nouveau sur Arrakis en compagnie de Paul Atréides et de sa mère Lady Jessica qui voit en son fils le nouveau messie. Elle n’est pas la seule et le survivant de la maison Atréides va se retrouver à la croisée des chemins, déchiré entre ses aspirations personnelles et une destinée hors du commun. 
Spectacle de haut vol porté par la musique de Hans Zimmer, Ce deuxième volet embrasse à bras le corps les thèmes chers à Franck Herbert parmi lesquels le pouvoir des religions et les mécanismes du fanatisme sont les plus intéressants. 
Entre pouvoir et responsabilité, l’auteur et à travers lui le réalisateur interroge les arcanes du pouvoir et la manipulation des foules (« annoncez leur la venue d’un messie et ils l’attendront pendant des siècles » proclame Chani dont la supposée clairvoyance s’oppose frontalement à l’emprise de la mère de Paul et sa propension à semer les graines du fanatisme). 
Space opéra réjouissant malgré la multiplicité des personnages et des intrigues, la saga Dune pensée par Denis Villeneuve réussit le pari d’allier spectacle total et réflexion pertinente sur la naissance et les dérives d’une religion.

samedi 24 février 2024

Sleep

L’ennemi intime. Depuis que son mari est sujet à des crises de somnambulisme, Soo-jin ne dort plus. De comportements étranges à des pulsions suicidaires, Hyun-su devient dans son sommeil un étranger au sein de son propre foyer, un inconnu de plus en plus menaçant pour sa femme, son chien et bientôt leur nouveau-né. 
Entre les impasses de la médecine et la tentation de l’occulte, Soo-jin se sent peu à peu basculer dans une angoisse irrépressible dont elle ne perçoit pas l’issue pour elle et sa famille. 
Grand prix du dernier festival international du film fantastique de Gérardmer, le premier film du coréen Jason Yu entremêle adroitement les codes de la comédie grinçante voire franchement morbide proche du Parasite de Bong Joon-ho dont il fut par ailleurs l’assistant, et le film de pure épouvante plongeant ses racines dans le home invasion et le récit de fantôme indissociable de la culture asiatique. 
Métaphore d’un couple au bord de l’explosion et d’un pays divisé depuis des dizaines d’années, Sleep alterne les séquences de jour et de nuit, basculant d’un portrait en creux de la classe moyenne coréenne à une ambiance inquiétante quand l’être aimé se mue en menace mortelle. 
Habilement mené et porté par deux acteurs incarnés dont le regretté Sun-kyun Lee récemment décédé et à la mémoire duquel le film est dédié, Sleep aurait gagné en puissance à conserver cette ambiguïté sur laquelle repose une grande partie de l’intrigue sans proposer au spectateur une explication trop évidente. 
Jason Yu signe un premier film parfaitement maitrisé et demeure l’une des figures montantes d’un cinéma coréen décidemment plein de promesses.

samedi 10 février 2024

Amelia’s Children

Si on ne pense pas forcément au Portugal quand on évoque le cinéma fantastique européen, le nouveau film du réalisateur Gabriel Abrantes s’est néanmoins fait remarquer au trente et unième festival de Gerardmer en remportant le prix du jury exæquo avec le franco-belge En attendant la nuit.
Et c’est bien dans la grande tradition des films horrifiques les plus classiques (demeure mystérieuse, malédiction familiale, sorcellerie, villageois hostiles) que se situe cette plongée en enfer pour Ed, jeune new-yorkais orphelin depuis sa naissance lorsqu’il découvre sa nouvelle famille au fin fond du Portugal. Après l’émoi des retrouvailles, sa petite amie Ryley commence à trouver sa nouvelle belle mère et son beau frère vraiment flippants. Et pour cause. 
S’il utilise toutes les ficelles des codes horrifiques, Gabriel Abrantes n’en oublie pas moins d’instiller une bonne dose de perversion dans cette histoire de quête de jeunesse éternelle sur fond d’inceste et de sacrifice d’enfant. 
Pression psychologique avec une montée en tension efficace et horreur physique lorsque l’on découvre cette figure maternelle défigurée par la chirurgie esthétique (le pendant moderne et sarcastique des sacrifices de vierges pour rester éternellement jeune), Amelia’s Children joue surtout avec une inversion des rôles pour prendre le spectateur à contre-pied. Témoin cette scène d’introduction où le véritable danger ne vient pas forcément de là où on l’attend, et le duo Ed et Ryley dont les stéréotypes masculins et féminins s’inversent continuellement (Ed est sujet à des crises de panique et passe son temps à être secouru tandis que sa fiancée endosse le rôle de l’héroïne qui pète des genoux à coups de marteau). 
Malgré un déroulé un tant soit peu prévisible, une réalisation convenue et quelques zones d’ombres dans le scénario, Amelia’s Children n’en demeure pas moins un film d’angoisse efficace qui explore avec une certaine impertinence les sentiers battus d’un genre horrifique qui ne demande qu’à se renouveler.

samedi 3 février 2024

Iron Claw

Il n’y a pas de malédiction mais une terrible tragédie, celle des frères Von Erich, catcheurs de père en fils soumis au joug d’un patriarche autoritaire et frustré qui voit en sa descendance la dernière occasion de ramener la ceinture du championnat du monde à la maison. 

Car The Iron Claw, la griffe de fer, c’est à la fois la prise emblématique de cette fratrie sur le ring que la mainmise d’un père toxique dont la soif de revanche sur une vie sans concession les conduira tous à leur perte. 

Pour incarner ce concentré d’histoire américaine, Sean Durkin met en scène des corps huilés et musclés à outrance offerts à des spectateurs avides de personnages iconique, des corps que l’on pousse dans leurs derniers retranchements et qui cassent en premier. Maladie, accident, perforation, fracture, ce sont bien les corps qui demandent grâce, juste avant que l’esprit ne bascule à son tour à la recherche d’un havre de paix qu’il ne trouvera que dans la mort. 

Réussite à tout prix, religion aveugle et armes à feu, The Iron Claw résume à lui seul tout un pan de la culture américaine dans ce qu’elle a de moins reluisant. Entre l’aveuglement d’une mère et l’acharnement d’un père, le film déroule son implacable trame avec une constante tension sous-jacente jusqu’à ce que le vernis finisse par craquer. 

Remarquable de maitrise et de retenue, la réalisation de Sean Durkin s’attache au plus près à ses personnages, les faibles comme les forts, des plus odieux aux plus touchants sans jamais tomber dans le pathos excessif ou l’apitoiement facile. 

Il n’y a pas de malédiction mais une masculinité toxique, un culte de l’effort poussé à son paroxysme et pour finir un dernier plan lumineux sur la famille de celui qui aura su briser le cercle et inculquer d’autres valeurs à ses propres enfants.

samedi 20 janvier 2024

Godzilla Minus One

En 1947 le Japon se remet difficilement d’un double traumatisme. L’impact de deux bombes nucléaires sur les villes de Hiroshima et Nagasaki et la honte nationale d’une reddition qui met fin à la Seconde Guerre Mondiale. Sans compter une tutelle américaine humiliante qui interdit au pays toute défense armée et qui, contrairement à l’Allemagne, l’empêchera de tourner durablement l’une des pages les plus sombres de son histoire. 
Ces deux blessures béantes sont symbolisées dans ce nouvel opus du plus célèbre des Kaijū par les deux personnages principaux. Le premier est Koichi, un kamikaze hanté par une double trahison lorsqu’il refuse de se suicider aux commandes de son avion et quand il fuit un premier affrontement avec Godzilla, laissant ses mécaniciens se faire massacrer sous ses yeux sans intervenir. 
Allégorie de la société japonaise telle qu’elle se perçoit au lendemain de la guerre et incarnation de l’humiliation d’un pays entier mais aussi d’une certaine forme de résistance en refusant son rôle de kamikaze, Koichi ne pourra aller de l’avant et continuer à vivre qu’en se rachetant en affrontant l’autre face de ce double traumatisme, Godzilla en personne, gigantesque monstre incarnant à la fois la puissance et la terreur du nucléaire, créature tout droit sortie de la mer à la fois nourricière et source de toutes les menaces quand on vit sur une île. 
Ancré dans son époque, l’immédiat après-guerre, et volontiers critique vis-à-vis du gouvernement japonais et des institutions, Godzilla Minus One allie drame intimiste autour de la cellule familiale tour à tour détruite et reconstruite et des scènes de destruction massives caractéristiques de la saga. Des batailles maritimes aux affrontements terrestres, le nouveau film de Takashi Yamazaki fait la part belle à une créature plus iconique que jamais et parfaitement terrifiante dans son potentiel de destruction aveugle. 
Si le film aurait gagné à écourter certaines scènes plus intimistes autour de son personnage principal Koichi et de son trauma, il n’en reste pas moins un épisode majeur de l’une des franchises les plus emblématiques de l’histoire récente d’un pays entier.