dimanche 8 juin 2014

The Rover

La première scène de The Rover donne tout de suite le ton de ce qui va suivre. On y voit Eric, interprété par un Guy Pearce hagard, en un long plan fixe contemplatif. C’est le mode de narration que va choisir David Michôd pour raconter l’étrange périple post apocalyptique de deux hommes que tout, à priori, oppose. 
Dans une Australie ravagée par on ne sait quelle crise ou conflit, règne la loi du plus fort. Même si l’on y croise encore ce qui ressemble de près ou de loin à des forces de l’ordre ou des militaires, la plupart des crimes restent impunis, du moins par les institutions. Car l’adage œil pour œil, dent pour dent est plus que jamais d’actualité, et la vie humaine n’a que peu de valeur dans cette société déliquescente. Pourtant, on est encore loin du monde sauvage dominé par une anarchie brutale des Mad Max, du Livre d’Eli ou encore de La Route. 
Plutôt que de verser dans l’anticipation pure et dure, le réalisateur ancre son récit dans un monde qui pourrait être celui des premiers colons du Far West ou du bush australien. Un monde dominé par la loi du plus fort mais encore structuré par un minimum de règles sociales. Car ce qui intéresse davantage David Michôd c’est le parcours de ses personnages, leur cheminement intérieur autant que leur voyage à l’issu forcement tragique. 
Porté par un Guy Pearce toujours aussi habité par son rôle et par une photographie sublime mettant en valeur la moindre parcelle de lumière de ces paysages désertiques écrasés de soleil, le film portait en lui les germes d’un road movie sec et violent en constant équilibre sur le fil ténu de la folie. Mais c’est sans compter une lenteur qu’il faut être prêt à accepter pour faire partie du voyage. 
David Michôd ne connait pas le sens du mot ellipse et c’est peu de le dire. Quand un personnage est perdu dans ses pensées pendant dix minutes, le réalisateur le filme en plan fixe pendant le temps imparti. On peut trouver cela hypnotique, contemplatif, ou tout simplement ennuyeux. Nul doute en tout cas que le film aurait gagné à être plus rythmé sans pour autant perdre sa profondeur et son charme, au contraire. En se voulant trop introspectif, David Michôd prend le risque de laisser pas mal de spectateur sur le bord du chemin.

vendredi 30 mai 2014

Days of Future Past

Les toutes premières images du film nous envoient dans un futur apocalyptique, un monde en ruine ravagé par des guerres incessantes où des engins gigantesques charrient des tombereaux de cadavres dans des décharges à ciel ouverts. Cela pourrait être l’univers de Terminator dominé par Skynet mais il n’en est rien. C’est le futur tel qu’il sera suite à une guerre ouverte entre humains et mutants, une guerre déclenchée par le meurtre de Bolivar Trask, futur créateur des Sentinelles par Mystique. Sauf si les mutants rescapés du futur peuvent empêcher cet évènement en envoyant l’un des leurs dans le passé. Le futur cauchemardesque n’est donc pas le seul point commun entre ce nouvel épisode des X Men et la saga des Terminator puisque le voyage dans le temps est l’un des axes principaux du film qui nous promène entre différentes époques. 
Days of Future Past fait donc le lien entre X Men First Class et la première trilogie en conviant chaque génération de mutants pour une aventure à cheval entre passé et futur. Et c’est bien là la grande force de Bryan Singer que de construire film après film (en tant que réalisateur ou producteur) une saga d’une cohérence incroyable, où chaque épisode s’imbrique dans le suivant avent de remettre en cause en un film tout ce que nous venons de voir précédemment. Car sans en dévoiler la fin, le film se conclue dans une réalité découlant d’un passé modifié qui rend caduque absolument tous les précédents films. Logan n’a plus de griffes ni d’ossature en adamantium, Jean Grey n’est pas devenu le Phénix Noir, et ainsi de suite. Il faut un sacré culot pour ainsi déconstruire une saga entière et poser comme nouvelle pierre fondatrice ce qui n’aurait pu être qu’une réalité parallèle. 
X men s’impose donc comme la saga la plus aboutie et passionnante de l’écurie Marvel, même si Days of Future Past n’est peut-être pas l’épisode le plus réussi. Alors que dans First Class Matthew Vaughn parvenait à équilibrer l’ensemble de ses personnages avec un sens de la mise en scène admirable, le foisonnement des mutants présents dans Days of Future Past impose forcement des choix. Bryan Singer met en avant bien évidemment Magnéto et Xavier entourés de Wolverine, Mystique, le Fauve, Vif Argent et un William Stryker en devenir. Tornade, Kitty Pride, Iceberg et tant d’autres ne font que de la figuration, alors que Cyclope et Diablo pour ne citer qu’eux disparaissent carrément du casting. 
Si le film souffre d’une certaine lenteur au milieu de l’histoire, le réalisateur nous rappelle tout de même qu’il maitrise les scènes d’action comme nul autre (la scène d’ouverture de l’attaque des Sentinelles est à ce titre exemplaire) et qu’il sait parfaitement distiller une bonne dose d’humour quand il le faut (avec entre autre le personnage du Vif Argent). 
Fidèle à sa réputation de saga adulte, X Men traite de sujets graves (la discrimination entre humains et mutants renvoyant aux heures les plus noires de la Seconde Guerre Mondiale, l’utilisation politique des forces militaires) et ancre son histoire dans la grande Histoire. C’est d’ailleurs ce qui fait l’une des grandes forces du film et qui accentue son ancrage dans l’esprit du spectateur. Voir Magnéto lié de près ou de loin aux évènements de Dallas, évoquer la crise des missiles de Cuba ou la vraie nature de JFK est non seulement malin mais nécessaire pour la dimension politique du film qui ne se cantonne pas à un simple divertissement pyrotechnique. 
La scène post générique annonce ce qui devrait être le dernier volet d’une saga unique en son genre. Malgré les déclarations péremptoires des producteurs qui annoncent un film catastrophe « à la Roland Emmerich », faisons confiance à Bryan Singer pour conclure en beauté l’une des adaptations les plus réussies de super héros à l’écran.

dimanche 18 mai 2014

Godzilla

Attention, cet article contient des spoilers, il est préférable d’avoir vu le film avant de le lire. 

Après avoir enflammé un peu rapidement la toile avec ses premiers trailers, la bête se dévoile enfin sur grand écran. Pour quel résultat ? 
Gareth Edwards n’est jamais aussi bon que quand il filme l’infiniment grand ou le profondément intime. En effet, la première partie du film repose en grande partie sur les liens filiaux qui unissent les personnages et sur une menace à peine suggérée qui aura des conséquences désastreuses sur les destinées de chacun. Le réalisateur choisit d’ailleurs de rapidement couper court à cette atmosphère pourtant prometteuse en confiant à Juliette Binoche l’un des rôles les plus courts de sa carrière, tandis que Bryan Cranston gagnera à peine quelques minutes supplémentaires à l’écran. C’est d’autant plus dommage que la scène de contamination durant laquelle Joe Brody condamne involontairement sa femme et ses collègues à une mort certaine est d’une rare intensité. Suite à la disparition de ces personnages fondateurs pour la suite, place à l’action (les militaires) et à la nouvelle génération (Aaron Taylor-Johnson en mode martial, Elizabeth Olsen assez improbable en mère de famille du haut de ses vingt-cinq ans). 
Le film se positionne alors sur une voie beaucoup plus conventionnelle mettant en scène l’éternelle divergence de point de vue entre les scientifiques désireux d’étudier, sinon de protéger les créatures, et les militaires toujours promptes à dégainer l’arme nucléaire pour régler le problème. Un fil conducteur classique donc, mais néanmoins brillamment mis en scène par un réalisateur visiblement amoureux des créatures gigantesques qu’il filme. A l’instar d’un Guillermo del Toro et de son Pacific Rim, Gareth Edwards prend un plaisir évident à filmer les affrontements monstrueux de Godzilla et des deux autres créatures au milieu de villes américaines et japonaises transformées en champ de ruines et en cimetières géants. Visiblement soucieux de respecter ses ainés, le réalisateur multiplie les clins d’œil, volontaires ou non. 
On passe ainsi de Jurassic Park et l’apparition du Tyrannosaure (lorsque le chauffeur de bus découvre l’arrivée de Godzilla sur le pont à travers sa vitre), à Pacific Rim (les affrontements titanesques des créatures antédiluviennes) en passant par le King Kong de Peter Jackson (la mise à mort de la créature femelle par Godzilla renvoie directement à celle du T Rex par le grand singe) et Aliens (le climax de la découverte du fossile géant au tout début, la créature femelle qui pond ses œufs à la fin). Cette nouvelle version de Godzilla assure donc pleinement sa part du spectacle sans pour autant sacrifier le point de vue des personnages et leur part d’humanité. 
Cela en fait-il un film réussi pour autant ? Revenons à la première apparition du Godzilla en 1954, soit moins de dix ans après les traumatisants bombardements nucléaires du Japon. La créature filmée par Ishiro Honda symbolise alors la peur du nucléaire tout autant qu’une nature toute puissante que l’homme ne pourra jamais asservir. Dans la version de 2014, le point de vue est tout autre. Godzilla nous est présenté comme un dinosaure survivant depuis des milliers d’années. Alors que dans le film original Godzilla était la résultante des essais nucléaires, il en est ici la victime et se rapproche davantage des multiples séquelles qui ont fait les beaux jours de la Toho dans les années soixante et soixante-dix, à savoir un monstre finalement sympathique qui défend l’espèce humaine contre d’autres prédateurs beaucoup plus agressifs. 
Le film se conclut sur une image surréaliste voyant la bonne grosse bête retourner tranquillement dans l’océan après avoir sauvé notre civilisation de monstres carburant à l’énergie atomique (il faut les voir gober des ogives nucléaires comme des olives), non sans avoir dévasté des villes entière. On s’attendrait presque à le voir nous adresser un clin d’œil complice avant de plonger les abimes jusqu’à un prochain épisode tributaire de ses résultats au box-office. 
Le réalisateur, ou les studios, mais le résultat est le même, choisit donc la voie du blockbuster sans se préoccuper une minute de la nature même du mythe qu’il reprend. C’est dommage car le film est truffé de moment de grâce et Gareth Edwards avait tout pour se hisser au niveau de Pacific Rim.

vendredi 9 mai 2014

Sabotage

Loin du second degré et de l’action somme toute assez aseptisée d’Expendables, Sabotage constitue pour Arnold Schwarzenegger son premier film d’action hard boiled depuis son retour aux affaires. Ce qui n’en fait pas pour autant un bon film. David Ayer ayant précédemment œuvré sur des films très recommandables, il revient ici à ce qu’il connait le mieux, c’est-à-dire l’intrigue policière tordue et le film de commando d’élite (il a été scénariste sur SWAT). On pouvait dès lors imaginer que Sabotage marquerait le vrai retour de Schwarzenegger sur le devant de la scène, comme ce fut le cas pour Stallone avec le très réussi John Rambo. Hélas il n’en est rien. Non pas que le film soit dénué de qualités certaines, loin de là. Il s’offre déjà une distribution solide autour de l’inoxydable Arnold, dont l’interprétation se résume à trois expressions, le meilleur personnage revenant à un Sam Worthington méconnaissable en agent d’élite de la DEA. L’équipe de John "Breacher" Wharton est donc constituée de vraies gueules complétement raccord avec leurs interprètes. 
Peu avare en scènes d’action, le réalisateur a le mérite de les filmer de manière claire et frontale. Le film verse d’ailleurs régulièrement dans le gore quand les têtes éclatent sous l’impact des balles, que les tripes des victimes pendent du plafond ou que le sang gicle sur les murs. Sabotage est à ce niveau d’une brutalité assumée, ce qui s’ajoute à une caractérisation des personnages et une absence de morale assez peu commune également. Sans trop en dévoiler, le personnage de leader interprété par Schwarzenegger porte la responsabilité de tout ce qui arrive à son équipe, et c’est peu dire que le poids en est lourd à porter. 
D’une noirceur totale jusque dans son dénouement final, Sabotage fait endosser à Schwarzenegger un rôle au final peu reluisant. Tout cela aurait pu suffire à en faire un film diablement intéressant. Hélas, c’est sans compter deux handicaps de poids qui tirent irrémédiablement le film vers le bas. 
Le premier est le scénario, alambiqué et tortueux au point que l’on a du mal à suivre les multiples dénouements de l’histoire. Plus qu’une intrigue complexe, on a l’impression de voir passer des bribes d’histoires que les scénaristes auraient eues du mal à coller entre elles. 
Le deuxième problème vient des dialogues, tour à tour ridicules (la palme revient au personnage du détective Caroline Brentwood interprété par Olivia Willams particulièrement bien servie en répliques qui tuent) au caricatural (les échanges entre John "Breacher" Wharton et son équipe testostéronée).
C’est d’autant plus dommage que le film assume sa violence mais pas sa noirceur, et devient de ce fait un film d’action basique se caricaturant lui-même avant de perdre en route bon nombre de spectateurs.

lundi 21 avril 2014

Heli

Heli, le nom raisonne comme une annonce de l’enfer qui va s’abattre sur la famille de ce jeune mexicain prit malgré lui dans les rouages du trafic de drogue. Pour son troisième film qui a obtenu à Cannes le prix de la mise en scène, le réalisateur Amat Escalante choisit de coller au plus près de ses personnages. Cela se traduit par des choix narratifs (nous sommes immergés dans le quotidien d’une famille pauvre comme il y en a des milliers au Mexique) autant que formels (les angles de prises de vues depuis l’intérieur des véhicules par exemple). Car si le trafic de drogue est l’élément déclencheur de la série de drames qui va bouleverser les vies des différents protagonistes, c’est bien du quotidien d’une certaine catégorie de la population mexicaine plus que des narco trafiquants dont traite le réalisateur. Abandonnant d’emblée tout effet de manche (nous sommes loin de l’esthétique de Cartel par exemple), Amat Escalante filme des acteurs pour la plupart non professionnels qui incarnent des personnages communs écrasés par la violence d’un environnement hors norme. 
Car c’est bien là le vrai sujet du film, cette violence banalisée qui culmine lors d’une scène de torture d’autant plus glaçante qu’elle est filmée frontalement, de manière complètement décomplexée et qu’elle est assimilée comme un acte normal par l’ensemble des protagonistes présents dans la pièce.
Violence physique donc, mais également sociale et culturelle. Les hommes s’accrochent à un emploi précaire pour faire vivre leur famille tandis que les femmes sont cantonnées à la maison, souvent loin de chez elles et contraintes de partager le même toit que leur belle famille. L’interdiction d’avorter provoque la multiplication des mères filles, obligeant celles-ci à abandonner leurs études pour se consacrer trop tôt à des enfants la plupart du temps non désirés. C’est cette réalité-là que nous montre Amat Escalante, cette violence non dite démultipliée par une autre réalité, celle du trafic de drogue, des brutalités policières et de la corruption généralisée. 
Refusant toute facilité (un certain nombre de faits resteront inexpliqués ou partiellement abordés, comme les problèmes de santé de la femme d’Heli qui se refuse constamment à lui), le réalisateur oscille constamment entre un cinéma hyper réaliste et symbolique. Témoin cette omniprésence des chiens qui semblent accompagner les différents personnages tout au long de leur chemin de croix, ou l’inspectrice qui offre à Heli une poitrine toute fellinienne. 
Le film se clôt sur un couple en train de faire l’amour, comme l’aboutissement d’une trop longue frustration sexuelle trainée pendant tout le film, et sur l’image d’Estela tenant dans ses bras le bébé de son frère. Estela, victime muette de violences d’autant plus insupportables qu’elles ne nous sont que suggérées, Estela qui pourrait symboliser à elle seule toute la détresse du peuple mexicain.

jeudi 10 avril 2014

Noé

Drôle de film que ce Noé, mélange aussi improbable qu’hétéroclite entre morceaux de bravoure héroïques et passages d’une naïveté désarmante. Il faut dire que l’histoire, inspiré de l’Ancien Testament, n’est pas commune, et que selon les sensibilités (que l’on croit que le monde a été créé par Dieu en sept jours ou que l’on soit adepte de la théorie de l’évolution), on l’appréhendera forcément de manière différente. Et c’est bien là que le bât blesse. Car incapable de choisir son camp, Darren Aronofsky livre un film fourre-tout, iconoclaste, qui oscille constamment entre des éclairs de génie et une imagerie pieuse on ne peut plus basique. Car Noé, s’il n’est pas exempt de défauts, est avant tout un film maitrisé porté par des interprètes talentueux, illustré par des images de synthèse parfaitement intégrée à l’histoire et des décors somptueux, et porté par un souffle épique parfois digne du Seigneur des Anneaux. Et les références cinématographiques ne s’arrêtent pas là. Présenté comme un guerrier solitaire poussé malgré lui vers le statu de héro sacrificiel dans un monde post, ou pré apocalyptique, Noé n’est pas sans rappeler la figure de Mad Max dans les épisodes deux et trois. 
Porté par des scènes à couper le souffle, comme ces naufragés accrochés à leur rocher qui hurlent au milieu d’une tempête titanesque ou la scène de l’assaut de l’Arche que n’aurait pas renié Peter Jackson, Noé n’en demeure pas moins bancal. 
Témoin cette scène où Russel Crowe raconte à sa famille la création du monde par Dieu. L’histoire est illustrée en accéléré par des scènes montrant l’évolution de la vie, du vide intersidéral à l’amibe puis à l’organisme pluricellulaires, le poisson, le reptile, l’oiseau et le mammifère. Transition avec un fondu au noir pour passer à Adam et Eve, deux êtres lumineux qui batifolent dans le Jardin d’Eden avant que le Serpent ne vienne briser ce bel équilibre. Prenons encore pour exemple la figure de Noé, père et cultivateur qui fuit la compagnie des hommes, confronté à Tubal Caïn, roi cruel, amateur de viande donc forcément mauvais (Darren Aronofsky va même jusqu’à transformer son peuple en anthropophage pour bien enfoncer le clou (la viande corrompt plus qu’elle ne nourrit). C’est là tout le paradoxe du réalisateur qui oscille entre le darwinisme et l’imagerie chrétienne, comme s’il avait eu peur de son sujet et avait à cœur de contenter tout le monde. 
C’est d’autant plus dommage que le réalisateur de Requiem for a Requiem for a dream, avec déjà la toute belle Jennifer Connelly, nous laisse entrevoir ce qu’aurait pu être son film au travers de quelques scènes d’une puissance phénoménale. 
Oscillant entre film à grand spectacle et fresque humaniste, plombé par les convictions écolos du réalisateur et sa peur devant un sujet aussi chargé d’histoire et de symboles, Noé reste un patchwork certes stylisé, pas vraiment désagréable mais tellement loin de ce que l’on pouvait en attendre.

jeudi 3 avril 2014

Her

Dès les premières minutes du film, Spike Jonze nous plonge dans l’atmosphère si particulière de cette histoire hors du commun. Une ambiance à la fois douce et froide, colorée et aseptisée qui décrit si bien par petites touches un futur pas si lointain dans lequel les êtres humains ont le plus grand mal à communiquer entre eux. Car c’est là l’un des sujets du film qui regorge de pistes à explorer pour le spectateur qui veut bien s’en donner la peine. Theodore Twombly est un homme seul, à priori peu sociable, surtout depuis sa rupture amoureuse dont il a le plus grand mal à se remettre. Il passe ses journées, comme nombre de ses semblables, connecté à sa boite mail et aux informations extérieures grâce à son oreillette. Chez lui, ses seules discussions sont celles qu’il entretient avec un personnage de jeu vidéo interactif. Sa vie va progressivement basculer quand il fait l’acquisition d’un programme informatique évolué, personnifié par la voix chaude et rocailleuse de Scarlett Johansson. Samantha, puisque tel est son nom, va alors prendre une place de plus en plus importante dans sa vie, jusqu’à ce qu’il en tombe éperdument amoureux. 
Her se présente de prime abord comme un film casse gueule, mélangeant allégrement science-fiction, comédie et romance avec comme point de départ un postulat à priori impossible à transposer à l’écran. Et il faut en effet tout le talent, la délicatesse et la finesse d’un Spike Jonze plus inspiré que jamais pour transcender ce scénario surréaliste et livrer un film d’une beauté et d’une justesse incroyable. 
Porté par des acteurs impeccables, Joaquin Phoenix démontre une fois de plus toute l’étendue de son talent dans un rôle toute en retenu, tandis que Scarlett Johansson donne littéralement corps à Samantha par le seul biais de sa voix. Sans oublier des seconds rôles, parmi lesquels Amy Adams, en parfaite harmonie avec le reste de la distribution. 
Si le film installe progressivement un environnement futuriste tout à fait crédible, les personnages restent plus que jamais au centre de l’histoire. Jusqu’à Samantha, un programme informatique si évolué et parfait qu’il va aller jusqu’à reproduire les imperfections de la nature humaine. D’abord attentionné puis charmeuse, Samantha n’en deviendra pas moins possessive, jalouse, jusqu’à prendre ses distances lors d’un final que nous ne révélerons évidemment pas. 
C’est donc bien d’une histoire d’amour dont il est question, mais également du portrait doux amer de personnages qui n’arrivent plus à communiquer entre eux, dont les relations sont inévitablement vouées à l’échec et qui trouvent dans les intelligences artificielles des partenaires qu’ils pensent idéaux. 
Sans être un brulot contestataire, Her nous questionne doucement mais surement sur l’importance des rapports humains, le développement vertigineux des outils de communication qui s’accompagne d’une solitude de plus en plus grande, particulièrement dans les grandes métropoles où l’on passe plus de temps avec des amis virtuels qu’avec des personnes de chair et de sang. 
Des questions et des pistes de réflexion, le film nous en proposent des dizaines. Mais c’est aussi une belle histoire envoutante et mélancolique, parfois drôle et parfois tragique, comme la vie en quelque sorte.