mardi 6 juin 2017

The Jane Doe Identity

Après Grave, Brimstone, Get Out (et avant It comes at night ?), The Jane Doe Identity entérine le fait que 2017 sera bien l’année des films malins à budgets restreints entièrement basés sur une histoire solide, une réalisation soignée et quelques retournements de situation inattendus. 
Ancrée dans la plus pure tradition des films de genre, l’histoire se concentre autour de trois personnages principaux (un père, son fils et un cadavre) enfermés dans un lieu clos pendant une nuit de tempête. Unité de lieu, de temps, casting réduit, tous les ingrédients sont réunis pour entrainer le spectateur dans une séance d’autopsie au long court dont personne ne sortira indemne. Et de fait, la magie opère. 
En misant sur son atmosphère plutôt que sur des effets tapes à l’œil, et forcement onéreux, André Øvredal ne se refuse pourtant pas quelques jump scares mais démontre une capacité certaine à susciter une peur qui ira crescendo. Bien sûr on voit assez vite arriver la trame générale de l’histoire (dès la première scène de crime en fait) mais en procédant avec le corps de la victime comme d’un puzzle dont les éléments s’assemblent les uns après les autres, le réalisateur se met à la hauteur des spectateurs qui avancent au rythme des deux légistes. 
On peut d’ailleurs noter que le personnage du père, interprété par l’inoxydable Brian Cox, présente plus d’une similarité avec le médecin légiste chef de la morgue de New York dans le formidable roman Necropolis de Herbert Lieberman. Tommy Tilden se caractérise en effet à travers ses relations avec son fils (sa fille pour Paul Konig dans Necropolis), par une maitrise certaine de son art et un trauma lié à sa défunte épouse. Coïncidence ou inspiration, cette figure paternelle n’en acquiert que plus de profondeur face à Emile Hirsch. 
Mais la véritable énigme du film reste bien cette Jane Doe, cadavre trop parfait qui recèle de bien noirs secrets. Sans prétention et avec un véritable respect du genre, The Jane Doe Identity est une belle surprise dont la sincérité et l’efficacité devraient faire des émules.

jeudi 25 mai 2017

Alien : Convenant

Ex Paradise Lost, suite du préquel d’Alien premier du nom, ce nouvel opus brasse tellement d’éléments originels en essayant de faire du neuf qu’il prend le risque de laisser bon nombre de spectateurs sur le bord du chemin. 
En effet, point de Nostromo mais le Convenant, un vaisseau conduisant des milliers de colons vers une terre d’élection sous la garde de quinze membres d’équipage réveillés avant l’heure de leur sommeil artificiel. Lesquels, attirés par un mystérieux signal, vont (ATTENION SPOILERS) explorer une planète inconnue, ramener un virus et une entité meurtrière à bord avant qu’une vaillante jeune femme n’expulse la bête dans l’espace (FIN DES SPOILERS). 
Tout cela a un air de déjà vu et même si le film nous réserve quelques belles surprises en cours de route, on ne peut s’empêcher de trouver le recyclage un peu voyant. Alors certes, Ridley Scott sait s’adapter et travaille avec son temps. Exit l’acteur qui sue dans sa combinaison pour incarner le monstre, place aux images de synthèse (mouais). Si le réalisateur apporte à la saga une noirceur tout à fait étonnante qui pointait déjà dans le sous-estimé Cartel, s’il essaie tant bien que mal de recoller les wagons entre les précédents Alien et Prométhéus, s’il aborde à travers les androïdes David et Walter une réflexion sur les relations ambiguës entre le créateur et son œuvre qui finit par le dépasser, thème maintes fois illustrés au cours des siècles, il n’en reste pas moins que le film peine à trouver son équilibre. 
Ridley Scott utilise comme bon lui semble les éléments d’une mythologie qu’il a lui-même largement contribué à créer au service d’un récit que l’on devine remanié par une armée de scénaristes soucieux de donner un minimum de cohérence et une continuité à un Prométhéus déjà bien bancal. Le personnage interprété par Noomi Rapace n’est plus qu’un souvenir, le temps d’incubation des œufs se trouve inexplicablement raccourci pour les besoins d’un scénario trop gourmand qui mange à tous les râteliers. Autre exemple, cette séquence tout droit sorti d’une série B italienne où le monstre surprend deux amants sous la douche. Passons sur le fait que le réalisateur n’aille pas au bout de sa logique en éclipsant pudiquement la nudité de la jeune femme, mais était-il besoin d’enfoncer le clou à ce point quand le souvenir du monstre doté d’une redoutable queue et poursuivant une Ripley en petite culotte dans les coursives du Nostromo se suffit amplement en termes de suggestion ? 
En se posant à ce point en gardien du temple (bye bye le projet porté par Neill Blomkamp avec Sigourney Weaver et Michael Biehn), Ridley Scott semble bien décider à ancrer la saga dans le passé plutôt qu’à explorer le futur. Dommage.

lundi 22 mai 2017

Entre hommes

Difficile de classer ce livre culte de German Maggiori. Roman noir, polar hard boiled, trip halluciné, au final peu importe, Entre hommes nous emporte dans un tourbillon de destins croisés qui ne sont pas sans rappeler la structure narrative et la qualité littéraire d’un Donald Ray Pollock. 
Loin de l’univers de James Ellroy comme nous le vend maladroitement la quatrième de couv’, Entre hommes convoque une galerie absolument incroyable de flics, prostitués, et truands qui se croisent, se trahissent et s’entretuent dans un Buenos Aires cauchemardesque. 
Brassant les codes du polar avec un humour noir surréaliste, German Maggiori retranscrit à merveille la parano des camés, la tristesse des petits matins blêmes, cet entre-deux crépusculaire où l’on grille la dernière cigarette d’une nuit trop agitée, assis sur le rebord d’un trottoir anonyme. 
Entre folie et désespoir, l’auteur impose un style unique et faussement déstructuré qui n’est pas sans rappeler la gouaille populaire d’un San Antonio sous acide. Il nous prend par la main pour ne plus nous lâcher jusqu’à une fin désenchanté et quasi nihiliste qui nous laisse pantois, à bout de souffle, la bouche pâteuse mais heureux d’avoir déniché un si bon livre.

jeudi 11 mai 2017

Nécropolis

Chaque matin, la ville recrache ses cadavres broyés par la solitude, la violence, le désespoir. Chaque matin, tel Charon, Paul Konig, médecin légiste de la morgue de New York, décrypte des vies entières et des morts sur l’acier chromé de ses tables d’autopsies. 
Nécropolis est le parfait équilibre auquel aspire tous les écrivains, celui du fond et de la forme, de la puissance du style, de la profondeur de l’histoire et de la richesse des personnages. Chaque phrase est minutieusement travaillée pour parvenir à l’une des règles d’or de l’écriture, faire ressentir plutôt que décrire. 
Herbert Lieberman signe là un roman cathartique où le désespoir d’un homme fait écho à ce que les grandes métropoles peuvent produire de pire. Nécropolis devrait servir de modèle à tout aspirant écrivain tellement son écriture est maitrisée et son propos passionnant, sans aucune démonstration ostentatoire. 
Une pierre angulaire qui dépasse son statut de polar pour côtoyer les plus grands textes littéraires.

mardi 9 mai 2017

Get Out

Get Out s’inscrit dans cette veine de films malins à petits budgets qui parviennent à concilier un discours social avec une histoire suffisamment tordue pour nous tenir en haleine jusqu’à la dernière minute. Ou presque. Car si le film n’est pas exempt de quelques petits défaut, dont un final trop rapide et trop facilement expédié, le réalisateur Jordan Peele réussit à instaurer une atmosphère réellement pesante et anxiogène. 
Alors que Chris découvre sa belle-famille en compagnie de la belle Rose Armitage, nous plongeons avec lui au sein de ce foyer de libéraux fortunés trop polis pour être honnêtes. Et de fait, le vernis craque par petites touches, des détails ou des attitudes au début anodines qui virent assez vite au cauchemar éveillé pour ce jeune homme noir confronté, sous couvert de les dénoncer, à tous les préjugés raciaux. Car c’est bien à l’image des noirs que s’attaque le film, plus qu’à la condition de vie des gens de couleur aux Etats Unis. 
Oscillant constamment entre la comédie acerbe par le biais du bon copain de service, et le film de genre, Get Out s’achemine doucement vers un final digne de la Quatrième Dimension qui semble par de nombreux détails tiré par les cheveux (la salle d’opération éclairée à la bougie vaut en cela son pesant d’or). Volonté délibérée du réalisateur qui assume pleinement son statut de série B ou facilité scénaristique, il n’en reste pas moins que le film nous aura tenu en haleine pendant plus d’une heure trente, servi en cela par un casting impeccable et un solide sens de la réalisation.

mercredi 5 avril 2017

Le serpent aux milles coupures

La rencontre entre DOA et Eric Valette laissait présager du meilleur dans le paysage du polar français. Rendez-vous raté.
Non pas que Le serpent aux milles coupures soit un film loupé ou ennuyeux, loin de là, il regorge d’éléments intéressants mais ne parvient pas à se détacher de quelques scories qui plombe le polar français depuis plusieurs années. 
L’un des défauts du film, et pas des moindres, réside dans ses seconds rôles dont la plupart ont du mal à exister et dont certains en particulier nous plonge dans un profond malaise. La palme en revient à Pascal Greggory qui récite avec un manque total de conviction des dialogues beaucoup trop écrits, et dont la dernière réplique enfonce le clou d’un cercueil déjà bien lesté. Il est en cela accompagné par Stéphane Debac qui, si son jeu n’est pas à remettre en cause, incarne un personnage sensé trempé dans le trafic de drogue et qui semble sortir tout droit d’une sitcom familiale. Totalement décalé sans pour autant être comique, le personnage de Jean-François Neri n’est pas crédible une seule seconde à côté d’un Terence Yin qui frôle la caricature mais parvient in extremis à incarner un tueur glaçant pourtant bien (trop) gratiné sur le papier. 
Après une longue exposition parfois brouillonne, le film se concentre dans un village dont tous les agriculteurs sont racistes (…) et qui va se transformer en théâtre sanglant lorsque tout ce qui porte un flingue dans un rayon de dix kilomètres converge au même endroit pour le règlement de compte final. Et ce n’est pas la moindre des frustrations du film que de nous priver du combat bestial que l’on espérait entre Terence Yin et Tomer Sisley, combat expédié en quelques secondes. 
Si Eric Valette revendique de nombreuses influences allant du western rural au torture porn, et s’il les assimile plutôt bien dans une série B dont on ne peut nier la sincérité et l’efficacité, la sauce peine à prendre malgré le personnage de Tomer Sisley, sociopathe taciturne dont on n’apprendra pas grand-chose et qui tombe pourtant dans les travers les plus grossiers. En témoignent la séquence suicidaire trop démonstrative pour être honnête ou le demi-tour final pour aider une famille qu’il vient de séquestrer contre les méchants paysans du coin. 
Peut être que DOA aurait dû confier l’adaptation de son roman à un autre scénariste car il y avait matière à en tirer un film sec et nerveux, sans concession (le motard aurait pu se retrouver malgré lui entre deux feu sans avoir pour cela besoin de faire demi-tour, ce qui semble assez peu crédible dans sa situation). On sera en droit de préférer un Braqueurs sorti un an plus tôt et qui, avec un personnage central au final pas si éloigné, arrivait à nous proposer un spectacle autrement plus réjouissant.

samedi 1 avril 2017

Brimstone

La frontière entre dénonciation de la violence et complaisance semble parfois tellement ténue qu’elle laisse le spectateur désorienté et partagé entre fascination morbide et répulsion. C’est exactement le cas de Brimstone qui, par sa maitrise formelle et scénaristique au service de ses excès a de quoi perdre une bonne partie de son public en route. 
Car oui, le film est une réussite à plusieurs niveaux. Saluons tout d’abord un réalisateur et un directeur de la photo qui composent chaque plan (cadrage, éclairage) avec une minutie qui fait mouche à chaque fois. On se laisse happer par ces paysages sauvages que traversent des personnages hauts en couleur interprété par un casting impeccable. Et c’est là le deuxième atout de Brimstone, de Dakota Fanning qui porte à bout de bras un personnage aussi complexe que central, à Guy Pearce qui incarne un méchant que l’on n’est pas prêt d’oublier, sans oublier Emilia Jones ou la toujours aussi charismatique Carice Van Houten qui habite chaque plan avec un jeu quasi minimaliste. 
Riche en rebondissements et chapitré comme un passage de l’Ancien Testament, Brimstone nous replonge dans la boue des pionniers de l’Ouest Américain avec un réalisme que l’on n’avait pas vu depuis Dead Wood. Alors quoi ? Tous ces talents réunis ne suffisent ils pas pour composer un bon film ? C’est justement lorsque l’on aborde la finalité même du réalisateur que l’on commence à se poser des questions. 
Car à travers cette tragédie emprunte de religion, Martin Koolhoven ne fait rien de moins que d’illustrer les œuvres du Marquis de Sade. Comment ne pas penser par exemple aux Infortunes de la vertu devant le spectacle de cette jeune fille innocente qui passe de mains en mains et traverse les épreuves les plus humiliantes lors d’un Chemin de Croix unique en son genre ? Sauf qu’à la différence du divin Marquis, on ne peut même pas ici se raccrocher au plaisir de l’érotisme, ou alors un érotisme des plus déviants. Et c’est bien ce qui surprend le plus chez Martin Koolhoven, cette volonté de faire subir à ses personnages féminins les pires humiliations, tant physiques que psychologiques, sans leur laisser la moindre issu de secours, la plus petite possibilité de s’évader de ce qui ressemble à un avant-goût des Enfers sur Terre. Et si les femmes sont systématiquement humiliées, les hommes eux se divisent en deux catégories : les monstres infâmes et les futurs cadavres. Pas de demi-mesure, pas salut, pour personne. 
Le réalisateur condamne unanimement tous les protagonistes d’un film qui, sous couvert d’une critique ouverte de la religion et de sa vision des femmes, en adopte pourtant tous les codes. Car le personnage de Liz s’apparente en tous points à une martyr dans la plus pure tradition chrétienne, et cela jusqu’au dénouement final qui annihile définitivement toute forme d’espoir. Ce n’est certes pas en caricaturant les hommes à ce point ou en abaissant les femmes pour montrer combien elles souffrent que l’on porte un message féministe. Et ce n’est pas en revêtant les habits de martyr que l’on dénonce les excès des religions. 
Brimstone nous laisse pantois, impressionné par autant de talents et de bonnes volontés au service d’un spectacle nihiliste, aussi beau que pervers, mais dont on ne sait au final que penser. On aimerait aimer, mais on se sent gêner par la délectation avec laquelle le réalisateur nous inflige autant de cruauté. Il en restera l’image d’un prêcheur d’autant plus terrifiant qu’il n’en reste pas moins terriblement humain dans sa folie, et qui prend une dimension quasi surnaturelle à la fin du film, la révélation d’une Dakota Fanning qui d’un simple mouvement de sourcil fait passer toute une palette d’émotions et dont la seule présence illumine un long et douloureux chemin de croix, et un malaise indéfinissable qui nous hante longtemps après être sorti de la salle.