vendredi 28 juillet 2017

Dunkerque

Steven Spielberg, Stanley Kubrick, Ridley Scott, Mel Gibson,… Le film de guerre semble être un passage obligé pour les plus grands cinéastes américains, l’épreuve du feu qui, pour la plupart d’entre eux, enfantera de leurs plus beaux films. Christopher Nolan n’échappe pas à la règle puisqu’il livre avec Dunkerque un film formellement impressionnant, à la fois intime et pourtant universel. 
Ce qui frappe le plus dans de la première partie du film est le sentiment total d’immersion qui étreint le spectateur, projeté au milieu de ces soldats perdus, les pieds dans le sable, au-dessus de l’eau ou dans les airs. En cela, les choix esthétiques du réalisateur, pour ne pas parler de parti pris radicaux, semblent aussi osés que terriblement efficaces. 
En premier lieu, Christopher Nolan mise avant tout sur la puissance des images, avec un usage presque oublié du grand angle, plutôt que sur ses dialogues étonnamment rares pour un film de cette ampleur. Refusant le parti pris de la violence frontale (je ne me souviens pas d’une seule goutte de sang dans un film qui totalise des milliers de morts), il privilégie au contraire une tension presque permanente en filmant les assauts de l’aviation allemande à chaque sortie des bateaux anglais comme des attaques de prédateurs. 
Autre choix de mise en scène, l’anonymat d’un ennemi, pourtant omniprésent, que nous ne verrons jamais clairement pour mieux se concentrer sur les enjeux humains des soldats qu’il met en scène. L’histoire se situe en effet au cœur des trois armes principales de l’armée anglaise, les forces terrestres, aériennes et navales, avec une multitude de personnages et un entrecroisement de destins individuels qui forment la grande Histoire. 
Avec un art consommé du découpage et de la caractérisation de ses personnages, le réalisateur réussit le tour de force de ne jamais perdre son public en cours de route et de nous livrer une page d’Histoire méconnue avec son lot de bravoure, de lâcheté et d’absurdités. 
Avec Dunkerque, Christopher Nolan écrit une nouvelle page d’un cinéma sensoriel et illustre avec brio ce que le septième art peut nous offrir de mieux en termes d’illustration narrative, aidé en cela par une bande son savamment travaillé et l’impressionnant score de Hans Zimmer. 
Dunkerque figure sans conteste, dans un registre radicalement différent d’un point de vue formel mais finalement assez proche dans son propos, comme l’un des plus beaux films de guerre, et des plus beaux films tout court, de ces dernières années aux côtés du Tu ne tueras point de Mel Gibson.

mercredi 19 juillet 2017

Perfidia

Prélude au Quatuor de Los Angeles (Le Dahlia noir, Le Grand Nulle Part, L.A. Confidential, White Jazz), Perfidia se présente comme un voyage au long cours dans un Los Angeles traumatisé par l’attaque japonaise de Pearl Harbor. 
Avec le soin maniaque du détail qui le caractérise, James Ellroy nous embarque à la rencontre de plusieurs dizaines de personnages, marionnettistes ou acteurs d’une tragédie qui se nourrit de la folie des Hommes. Flics violents, femmes fatales, artistes engagés et espions japonais, ils dansent tous au-dessus d’un volcan qui menace de les consumer à chaque instant.
Roman après roman, Ellroy écrit l’histoire fantasmée de son Amérique, le pays de tous les possibles où se côtoient le meilleur et souvent le pire. Nourrit de ses fantasmes les plus intimes (le viol, son obsession pour une imagerie fasciste, le voyeurisme, le racisme), l’auteur dévoile des pans entiers de la mythologie qu’il écrit depuis des années, au risque de parfois perdre son lecteur dans les fils de ses multiples intrigues et personnages. Pivot central du roman où s’entrecroisent plusieurs destins, Dudley Smith hante les pages de Perfidia qui nous dévoile par la même occasion l’étonnante parenté du futur Dahlia noir. 
Roman historique autant que polar, miroir de son époque autant que de son auteur, Perfidia constitue la première pierre d’un second Quatuor de Los Angeles qui s’avère d’ors et déjà passionnant et foisonnant.

dimanche 2 juillet 2017

Le grand méchant renard

Adapté de la bande dessinée éponyme de Benjamin Renner, Le grand méchant renard et autres contes se présente comme une représentation théâtrale en trois actes. Chaque segment, indépendant des autres, met en scène des animaux aux comportements humains développant chacun une personnalité propre et souvent fantasque. 
Le film débute avec la course effrénée d’un cochon responsable affublé d’un lapin et d’un canard imprévisibles et totalement immatures pour remettre à ses parents un nouveau-né. Nous enchainons ensuite avec les tribulations du fameux grand méchant renard qui se voit obligé de materner trois adorables poussins qu’il projetait de manger en compagnie du loup. En conclusion, un conte de Noël constitue certainement le segment le plus faible du film. 
Toujours est-il que ce grand méchant renard relève haut la main le défi de plaire à la fois aux parents et aux enfants par le biais d’une animation aussi simple que travaillée, d’un discours adulte et d’un enchainement de péripéties qui ne laissent aucune place à l’ennui. 
Sans atteindre la puissance et l’universalité de certains Pixar ou Miyazaki, ce long métrage n’a pas à rougir sur la scène internationale et prouve, une fois de plus, la maitrise et la maturité du cinéma d’animation français.

samedi 1 juillet 2017

The last girl

A défaut de marquer au fer rouge un genre déjà bien exploité, The last girl aura au moins le mérite de nous présenter, non pas une approche nouvelle du film de zombie, mais une première partie qui contient à elle seule les germes d’une vision suffisamment décalée et dérangeante pour captiver notre attention. 
Le film s’ouvre sur une base militaire assiégée par des hordes de contaminés, au sein de laquelle quelques scientifiques entourés par des militaires sur les dents éduquent et étudient d’étranges enfants. Les choses se précipitent lorsque les barrières sautent, au sens propre comme au sens figuré, plongeant une poignée de survivant dans une Angleterre en proie au chaos. C’est à partir de là que le film s’embourbe dans les ornières balisées de ses innombrables prédécesseurs.
Desservi par un doublage français insupportable et une distribution bancale, The last girl patine rapidement et s’étire avec peine vers une fin pour le moins étrange, mais non dénuée de cynisme. Alors que Gemma Arterton assure le minimum syndical entre deux larmes (trop) appuyées, Glenn Close compose comme à son habitude une femme froide et dénuée de tout scrupule qui s’avère assez vite agaçante. 
Si le film est traversé par des scènes pour le moins marquantes, comme la procession des survivants au milieu d’une foule de zombies apathiques, The last girl n’en reste pas moins imprégné par des modèle dont il ne parvient jamais à s’affranchir. Le premier est sans nul doute le Jour des morts vivants de Romero dont il reprend une bonne partie de la trame, depuis la poignée de militaires, scientifiques et civils enfermés dans une base militaire qui finira par céder, jusqu’à l’étude des infectés par des savants dénués de la moindre émotion. Le film emprunte à 28 jours plus tard ses infectés porteurs d’un virus proche de la rage, à l’Armée des morts le plan choc de morts vivants fauchés par un véhicule en gros plan, tout en essayant de suivre son propre fil narratif porté par la jeune Sennia Nanua qui ne convainc qu’à moitié. 
Intéressant par sa volonté d’explorer de nouvelles pistes dans son approche d’une apocalypse zombie, The last girl reste une demi réussite (ou un demi échec, selon le point de vue). Trop long, souvent trop démonstratif lorsque le moindre sous-entendu est appuyé par un gros plan sur le visage larmoyant de la belle Gemma Arterton, le film ne possède ni l’urgence des longs métrages de Danny Boyle ni le réalisme cru de la première trilogie de Romero. Il reste une tentative louable d’illustrer un avenir désespéré où les derniers survivants contempleront les ruines de notre monde à travers les vitres de leur abri devenu prison.

mardi 6 juin 2017

The Jane Doe Identity

Après Grave, Brimstone, Get Out (et avant It comes at night ?), The Jane Doe Identity entérine le fait que 2017 sera bien l’année des films malins à budgets restreints entièrement basés sur une histoire solide, une réalisation soignée et quelques retournements de situation inattendus. 
Ancrée dans la plus pure tradition des films de genre, l’histoire se concentre autour de trois personnages principaux (un père, son fils et un cadavre) enfermés dans un lieu clos pendant une nuit de tempête. Unité de lieu, de temps, casting réduit, tous les ingrédients sont réunis pour entrainer le spectateur dans une séance d’autopsie au long court dont personne ne sortira indemne. Et de fait, la magie opère. 
En misant sur son atmosphère plutôt que sur des effets tapes à l’œil, et forcement onéreux, André Øvredal ne se refuse pourtant pas quelques jump scares mais démontre une capacité certaine à susciter une peur qui ira crescendo. Bien sûr on voit assez vite arriver la trame générale de l’histoire (dès la première scène de crime en fait) mais en procédant avec le corps de la victime comme d’un puzzle dont les éléments s’assemblent les uns après les autres, le réalisateur se met à la hauteur des spectateurs qui avancent au rythme des deux légistes. 
On peut d’ailleurs noter que le personnage du père, interprété par l’inoxydable Brian Cox, présente plus d’une similarité avec le médecin légiste chef de la morgue de New York dans le formidable roman Necropolis de Herbert Lieberman. Tommy Tilden se caractérise en effet à travers ses relations avec son fils (sa fille pour Paul Konig dans Necropolis), par une maitrise certaine de son art et un trauma lié à sa défunte épouse. Coïncidence ou inspiration, cette figure paternelle n’en acquiert que plus de profondeur face à Emile Hirsch. 
Mais la véritable énigme du film reste bien cette Jane Doe, cadavre trop parfait qui recèle de bien noirs secrets. Sans prétention et avec un véritable respect du genre, The Jane Doe Identity est une belle surprise dont la sincérité et l’efficacité devraient faire des émules.

jeudi 25 mai 2017

Alien : Convenant

Ex Paradise Lost, suite du préquel d’Alien premier du nom, ce nouvel opus brasse tellement d’éléments originels en essayant de faire du neuf qu’il prend le risque de laisser bon nombre de spectateurs sur le bord du chemin. 
En effet, point de Nostromo mais le Convenant, un vaisseau conduisant des milliers de colons vers une terre d’élection sous la garde de quinze membres d’équipage réveillés avant l’heure de leur sommeil artificiel. Lesquels, attirés par un mystérieux signal, vont (ATTENION SPOILERS) explorer une planète inconnue, ramener un virus et une entité meurtrière à bord avant qu’une vaillante jeune femme n’expulse la bête dans l’espace (FIN DES SPOILERS). 
Tout cela a un air de déjà vu et même si le film nous réserve quelques belles surprises en cours de route, on ne peut s’empêcher de trouver le recyclage un peu voyant. Alors certes, Ridley Scott sait s’adapter et travaille avec son temps. Exit l’acteur qui sue dans sa combinaison pour incarner le monstre, place aux images de synthèse (mouais). Si le réalisateur apporte à la saga une noirceur tout à fait étonnante qui pointait déjà dans le sous-estimé Cartel, s’il essaie tant bien que mal de recoller les wagons entre les précédents Alien et Prométhéus, s’il aborde à travers les androïdes David et Walter une réflexion sur les relations ambiguës entre le créateur et son œuvre qui finit par le dépasser, thème maintes fois illustrés au cours des siècles, il n’en reste pas moins que le film peine à trouver son équilibre. 
Ridley Scott utilise comme bon lui semble les éléments d’une mythologie qu’il a lui-même largement contribué à créer au service d’un récit que l’on devine remanié par une armée de scénaristes soucieux de donner un minimum de cohérence et une continuité à un Prométhéus déjà bien bancal. Le personnage interprété par Noomi Rapace n’est plus qu’un souvenir, le temps d’incubation des œufs se trouve inexplicablement raccourci pour les besoins d’un scénario trop gourmand qui mange à tous les râteliers. Autre exemple, cette séquence tout droit sorti d’une série B italienne où le monstre surprend deux amants sous la douche. Passons sur le fait que le réalisateur n’aille pas au bout de sa logique en éclipsant pudiquement la nudité de la jeune femme, mais était-il besoin d’enfoncer le clou à ce point quand le souvenir du monstre doté d’une redoutable queue et poursuivant une Ripley en petite culotte dans les coursives du Nostromo se suffit amplement en termes de suggestion ? 
En se posant à ce point en gardien du temple (bye bye le projet porté par Neill Blomkamp avec Sigourney Weaver et Michael Biehn), Ridley Scott semble bien décider à ancrer la saga dans le passé plutôt qu’à explorer le futur. Dommage.

lundi 22 mai 2017

Entre hommes

Difficile de classer ce livre culte de German Maggiori. Roman noir, polar hard boiled, trip halluciné, au final peu importe, Entre hommes nous emporte dans un tourbillon de destins croisés qui ne sont pas sans rappeler la structure narrative et la qualité littéraire d’un Donald Ray Pollock. 
Loin de l’univers de James Ellroy comme nous le vend maladroitement la quatrième de couv’, Entre hommes convoque une galerie absolument incroyable de flics, prostitués, et truands qui se croisent, se trahissent et s’entretuent dans un Buenos Aires cauchemardesque. 
Brassant les codes du polar avec un humour noir surréaliste, German Maggiori retranscrit à merveille la parano des camés, la tristesse des petits matins blêmes, cet entre-deux crépusculaire où l’on grille la dernière cigarette d’une nuit trop agitée, assis sur le rebord d’un trottoir anonyme. 
Entre folie et désespoir, l’auteur impose un style unique et faussement déstructuré qui n’est pas sans rappeler la gouaille populaire d’un San Antonio sous acide. Il nous prend par la main pour ne plus nous lâcher jusqu’à une fin désenchanté et quasi nihiliste qui nous laisse pantois, à bout de souffle, la bouche pâteuse mais heureux d’avoir déniché un si bon livre.