vendredi 27 mars 2015

Hacker

Michael Mann fait partie de ces cinéastes, avec Ridley Scott et quelques autres, pour lequel l’esthétique du film prend parfois le pas sur le fond, sans pour autant dénaturer le propos du réalisateur. Quelque fois cela fonctionne, d’autres fois c’est plus hasardeux. Hacker ne fait clairement pas partie des réussites majeures d’un réalisateur qui aligne pourtant d’impressionnants faits d’arme tout au long de sa filmographie. 
La faute en incombe principalement à un scénario qui frôle souvent l’indigence, que ce soit dans la succession de rebondissements censés faire avancer l’histoire ou dans des dialogues parfois proches de la caricature. C’est dommage car le sujet, celui de cette nouvelle forme de terrorisme qu’est le piratage informatique, est passionnant et aurait pu donner lieu à un film tendu comme Michael Mann sait si bien le faire. Mais le réalisateur semble effrayé par son sujet qu’il se contente d’illustrer par quelques séquences de propagation du virus informatique, pour ensuite tomber dans le pur film d’action avec filatures et fusillades. 
Contrairement à ce qu’il avait réalisé avec Révélations en 1999, à savoir un film tendu et captivant de bout en bout sans pour autant se cacher derrière de grosses séquences d’action, il recule ici devant son sujet qui traite d’une menace par essence invisible, même si les conséquences sont, elles spectaculaires. Il s’en suit donc un thriller assez classique centré sur le personnage de Chris Hemsworth qui, non content d’être un hacker hors pair, se trouve aussi maitriser le tir et le combat à main nu comme un vrai pro. Un héros monolithique aux failles cousues de fil blanc auquel on a bien du mal à s’attacher, contrairement à la belle de service qui tombe dans ses bras musclés au bout de quelques minutes de film. 
Alors oui, Michael Mann maitrise à la perfection les scènes de fusillades urbaines qui sont toujours aussi impressionnantes, il filme comme personne les villes de nuit et garde un sens aigu de l’action. Mais ce formalisme ne suffit pas à faire un bon film, loin de là. Il a oublié son scénario et la caractérisation de ses personnages principaux en route (les personnages secondaires sont beaucoup plus attachants que les héros). C’est dommage de la part de l’un des plus importants réalisateurs américains de son époque.

mercredi 4 mars 2015

Birdman

La première sensation que l’on éprouve à la vision de Birdman est physique. Le vrai faux plan séquence qui constitue le film et qui nous oblige à suivre sans une minute de répit des personnages plongés dans des états d’âme que leur envierait Woody Allen nous laisse d’abord surpris, puis admiratifs et enfin éreintés. Ereintés et dubitatifs, pour ne pas dire agacés. 
Car oui, Alejandro González Iñárritu est un cinéaste brillant. Il le prouve ici avec un choix d’interprètes qui sont tous à leurs places et meilleurs que jamais, et qui sont dirigés à la perfection. Il nous montre que techniquement il arrive à nous capter pour ne plus nous lâcher pendant deux heures, alternant des mouvements de caméra virtuoses et des dialogues souvent franchement comiques. Iñárritu est brillant et cinéphile, multipliant les clins d’œil et les références à travers son film (coucou Mulholland Drive) comme on sème des petits cailloux pour ne pas se perdre en route. Mais tout cela pour nous dire quoi ? On fait souvent le parallèle entre le personnage de Riggan Thomson et la carrière de son interprète Michael Keaton, qui lui aussi a interprété un rôle de super héros (Batman / Birdman) qui a fait sa gloire avant une longue traversée du désert durant laquelle plus personne, réalisateurs, critiques ou public, ne s’intéressait à lui. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Birdman nous parle bien davantage de son réalisateur que de son acteur principal. 
Car au-delà des propos souvent convenus sur la critique assassine qui tue les pièces de théâtre avant de les avoir vues et pour qui la réhabilitation ne peut se faire que par le sang versé, l’acteur brillant mais égocentrique, invivable et incontrôlable, l’actrice fragile en quête de reconnaissance (un père absent ?), le manager au bord de l’ulcère, le réalisateur laisse surtout poindre une amertume envers le système qui laisse songeur. Lui aussi se retrouve en Riggan Thomson, cet acteur qui sue sang et eau pour enfin faire de l’art et tourner la page de ce qui a fait son succès et qui ne lui inspire plus que du mépris. Et c’est bien là que réside le vrai problème du film. 
Car oui, Iñárritu pourrait lui aussi faire des blockbusters remplis d’explosions dans tous les sens, il nous en donne d’ailleurs un petit aperçu (coucou Transformers), mais ce n’est pas Broadway, ce n’est pas de l’art, ce n’est même pas digne d’une critique. Les allusions aux acteurs bankables est d’ailleurs lourde de sens. « Ils font tous des films en collant ? » Bah oui, ils font tous des films en collant et gagnent des millions de dollars. Et alors, est ce à ce point incompatible ? Ne peut-on concilier film de genre, réussite commerciale et intelligence ? Doit-on à tout prix opposer l’argent, la célébrité et la culture de masse d’un côté, contre une certaine intelligencia qui dicterait ce qui est de bon goût ou pas, ce qui est de la culture et ce qui ne l’est pas ? Car n’en déplaise à Alejandro Iñárritu, les comics et leurs corollaires, les « acteurs en collant » sont aussi de la culture. Une culture main street, une culture populaire surement bien éloignée des standards de Broadway, mais une culture qui a (enfin) gagné sa reconnaissance après des années de mise à l’écart. 
Prenons un exemple parmi tant d’autres qui est la franchise X-Men. Les adaptations récentes nous ont prouvé, si besoin était, que l’on peut allier réussite commerciale, spectacle total et réflexion. Et la question du droit à la différence ou des responsabilités qu’impliquent un super pouvoir est surement aussi intéressante que les états d’âme d’acteurs hystériques sur le retour. Alors non, on n’est pas obligé de mépriser les films de pur divertissement dont la trilogie Birdman (le film dans le film donc) est le fer de lance pour parler de la vieillesse, du succès ou de la difficulté d’être un père ou un créateur. 
La dernière pierre à l’édifice d’une entreprise de plus en plus étrange est la vision qu’a Alejandro Iñárritu de la culture selon les générations. Lorsque la salle de théâtre s’éclaire après l’ultime coup d’éclat de Riggan Thomson sur scène, c’est pour nous révéler une salle bondée par des personnes âgées en costumes et robes de soirées. Les jeunes eux sont sur les réseaux sociaux, à s’enthousiasmer devant des vidéos pourries qui récoltent des millions de vues. Drôle de parti pris que l’on pourrait taxer, en d’autres circonstances, de réactionnaire. Alors je pose la question Monsieur Iñárritu, vaut-il mieux jouer une pièce de théâtre devant une salle plus préoccupée par l’endroit où elle ira boire un café en sortant que par ce qui se passe sur scène (c’est dit dans le film, je ne fais que répéter), une pièce qui sera descendue par des critiques ne prenant même pas la peine de la voir, ou réaliser un film qui sera attendu, vu et revu par des millions de fans qui le disséquerons ensuite sur les réseaux sociaux pour en extraire la substantifique moëlle ? 
Le personnage de Birdman, et les milliers de fans qu’il représente, sont-ils à ce point honteux qu’on le réduise à la mauvaise conscience du héros ? Tout cela est d’autant plus dommage que Birdman est traversé de vrais moments de magie, il reste juste à mettre cette magie au service d’un vrai amour du cinéma, de tous les cinémas.

American Sniper

Passons tout de suite sur la polémique suscitée par le film (ce qui est finalement plutôt bon signe, il vaut mieux susciter une polémique que l’apathie). De deux choses l’une, soit Clint est un vieux réactionnaire (étiquette qui le poursuit depuis le début de sa carrière soi dit en passant) et American Sniper est le portrait au premier degré d’un tueur patenté au service de l’Etat, soit Clint est un sacré malin et son dernier film est un portrait particulièrement lucide d’une société américaine qui se laisse parfois aveugler par ses idéologies bellicistes. 
On croyait l’affaire classée depuis Gran Torino, démonstration éclatante que non, Clint n’est pas aussi con et buté que bon nombre de ses détracteurs voudraient le faire penser, il faut croire que les préjugés ont la vie dure. Pourtant, force est de constater que ce grand monsieur ne fait rien pour éclaircir les lanternes des sceptiques. Convenons déjà d’une chose, personne d’autre que le dernier cowboy Hollywood n’était mieux placé pour dresser le portrait de celui qui justement se rêvait cowboy. 
La première partie du film ressemble presque à une publicité pour les valeurs immuables de l’Amérique tant elle frôle à tout moment la caricature. On y parle religion et chasse, armes à feu et rodéo, patriotisme et famille, bref, tout ce qui fait les fondements d’une société américaine qui heureusement ne se résume pas à cela. Il est apparait alors, pas forcément clairement je le concède, que le film ne sera pas à prendre au premier degré. Et cela est confirmé dès le premier tir meurtrier de Chris Kyle en Irak. Il abat froidement un enfant et sa mère, ceux-ci étant sur le point d’attaquer un convoi de militaire. Le réalisateur se met alors dans une position intenable s’il entend dresser un portrait aussi fidèle que possible d’un soldat patriote, celui de cautionner le meurtre d’un enfant et le fait que, à partir du moment où il tient une arme entre ses mains, il perd le statu d’enfant pour celui de combattant. 
En ayant le courage de nous imposer ce dont est capable cet homme, Clint prend d’emblée ses distances avec celui qui ne sera tout au long du film que le prisme déformant d’une certaine morale américaine. Le fait que Kyle soit un tireur d’élite n’est pas innocent car ce qu’il voit à travers sa lunette de visée n’est qu’une partie de la réalité, un fragment de vérité aperçue à plusieurs centaines de mètres de distance. Et c’est cette vision pour le moins partielle qui va peu à peu lui permettre de déshumaniser des hommes, des femmes et des enfants qui ne deviennent pour lui que des cibles car un danger potentiel pour ses compatriotes, et par extension pour son pays. 
Chris Kyle n’est pas un psychopathe assoiffé de sang, un mercenaire qui tue par plaisir. C’est le produit d’une société qui prône des valeurs patriotiques, qui perpétue de père en fils un droit à l’autodéfense et une foi parfois aveugle en la religion, qui défend une politique étrangère parfois irresponsable qui frôle souvent l’ingérence. Chris Kyle n’est jamais si bon que quand il est sur le terrain, et le film a aussi le mérite de poser la question de ce qu’il advient de ces hommes formatés pour tuer, confrontés à la pire des violences et ensuite recrachés dans une société qui ne veut pas forcement voir en face ce qu’elle a produit. La scène où il est assis dans son fauteuil face à sa télévision éteinte qui lui renvoie sa propre image résume à elle seule une bonne partie du film. Ces soldats ne quittent jamais vraiment le champ de bataille dont le vacarme les hantera jusqu’à leur mort. C’est d’ailleurs ce qui provoquera, de manière aussi tragique qu’ironique, la mort de ce soldat hors du commun. 
Porté par un Bradley Cooper aussi physiquement que psychologiquement monolithique, cet homme qui se cherche comme père autant que comme mari résume à lui seul des années de discours politiques simplistes servies par des politiciens sans scrupules pour arriver à leur fin. Il y a le bien et le mal, les moutons, les loups et les chiens de berger, point. C’est simple et rassurant, aussi séduisant que faux bien entendu. 
Les dernières images d’archives montrant l’engouement populaire au moment de ses obsèques, ainsi que le formidable succès du film aux Etats Unis viennent enfoncer un clou planté déjà bien profondément dans notre conscience. Ce que nous venons de voir n’est pas une apologie gratuite d’un quelconque engagement militaire mais la réalité glaçante de ce que l’homme peut produire en temps de guerre, et le reflet pas toujours agréable de l’une des plus grandes démocraties du monde. Alors oui, Clint est bien le dernier des géants et quelque chose me dit qu’il n’est pas prêt d’étouffer la polémique qui l’entoure.

samedi 7 février 2015

It Follows

 Nb : il vaut mieux avoir vu le film avant d'en démonter tous les mécanismes.

Une affiche multipliant les qualificatifs élogieux, un bouche à oreille dithyrambique, une tournée des festivals triomphante, un grand prix à Gérardmer, et puis quoi encore ? Et puis rien, pour une fois tout cela est amplement justifié, et puis c’est tout. 
Non pas que It Follows révolutionne le genre, loin de là. Payant un large tribu à l’imagerie de Hideo Nakata (Dark Water, Ring) avec ses apparitions fantomatiques (qu’est-ce que c’est que ces critiques qui parlent de morts vivants ???) et mettant au centre du film une sexualité utilisée aussi bien comme vecteur du mal que comme seule issue possible, le film se retrouve à la croisée de chemins maints fois fréquentés. On aborde en vrac le passage à l’âge adulte, les banlieues pavillonnaires cachant un mal être derrière une façade trop parfaite pour être honnête, l’acte sexuel vécu par les jeunes protagonistes comme une malédiction (sexe -> enfant -> famille -> responsabilités -> carcan). 
Réalisé et photographié avec un soin tout particulier, It Follows se démarque de la multitude des films d’horreur mettant en scène des adolescents autant par sa forme que par les thèmes qu’il aborde, et surtout la façon dont il les aborde. David Robert Mitchell soigne chacun de ses plans et oblige surtout le spectateur à une attention constante par la menace même qu’il met en scène. Que ce soit au cours de deux longs plans circulaires ou pendant d’interminables travelling, le réalisateur nous immerge dans une banlieue / une nature d’où va surgir la menace se dirigeant inexorablement vers nous. Où et quand ? Il fait à chaque fois durer le plaisir, nous mettant dans une position d’attente et de constante attention qui nous laisse sur les nerfs, épuisé à la fin du film. Et c’est bien cette empathie dont il use et abuse, ainsi qu’un vrai sens de la mise en scène de purs moment de frayeurs qui font de It Follows une vraie bonne surprise. 
Porté par des interprètes qui incarnent totalement leurs personnages et les rendent immédiatement attachants, le film n’en est pas pour autant facile d’approche. Encore une fois, le réalisateur pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, oscillant sans jamais choisir son camp entre une morale judéo chrétienne (le sexe c’est mal) et son exact opposé (il faut coucher pour s’en sortir). Quasiment déserté par les adultes, It Follows traite donc principalement de ce douloureux passage de l’enfance à la maturité et du lot de terreurs que l’avenir peut réserver à ces adolescents. C’est d’ailleurs ce que représente la première apparition de la chose qui va traquer Jay. Celle-ci, attachée à son fauteuil, assiste impuissante à cette menace diffuse qui avance vers elle sans jamais pouvoir lui échapper. Qu’est-ce c’est sinon sa vie d’adulte dont le passage est symbolisé par l’acte sexuel qu’elle vient de consommer ? Et ce n’est pas sa piscine à la forme tellement ronde qu’elle renvoie directement au ventre maternel, piscine qui finira d’ailleurs éventrée, qui parviendra à la protéger de ce qui l’attend.
Multipliant les métaphores (l’eau, symbole de purification mais aussi de naissance est omniprésente, de la pluie à la mer en passant par la piscine ou l’urine qui dégouline le long des jambes de l’une des apparitions) et jouant avec les codes (le personnage qui lit Dostoïevski est aussi celui qui pète et qui mange bruyamment, l’esprit n’ayant de légitimité qu’à travers un corps), David Robert Mitchell nous prouve si besoin était que l’on peut réaliser l’un des films les plus effrayants de ces dix dernières années sans sacrifier pour autant la forme et la teneur de son propos. Alors oui, It Follows mérite toutes ces louanges, et même davantage.

jeudi 29 janvier 2015

Les nouveaux sauvages

Produit sous l’aile protectrice des frères Almodovar, ce film à sketch venu d’Argentine a le mérite de ne pas s’embarrasser de considérations morales, bien au contraire. C’est d’ailleurs ce qui en fait son moteur autant que son intérêt et peut être sa limite. 
Le ton est donné dès le premier segment (Pasternak), une histoire courte en lieu clos qui vaut plus par son écriture que par une réalisation sans grand relief, heureusement sauvée par un dernier plan incroyable qui annonce à lui seul le ton du film. Et ce sera à chaque fois le même schéma qui se reproduira : une accumulation de brimades à priori anodines qui, mises bout à bout vont prendre des proportions cataclysmiques et donner lieu à de véritables déchainements de violence. 
Si le sketch Las ratas porté par deux excellentes comédiennes déçoit un peu par sa chute, El mas fuerte explore la sauvagerie tapie en nous, tandis que Bombita adopte un ton résolument anarchique. La proposicion est peut-être le segment le plus ironique et le plus dérangeant, jouant sur le pouvoir de l’argent et l’idée que même une vie peut s’acheter. Le film se conclue avec Hasta que la muerte nos separe et sa cérémonie de mariage qui se termine en bain de sang, avec cependant une chute pas si désespérée que cela qui vient un peu adoucir (tout est relatif…) le ton résolument noir et grinçant du film. 
Jouant sur l’attente d’une situation qui ne manquera pas de déraper et dynamitant au passage, au propre comme au figuré, la plupart des institutions qui constitue notre société moderne (la famille, l’administration, le mariage), Les nouveaux sauvages renouent avec la tradition d’un humour noir et corrosif, un humour de sale gosse, libérateur et impertinent. 
Le film de Damian Szifron n’a pas pour ambition de révolutionner le genre mais de nous offrir une soupape de sécurité et une vengeance illusoire face aux vexations quotidiennes, peut-être pour éviter de faire exploser nos voisins ?

mercredi 24 décembre 2014

Le Hobbit : la bataille des cinq armées

Treize ans après le premier volet du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson clôt une saga unique en son genre qui a totalement renouvelé les codes de l’imagerie héroïque fantasy au cinéma.
Reprenant le poste de réalisateur sur la trilogie du Hobbit après le désistement de Guillermo del Toro qui se contente d’une accréditation au scénario, il quitte la Terre du Milieu avec une extension de la trilogie originale qui, malgré ses qualités indéniables et de réels moments de bravoure, n’arrivera jamais à se hisser au niveau de celle du Seigneur des Anneaux. 
Etirant une histoire plutôt condensée en inventant des personnages (Tauriel, le Nécromancien) ou des situations (l’histoire d’amour entre un nain et une elfe), en réinterprétant à sa façon certains caractères (les nains sont décrits par Tolkien comme un peuple noble alors que le réalisateur les dotent pour la plupart de physiques d’handicapés congénitaux et en fait des personnages souvent burlesques) Peter Jackson prend le parti du film d’aventure grand public au détriment de l’esprit héroïque fantasy qui traversait la première trilogie. Mais paradoxalement, les défauts qui sautaient aux yeux dans les deux premiers épisodes du Hobbit semblent ici atténués au profit d’un spectacle plus en phase avec ce que l’on attendait d’un tel réalisateur. 
Évacuons d’emblée la mort de Smaug expédiée trop hâtivement et des erreurs manifestes de montage (les plans furtifs montrant Gandalf prisonnier ou chevauchant vers la montagne intercalés entre deux scènes sans que l‘on sache trop pourquoi), une bataille finale qui se termine sans que l’on sache comment et la présence à peine esquissée des grands aigles. Il reste que si une fois encore ce dernier épisode ne tient guère la comparaison avec le Retour du Roi et son souffle épique, il n’en demeure pas moins un spectacle réjouissant. 
Martin Freeman semble enfin trouver la pleine mesure de son personnage et campe un Bilbon convaincant. On retrouve avec un plaisir toujours intact les personnages récurrents de la saga (Saroumane, Gandalf, Legolas,..) et on a enfin l’occasion de voir une armée de nains en action. Les quelques secondes d’apparition de Smaug sont bluffantes et les scènes de batailles rangées ou de guérilla urbaine sont encore une fois parfaitement maitrisées. Le parti pris du traitement des personnages des nains est clairement plus sombre que dans les deux premiers épisodes et l’on ne peut que s’en réjouir. 
Peter Jackson boucle sa saga en nous renvoyant vers le début du Seigneur des Anneaux comme un ultime signe de la main. Il n’en reste pas moins que l’on ne peut que rester pensif en s’imaginant la version qu’un Guillermo del Toro en aurait donné.

mercredi 10 décembre 2014

La French



Jean Dujardin, Gilles Lellouche. Le juge Michel, Gaëtan Zampa. Deux des acteurs les plus charismatiques du cinéma français actuels incarnent deux figures qui ont défrayé la chronique judiciaire des années soixante-dix en France. La French retrace sur plusieurs années le combat acharné que Pierre Michel, jeune magistrat promu juge du grand banditisme à Marseille mena contre l’une des plus grandes organisations criminelles de notre pays, celle qui a alimenté les Etats Unis en héroïne pendant des années. 
Le parti pris du film, celui de nous immerger dans les années soixante-dix et de faire intervenir des figures publiques (Gaston Deferre entre autres) en dénonçant les implications troubles du pouvoir en place avec les filières mafieuses n’était pas sans risque. Le pari est tenu haut la main tant le film est porté par une distribution impeccable, une reconstitution minutieuse de l’époque et un sens du rythme et de l’action tout à fait correct. 
Si la mise en scène reste classique, la direction d’acteur sert un propos qui se veut autant dénonciateur d’une corruption de très haut niveau qu’un film policier dont le rythme est d’autant plus difficile à maintenir que l’on en connait la fin. S’il est plus courant d’être fasciné par les bandits que par les forces de l’ordre (de Scarface au Parrain en passant par Les Affranchis), Cédric Jimenez réussit à maintenir un équilibre constant entre ses deux personnages centraux. Oscillant comme nombre de ses prédécesseurs entre sympathie et méfiance, Gaëtan Zampa trouve en Pierre Michel un adversaire plus trouble qu’il n’y parait, obsessionnel et colérique, ancien joueur invétéré constamment sur la brèche. C’est du moins le portrait qui nous est fait du juge Michel, une fois de plus parfaitement incarné par un Jean Dujardin totalement investi dans son rôle. 
Touchant dans sa solitude et son obstination, souvent drôle dans les moments les plus graves, il donne à ce personnage hors du commun une dimension qui va au-delà du simple justicier qui nous est trop souvent proposé. Pierre Michel est finalement un homme simple qui va aller au bout de ses convictions, un homme seul qui s’approche trop près du soleil et qui va se brûler les ailes, entrainant dans sa chute celui dont il avait juré la perte. 
La French renoue avec la grande tradition du polar français, ancré dans son époque et porté par des interprètes solides. C’est efficace, instructif et distrayant, que demander de plus ?