Saluons tout d’abord l’inventivité des distributeurs français qui ont transformé le titre du film et du roman dont il est tiré, Revolutionary Road, qui transcrit parfaitement l’essence même du film, en Noces rebelles, titre inadapté et limite racoleur.
Ce qui n’enlève rien à la force du nouveau film de Sam Mendes qui, dans la droite ligne d’American Beauty, continue à explorer la face obscure de l’American way of life, aidé en cela par des acteurs brillants.
Kate Winslet retrouve d’ailleurs là un rôle qu’elle avait un peu approché dans Little Children. Elle retrouve aussi Leonardo DiCaprio avec qui elle formait le couple romantique de Titanic. Si Jack et Rose avaient survécu au naufrage du Titanic, on peut d’ailleurs imaginer avec un peu de cynisme que Les noces rebelles en est la suite, quelques années plus tard.
Il est ici question d’un couple d’américains moyens des années 50 qui s’installe dans une banlieue plutôt aisée des États Unis. Quand ils se rencontrent, Franck et April Wheeler sont deux jeunes adultes pleins d’illusions et d’ambitions. Le monde leur appartient et rien ne pourra les empêcher de vivre leurs rêves. Celui d’être actrice de théâtre pour April. Mais le quotidien prend vite le dessus, ils ont des enfants, des voisins, Franck part chaque matin rejoindre des collègues de bureau dans un travail qui ne lui plait pas. April est une mère au foyer prisonnière de sa maison pavillonnaire. Ils s’enferment peu à peu dans une vie sans éclat. Alors que Franck semble s’en contenter, April refuse de faire le deuil de ses rêves et rejette ce quotidien trop banal et ce destin si prévisible. Ce sera le début d’une faille irrémédiable qui se creuse entre eux et qui les séparera définitivement.
On peut interpréter ces Noces rebelles de deux manières.
Franck peut être vu comme un homme à la recherche d’un bonheur simple qui tente tant bien que mal d’assurer à sa famille une vie stable et tranquille alors que sa femme pourchasse les chimères d’une vie pleine d’éclat, cherchant toujours plus loin un bonheur illusoire qu’elle ne peut trouver chez elle.
On peut aussi voir en April une femme qui se bat pour garder intacte cette volonté de vivre, non pas mieux mais pleinement, en accomplissant ses rêves, ou en essayant au moins une fois avant de s’avouer vaincue. Franck représente alors la lâcheté des hommes, prêts à sacrifier ses illusions pour une vie tranquille et confortable, entre femme et maitresse, travail et foyer.
C’est comme cela que je perçois ce film qui fait mouche et qui nous renvoie à notre propre bilan. Et nous, qu’avons-nous fait de nos rêves ?
Les noces rebelles est un film sous pression constante qui ne laisse que peu de répits au spectateur. La quasi-totalité du film se déroule dans des endroits clos, le bureau de Franck ou sa maison. Entre les disputes du couple, le désespoir de ces deux amants qui se déchirent, les relations de voisinage qui dégénèrent, l’atmosphère est lourde et nous entraine vers un final que l’on devine fatal.
Cette radiographie de vies sacrifiées au confort et à cette illusion de bonheur pour April prend tout son sens quand Franck et sa femme annoncent à leur entourage leur décision de partir pour Paris. On sent alors le sentiment de réprobation des voisins, des collègues de Franck qui eux, restent prisonniers de leur quotidien, n’ayant pas la force ou la volonté de s’en extirper. Cette période de leur vie où ils préparent leur départ sera d’ailleurs le seul moment de bonheur partagé pour eux, et la seule bouffée d’oxygène pour le spectateur. Comme dans les tragédies antiques, la vérité est proclamée par un fou, ici John Givings qui sort de l’asile et qui est le seul à dire ce que tout le monde pense.
Franck et April se sont rencontrés et reconnus par la force de leurs rêves, et c’est tout un monde qui les séparera peu à peu. Le contexte social de l’époque (l’homme travaille et la femme reste au foyer), mais aussi leurs relations à ce monde. Ainsi, lorsque Franck trompe sa femme avec une secrétaire, c’est pour assouvir ses instincts et se reconnaitre en tant qu’homme. Alors qu’April le fera par désespoir.
Et quand à la fin elle acceptera pour la dernière fois de jouer son rôle de femme modèle, cette scène de bonheur factice, sorte de mauvaise publicité pour la vie au foyer des années 50, sera sa dernière représentation en tant qu’actrice. April rêvait de jouer sur les planches pour mieux vivre sa vie. La société lui impose de jouer sa propre vie et de renoncer à ses illusions. Elle sort alors par la seule issue qui lui reste après une dernière représentation.