Attention, cet article contient des spoilers, il est préférable d’avoir vu le film avant de le lire.
Après avoir enflammé un peu rapidement la toile avec ses premiers trailers, la bête se dévoile enfin sur grand écran. Pour quel résultat ?
Gareth Edwards n’est jamais aussi bon que quand il filme l’infiniment grand ou le profondément intime. En effet, la première partie du film repose en grande partie sur les liens filiaux qui unissent les personnages et sur une menace à peine suggérée qui aura des conséquences désastreuses sur les destinées de chacun. Le réalisateur choisit d’ailleurs de rapidement couper court à cette atmosphère pourtant prometteuse en confiant à Juliette Binoche l’un des rôles les plus courts de sa carrière, tandis que Bryan Cranston gagnera à peine quelques minutes supplémentaires à l’écran. C’est d’autant plus dommage que la scène de contamination durant laquelle Joe Brody condamne involontairement sa femme et ses collègues à une mort certaine est d’une rare intensité. Suite à la disparition de ces personnages fondateurs pour la suite, place à l’action (les militaires) et à la nouvelle génération (Aaron Taylor-Johnson en mode martial, Elizabeth Olsen assez improbable en mère de famille du haut de ses vingt-cinq ans).
Le film se positionne alors sur une voie beaucoup plus conventionnelle mettant en scène l’éternelle divergence de point de vue entre les scientifiques désireux d’étudier, sinon de protéger les créatures, et les militaires toujours promptes à dégainer l’arme nucléaire pour régler le problème. Un fil conducteur classique donc, mais néanmoins brillamment mis en scène par un réalisateur visiblement amoureux des créatures gigantesques qu’il filme. A l’instar d’un Guillermo del Toro et de son Pacific Rim, Gareth Edwards prend un plaisir évident à filmer les affrontements monstrueux de Godzilla et des deux autres créatures au milieu de villes américaines et japonaises transformées en champ de ruines et en cimetières géants. Visiblement soucieux de respecter ses ainés, le réalisateur multiplie les clins d’œil, volontaires ou non.
On passe ainsi de Jurassic Park et l’apparition du Tyrannosaure (lorsque le chauffeur de bus découvre l’arrivée de Godzilla sur le pont à travers sa vitre), à Pacific Rim (les affrontements titanesques des créatures antédiluviennes) en passant par le King Kong de Peter Jackson (la mise à mort de la créature femelle par Godzilla renvoie directement à celle du T Rex par le grand singe) et Aliens (le climax de la découverte du fossile géant au tout début, la créature femelle qui pond ses œufs à la fin). Cette nouvelle version de Godzilla assure donc pleinement sa part du spectacle sans pour autant sacrifier le point de vue des personnages et leur part d’humanité.
Cela en fait-il un film réussi pour autant ? Revenons à la première apparition du Godzilla en 1954, soit moins de dix ans après les traumatisants bombardements nucléaires du Japon. La créature filmée par Ishiro Honda symbolise alors la peur du nucléaire tout autant qu’une nature toute puissante que l’homme ne pourra jamais asservir. Dans la version de 2014, le point de vue est tout autre. Godzilla nous est présenté comme un dinosaure survivant depuis des milliers d’années. Alors que dans le film original Godzilla était la résultante des essais nucléaires, il en est ici la victime et se rapproche davantage des multiples séquelles qui ont fait les beaux jours de la Toho dans les années soixante et soixante-dix, à savoir un monstre finalement sympathique qui défend l’espèce humaine contre d’autres prédateurs beaucoup plus agressifs.
Le film se conclut sur une image surréaliste voyant la bonne grosse bête retourner tranquillement dans l’océan après avoir sauvé notre civilisation de monstres carburant à l’énergie atomique (il faut les voir gober des ogives nucléaires comme des olives), non sans avoir dévasté des villes entière. On s’attendrait presque à le voir nous adresser un clin d’œil complice avant de plonger les abimes jusqu’à un prochain épisode tributaire de ses résultats au box-office.
Le réalisateur, ou les studios, mais le résultat est le même, choisit donc la voie du blockbuster sans se préoccuper une minute de la nature même du mythe qu’il reprend. C’est dommage car le film est truffé de moment de grâce et Gareth Edwards avait tout pour se hisser au niveau de Pacific Rim.
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