dimanche 28 septembre 2025

Une bataille après l’autre

Les batailles se succèdent, une révolution chasse l’autre et les illusions se perdent dans les fumées des gaz lacrymogènes. 
Ancien artificier dans une organisation révolutionnaire, Bob vit seul avec sa fille, sa défonce quotidienne et sa paranoïa. Perfidia Beverly Hills, son amante et mère de Willa, ancienne égérie des French 75, s’est enfuie du jour au lendemain, tout comme ses idéaux et la flamme qui l’animait. Alors quand sa fille disparait après une descente de police menée par le bien barré colonel Steven J. Lockjaw, Bob se lance dans une dernière quête désespérée pour la retrouver, épaulé par le toujours zen Sensei Sergio. 
Avec cette nouvelle adaptation du roman de Thomas Pynchon, Paul Thomas Anderson continue sa radiographie de l’Amérique en renvoyant dos à dos les mouvements armés d’extrême gauche et les milices fascisantes au service d’une droite raciste et suprémaciste. 
Menée tambour battant, cette épopée de deux heures quarante cinq se vit à cent à l’heure aux cotés de personnages tous plus cintrés les uns que les autres qui se raccrochent encore à des luttes illusoires. Celles d’un monde plus juste ou plus blanc selon le côté duquel on penche, avec pour constante un regard désabusé sur la valeur du sacrifice. 
Paul Thomas Anderson mélange les genres pour nous offrir l’un ce des moments de cinéma particulièrement réjouissants, porté par des acteurs au meilleurs de leurs formes pour incarner des personnages cabossés qui s’écrasent contre le mur du réel alors que la société qu’ils fantasmaient devient de plus en plus illusoire. 
Mais malgré un ton résolument tourné vers la comédie souvent grinçante, malgré l’étincelle d’espoir porté par la lumineuse Chase Infiniti, le film de Paul Thomas Anderson témoigne au final d’un profond pessimisme quant à la situation actuelle.
Les Révolutions du passé ne perdurent plus qu’au travers de résistances erratiques bien vite étouffées par un nouvel ordre d’extrême droite dont les ramifications s’étendent aux plus hautes sphères du pouvoir. 
C’est alors qu’Une bataille après l’autre prend une tournure prémonitoire et se révèle, par-delà le spectacle, un miroir particulièrement inquiétant du monde actuel.

samedi 13 septembre 2025

Sirat

Des corps en mouvement au son d’une musique techno, l’étendu désertique du désert marocain avec pour seul horizon un mur d’enceintes. Et puis de cette masse extatique émergent des corps et des visages atypiques. 
La caméra capte la vibration des basses et suit ces personnages que nous ne lâcherons plus. Louis accompagné par son fils Estéban et cette communauté de teufers qui va les accueillir bien malgré eux. Bigui, Stef, Josh, Tonin et Jade, tous embarqués dans une fuite en avant, un voyage sans retour possible aux confins d’un monde au bord du précipice, une dernière danse pour se sentir vivant avant le grand saut vers l’inconnu. 
Car au-delà de sa volonté évidente de capter l’insaisissable, la musique, la vibration des corps et cette volonté désespérée d’exister une dernière fois, Sirat ne parle de rien d’autre que d’une fuite devant une guerre généralisée qui ne sera jamais nommée, une société où les cabossés et les infirmes n’ont pas leur place, et où l’être aimé manquera toujours à l’appel. Et même si l’on danse, on fume, on boit et on s’aime, la fête a un goût de cendre et laissera bientôt place à la douleur et à la mort. 
Le film bascule brutalement lors d’une scène traumatisante pour ne plus jamais lâcher le spectateur et maintenir une tension qui ramène au mythique Sorcerer de William Friedkin. Et ce n’est pas le seul point commun entre le film d’Olivier Laxe et le remake du salaire de la peur. 
Au-delà d’une similarité évidente, un convoi de camions confrontés à une nature hostile sur un parcours semé d’embûches, Sirat et Sorcerer partagent également une morbidité et une tragédie de fin du monde qui en font des œuvres aussi marquantes qu’inclassables. 
Bien qu’imperceptible, la mort demeure omniprésente dés les premières scènes du film avec ces corps aux mouvements saccadés et mécaniques et cet homme en quête de son enfant dont nous ne percevrons qu’une série de photos, véritable Orphée traversant les Enfers et ne comprenant que bien tard le prix à payer pour sa quête. 
Sirat se vit et se ressent pleinement une fois le film terminé, quand les images refont surface et que l’on se demande si l’on vient d’assister à une ode à la vie envers et contre tout ou au contraire au chant du cygne d’une humanité acculée dans ses derniers retranchements. Quoiqu’il en soit on n’en ressort pas indemne.

samedi 6 septembre 2025

Exit 8

Tout commence par une scène à priori anodine dans le métro de Tokyo. Une jeune mère dont le bébé pleure bruyamment se fait agresser verbalement par un homme dans l’indifférence générale. Et c’est bien l’indifférence ou plutôt l’attention portée aux autres et à son environnement proche qui sera la clef de l’une des multiples portes de sortie d’Exit 8. 
Catapulté dans les couloirs déserts du métro alors qu’il vient d’apprendre qu’il va devenir père, si toutefois il accepte d’endosser cette responsabilité, un homme déambule dans ce qui ressemble à une boucle sans fin régie par une loi aussi simple qu’impitoyable. S’il décèle une anomalie autour de lui il doit faire demi-tour, dans le cas contraire il continue d’avancer pour accéder au niveau suivant jusqu’à la fameuse sortie 8. En cas d’erreur il revient à son point de départ, prisonnier de ces interminables couloirs qui tournent sur eux même. 
Adaptation d’un jeu vidéo basé sur le même concept, le film de Genki Kawamura s’ouvre et se conclut sur le boléro de Ravel, une boucle musicale reprise par différents instruments, et ce n’est que l’un des multiples indices et clefs de compréhension d’un long métrage qui invite le spectateur à participer activement à la quête du, ou plutôt des protagonistes principaux. 
Débutant par une vue subjective en plan séquence pour ensuite nous placer au coté des personnages, Exit 8 traduit à la perfection le statut des fameux PNJ des jeux vidéo, ces personnages non jouables dont la fonction première est de faire avancer la quête du héros en lui apportant des informations clefs. 
Expérience cinématographique aux multiples ramifications, Exit 8 pourrait tout aussi bien être une vision de l’Enfer où errent les âmes en peine, une allégorie de nos sociétés modernes où l’indifférence nous condamne à une vie vide de sens ou la représentation d’un utérus duquel nous restons prisonniers jusqu’au jour de notre naissance. 
Injonction au refus de l’indifférence et au manque d’attention envers notre prochain ponctué de visions horrifiques aussi fugitives que marquantes, Exit 8 réussit le pari de la représentation intelligente de l’essence même du jeu vidéo et d’une réflexion ludique sur nos sociétés repliées sur elles même, tout en abordant la question de la paternité et des responsabilités qu’elle implique.