samedi 4 janvier 2014

Nymphomaniac - Volume 1

Après une campagne marketing savamment orchestrée, voilà que déboule enfin le premier volume du nouveau film, annoncé comme sulfureux, de Lars von Trier. Premier constat, le film que l’on découvre en salle ne correspond pas au produit qui nous a été vendu à grand renfort de teasing et vraies fausses rumeurs depuis des mois. Ce qui ne laisse en rien présager de la qualité du film en lui-même. Un message nous annonce avant le début de l’histoire que nous allons découvrir la version censurée du long métrage. Pourquoi ? Cela reste un mystère. On peut deviner que la version dites uncunt ou director’s cut ou unrated ou ce que l’on veut sera réservée à un hypothétique DVD, si toutefois cette version existe ailleurs que dans l’esprit du réalisateur. 
Qu’importe, nous ne sommes pas là pour voir un film X mais la dernière création d’un réalisateur qui, malgré ou grâce à sa personnalité complexe et ses multiples provocations, restent passionnant à suivre. L’histoire commence avec la rencontre imprévue entre Joe, une jeune fille retrouvée battue et inconsciente en pleine rue par Seligman, un vieil homme solitaire qui la recueille chez lui pendant quelques heures. Le temps pour Joe de lui raconter son histoire, celle d’une jeune fille qui se considère elle-même comme un être mauvais, égoïste et nymphomane. Nous y voilà, car c’est là le centre névralgique du film tel que l’on nous l’a vendu, la nymphomanie et son cortège de relations sexuelles débridées. Mais est-ce bien là l’essence même du film ? 
Ce qui frappe en premier au bout de ces deux premières heures, c’est, outre le talent du réalisateur plus manipulateur que jamais dans sa manière de mettre en scène les situations les plus triviales et de les raccorder à de pseudos éléments culturels, le vide absolu de Joe. Rarement un cinéaste aura décrit de façon plus criante de vérité une personnalité aussi dénuée de sentiment que le personnage incarné simultanément par Stacy Martin et Charlotte Gainsbourg. Au bout de deux heures passée en sa compagnie, et alors qu’elle est présente dans presque tous les plans, on se rend compte que l’on ne sait rien, ou presque, de cette fille et que l’on n’a développé aucun affect pour elle. Joe ne manifeste de sentiment qu’à deux moments, lorsqu’elle admet être amoureuse de Jérôme, et lors de la mort de son père. Mais même à ces moment-là, il nous est extrêmement difficile d’être en phase avec elle et d’éprouver ne serait-ce qu’un début de compassion. Joe est comme une coquille creuse qui tente de combler un vide abyssal par des expériences sexuelles à la chaine. Cette addiction aurait pu être tout autre (alcool, drogue, nourriture,…) et elle n’est que le symptôme d’un mal de vivre beaucoup plus profond. 
Alors oui, le sexe est omniprésent et frontal (l’interdiction aux moins de douze ans est d’ailleurs étonnante), mais ce n’est là qu’un symptôme. Car Nymphomaniac n’est pas une exploration de la féminité comme on a pu le lire, ou un brulot provocateur de plus. C’est le portrait cru d’une personne malade qui cherche vainement dans le sexe un sens à sa vie. Lars von Trier nous démontre une fois de plus au détour de nombreuses scènes qu’il sait filmer les sentiments les plus extrêmes avec force et emmener le spectateur vers des zones d’inconfort total (la mort du père de Joe à l’hôpital est à ce titre insupportable). Il sait aussi jouer avec les images d’une façon que l’on pourra trouver virtuose ou agaçante (la scène d’ouverture sur un morceau de Rammstein ou la scène finale en split screen). Il n’en reste pas moins un artiste qui a encore des choses à dire, même si ces choses sont parfois difficiles à voir ou à entendre. 
Manipulateur, génie ou provocateur ? Il est surement un peu tout cela en même temps. Attendons le second volume de Nymphomaniac pour juger de l’œuvre finale.

mercredi 18 décembre 2013

A Touch of Sin

Quatre histoires, quatre destins pour illustrer ce qu’est devenue la société chinoise aujourd’hui. Et vu le portrait sans concession que Jia Zhang-Ke dresse de la Chine, on comprend un peu mieux les réticences des autorités à lui ouvrir les salles de son propre pays. 
A Touch of Sin suit donc les destins tragiques de quatre personnages qui subissent de plein fouet le passage d’une dictature communiste à un libéralisme encore embryonnaire mais tout aussi cauchemardesque. Ici, tout est question d’argent. L’argent qui manque pour nourrir sa famille, l’argent qui sert à acheter les gens comme de vulgaires objets, l’argent détournée au profit d’une minorité de nantis. L’argent et son corollaire, la violence, psychologique ou physique, qui éclate comme une grenade et qui scelle les destinées des protagonistes de ce drame implacable. 
Construit comme un film à sketch où chaque segment est relié au suivant par un personnage ou un évènement (on pense à Pulp Fiction pour la construction narrative), A Touch of Sin bénéficie d’une magnifique photo et du talent d’un réalisateur qui ne recule devant aucune concession pour dénoncer l’état de la société chinoise telle qu’il la voit. Tour à tour western, drame, chronique sociale, voire même wu xia pian le temps d’une bref séquence (l’attaque au couteau de Xiao Yu renvoie directement à Lady Snowblood), le film ne cesse de mélanger les genres pour nous transporter dans un voyage au long cours aussi beau qu’éprouvant. 
Pour illustrer ses propos, le réalisateur s’appuie sur deux constantes qui reviennent à intervalles réguliers. La première, c’est l’attachement et l’identification de chaque personnage à sa province d’origine. Comme pour mieux symboliser l’immensité d’un pays que l’on traverse comme un continent, et donc sa diversité, Jia Zhang-Ke s’attache à ramener ses personnages à leur lieu de naissance qui les identifie au moins autant que leurs noms. 
Le deuxième élément récurrent est la présence des animaux qui apparaissent en écho aux scènes qui se déroulent devant nous. L’amante d’un homme marié voit un serpent traverser la route devant elle, tandis qu’un cheval roué de coups renvoie à cette même femme giflée à coup de billets de banque. L’interprétation est bien entendu propre à chaque culture, tout comme le rythme du film qui sera appréhendé différemment par chacun. Et c’est bien là son défaut principal. 
Traversé de plans magnifiques, de flambées de violence absolument démentes, A Touch of Sin s’étire sur deux longues heures que l’on sent passer. Avec un montage ramené à une demi-heure de moins, le film aurait sans nul doute perdu de son côté contemplatif mais gagné en intensité sans compromettre pour autant son intégrité.

dimanche 15 décembre 2013

La Désolation de Smaug

Un an après Un voyage inattendu et un an avant Histoire d’un aller et retour, voici donc le deuxième chapitre de la version du Hobbit de Tolkien vue par Peter Jackson. Autant le réalisateur illustrait de manière magistrale la saga du Seigneur des Anneaux, consacrant trois films foisonnants aux non moins volumineux livres de Tolkien, autant on peut considérer pour le Hobbit que Peter Jackson est davantage dans un exercice d’interprétation que d’adaptation. Etirer l’histoire, certes très riche, du livre fondateur de la saga en trois films demande en effet plus qu’un simple effort d’imagination. C’est le parti pris du réalisateur qui va jusqu’à inventer des personnages (l’elfe Tauriel), étirer des scènes plus que de raison, s’attarder sur des évènements ou des protagonistes à peine esquissés dans le livre original. Le résultat ? Un premier épisode qui peinait à convaincre, écartelé entre divertissement pur et saga fantastique cherchant en vain le souffle épique du seigneur des Anneaux. C’est donc avec une certaine appréhension que l’on attendait ce deuxième chapitre. Heureusement, Peter Jackson retrouve sa verve et le génie qui a fait de sa précédente trilogie un monument incontournable de l’héroïc fantasy. 
Débarrassé du passage obligé de présentation des personnages, le réalisateur consacre les deux heures cinquante de son film à des scènes d’actions toutes plus spectaculaires les unes que les autres, sans oublier la mise en scène des enjeux dramatiques qui trouveront leur dénouement dans le chapitre final. 
Résolument plus sombre que son prédécesseur, la Désolation de Smaug se veut aussi plus adulte par les thèmes qu’il aborde et la manière dont il appréhende la violence. Si le sang ne coule toujours pas, les têtes roulent et les combats gagnent en puissance, laissant espérer une bataille finale épique et brutale. 
Tout comme les Deux Tours pour le Seigneur des Anneaux ou même l’Empire Contre-attaque pour Star Wars, la Désolation de Smaug marque une rupture de ton par la noirceur de son sujet. Le roi des elfes ne se préoccupe que de la sauvegarde de son royaume, Bilbon est de plus en plus captif du pouvoir de l’anneau, Thorin laisse sa part sombre prendre peu à peu le dessus, tandis que leur inconséquence provoque le réveil de Smaug et le probable massacre de milliers de personnes. 
Tout en laissant présager l’impact que peuvent avoir l’aveuglement et la soif du pouvoir, la Désolation de Smaug n’en oublie pas pour autant d’être avant tout une formidable quête épique, une véritable chanson de gestes avec son lot de scènes inoubliables. Que ce soit dans le soin apporté aux chorégraphies de combat des elfes, à l’étourdissante descente en tonneaux ou bien entendu au réveil du dragon, Peter Jackson redresse la barre et nous offre un formidable espoir quant à la conclusion de sa deuxième trilogie.

samedi 7 décembre 2013

Zulu

Zulu démontre une fois de plus qu’il est extrêmement rare que l’adaptation d’un livre lui rende l’hommage qui lui est dû. Mise à part quelques exceptions notables (Fight Club, le Seigneur des Anneaux,…), retranscrire fidèlement à l’écran l’essence même d’un livre est prodigieusement difficile. Malheureusement, le film de Jérôme Salle ne déroge pas à la règle. Zulu reprend les principaux personnages créés par Caryl Ferey, les grandes lignes de l’intrigue et bien entendu le lieu même où se situe l’action. Mais là où le livre diffusait une atmosphère violente et vénéneuse, empreinte de perversions et de mutilations sexuelles (l’un des thèmes récurrents de l’écrivain), le réalisateur n’en garde que le vernis. L’un des intérêts du livre était de nous plonger dans la culture Zoulou, son histoire aussi bien culturelle que politique. Dans le film, cet aspect est complètement gommé au profit de l’intrigue policière, ramenée elle aussi à son plus simple argument. 
Alors bien sûr, on ne peut pas reprocher au réalisateur de faire des choix et de ne pas chercher à retranscrire mot pour mot une histoire qui d’ailleurs ne tiendrait pas dans un format de deux heures. Ce qui est plus gênant est le traitement qui est fait du matériau restant. 
Alors que le film bénéficie d’une très belle photographie reproduisant aussi bien l’ambiance des Townships de Capetown que les magnifiques paysages d’Afrique du Sud, la réalisation de Jérôme Salle est plate et purement illustrative. Le film bénéficie d’un casting solide, les différences flagrantes entre le personnage d’Ali Sokhela tel que l’a imaginé Caryl Ferey, et Forest Whitaker étant d’ailleurs un choix intéressant, celui-ci pâtit d’une direction d’acteurs visiblement réduite au strict minimum. Forest Whitaker fait preuve d’une passivité gênante tandis qu’Orlando Bloom accumule les poncifs de flics à la dérive. 
Sans parler d’un échec général, Zulu est cependant bien loin du film choral poisseux et violent que l’on était en droit d’attendre. Il reste un thriller dépaysant solidement emballé qui devrait satisfaire ceux et celles qui n’ont pas lu le livre dont il est tiré.

jeudi 28 novembre 2013

Les Garçons et Guillaume, à table !

C’est l’histoire d’un garçon qui pensait être une fille. C’est l’histoire d’un amour fusionnel entre un garçon qui tarde à grandir et sa mère. Les Garçons et Guillaume, à table !, transposition cinématographique de la pièce de théâtre de Guillaume Gallienne, c’est un peu tout ça et bien plus encore. Car outre le fait que nous avons tous une mère, le film aborde tellement de sujets de société, brasse tellement de thèmes psychologiques qu’il en devient forcement universel. Quel que soit notre environnement familial ou notre rang social, Les Garçons et Guillaume, à table ! a l’intelligence de parler à tout le monde grâce à la justesse de ses propos, des dialogues savoureux, une interprétation au cordeau et surtout un humour à la fois direct et élégant qui atteint sa cible à chaque répartie. Et c’est bien là toute la finesse de Guillaume Gallienne, tellement omniprésent qu’il aurait pu sombrer dans le nombrilisme ou la schizophrénie, de nous prendre par la main pour nous faire faire un tour dans son univers si particulier. Car cette famille, cet environnement qui semble trop exagéré pour être vrai, nous le voyons à travers les yeux d’un petit garçon qui tarde à s’émanciper, amoureux transit de sa mère et trop sensible pour être à l’aise dans une société qui a décidé pour lui quelle devait être sa place. Que ce soit le personnage du père ou les institutions (l’école, l’armée), il n’aura de cesse de se battre pour exister tel qu’il se voit. Avant de découvrir que cette image tant idolâtrée n’est peut-être pas la bonne. Que tel un miroir déformant, sa mère lui a renvoyé non pas son propre reflet, mais celui qu’elle voulait voir. Entre temps, le spectateur se sera délecté des épisodes tragico comiques, réels ou fantasmés, peu importe, qui constituèrent la vie du réalisateur interprète. Apportant un soin tout particulier à sa bande son, donnant vie à sa mère d’une manière complètement bluffante, Guillaume Gallienne signe peut être la comédie de l’année qui est en train de prendre la tête du box-office, et ce n’est que justice.

samedi 16 novembre 2013

Cartel

Première collaboration entre Ridley Scott et Cormac McCarthy, Cartel est un film choral qui s’inscrit dans la droite ligne des précédents longs métrages du réalisateur, tout en représentant une expérience nouvelle d’un point de vue scénaristique. Si le film n’est pas exempt de défauts qui pourront en agacer plus d’un, le résultat est sans conteste une belle réussite due à une alchimie savamment orchestrée entre plusieurs facteurs. Le premier d’entre eux est la réalisation toujours aussi léchée d’un réalisateur qui apporte le plus grand soin à ses images. Qu’il filme un couple amoureux ou un camion rempli de merde, l’image est toujours aussi élégante et la photographie étudiée. On retrouve une fois encore l’esthétisme de cet ancien publicitaire pour qui l’essence de l’histoire passe avant tout par les images. On aime ou pas, mais force est de constater que Ridley Scott est aussi à l’aise pour filmer les échanges amoureux de ses protagonistes, de longues scènes de dialogues que des scènes de fusillades ou de poursuites tout simplement scotchantes. Quand les personnages de Brad Pitt ou de Michael Fassbender marchent dans la rue en se sachant menacés, la caméra se détache régulièrement d’eux pour suivre un passant, un joggeur ou un vendeur de rue qui pourraient être autant de tueurs potentiels, et le sentiment de paranoïa qui en résulte fonctionne parfaitement. 
Au service de cette réalisation au cordeau, un casting irréprochable et une direction d’acteurs qui ne l’est pas moins. Pour ne citer qu’eux, Cruz, Fassbender, Bardem, Pitt ou Diaz sous tout simplement impressionnants, composant des personnages en proie aux pires turpitudes, prêts à tout pour faire grossir leur part du gâteau en essayant de rester en vie. Cartel nous convie à des confrontations et des numéros d’acteurs qui justifient à eux seuls la vision du film. 
Ce plaisir est aussi dû en grande partie à la présence de Cormac McCarthy dans l’équipe du film. Si l’écrivain ne convainc qu’à moitié avec un scénario souvent assez obscur et difficile à suivre, son talent prend sa pleine mesure avec des dialogues permettant aux interprètes de donner le meilleur d’eux même. L’histoire de détournement de drogue n’est qu’un prétexte pour mettre en scène une descente aux enfers d’une noirceur peu commune. Le danger est continuellement sous-jacent, souligné par une musique parfois un peu trop appuyée, mais conférant au film une atmosphère de plus en plus étouffante, jusqu’à un final nihiliste en parfaite cohérence avec les évènements qui nous ont conduits là. 
Plus qu’un état des lieux du trafic de drogue entre le Mexique et les États Unis, Cartel se veut une tragique comédie humaine, un étalage de tout ce que l’homme, ou la femme, peut compter comme péchés. Cupidité, mensonge, meurtre, trahison, terrorisme psychologique, tout y passe. Réalisateur, scénariste et acteurs mettent leur talent en commun pour un voyage somme toute assez commun au bout de l’enfer. 
Si l’on met de côté une certaine misogynie et un côté un peu poseur, Cartel nous réserve son lot de scènes incroyables, des personnages bien écrits et magistralement interprétés, des dialogues savoureux et une violence, le plus souvent racontée que montrée, elle en est d’autant plus traumatisante, qui témoigne de tout ce que l’être humain peut faire pour satisfaire ses plus bas instincts et conserver sa part de pouvoir ou sa place dans la société. Une alchimie qui fonctionne parfaitement pour un film qui sera réévalué avec le temps.

dimanche 10 novembre 2013

Snowpiercer

Drôle de projet que ce Snowpiercer, adaptation d’une bande dessinée française par un réalisateur sud coréen avec une distribution internationale. Pourtant, le choix Bong Joon Ho est parfaitement cohérent avec le matériau d’origine. Le réalisateur a prouvé, avec Host entre autre, qu’il savait marier divertissement pur et chronique sociale, qu’il maitrisait parfaitement la construction des scènes de catastrophe, et qu’il portait un intérêt tout particulier à ses personnages. Snowpiercer, le Transperceneige en français, met donc en scène une planète Terre dévastée par une nouvelle ère glaciaire. Les quelques survivants ont embarqué à bord d’un train ultra moderne qui roule sans jamais s’arrêter, faute de quoi ses passagers seraient voués à une mort certaine. A l’intérieur de cette arche de Noé moderne, la hiérarchie sociale est très stricte. Ceux qui ont embarqués avec un billet de première ou deuxième classe vivent à l’avant du train dans le luxe et l’oisiveté. Les autres sont cantonnés dans les wagons de queue et survivent sous le joug et selon le bon vouloir des classes supérieures. Mais la révolte gronde, et bientôt un groupe de rebelles se met en tête de remonter les wagons un à un jusqu’à la machine de tête où se terre Wilford, le concepteur du train. 
Le réalisateur aurait pu choisir une voie mystique pour raconter son histoire, multipliant les allégories religieuses tant le sujet s’y prêtait. Au contraire, il prend le parti d’ancrer son récit dans des considérations très terre à terre. Contrairement aux écrits bibliques, ce n’est pas pour fuir la colère divine que les survivants de l’apocalypse se sont réfugiés dans le train, mais pour échapper aux conséquences désastreuses des expériences ratées de quelques scientifiques qui pensaient pouvoir arrêter le réchauffement climatique, lui-même causé par l’activité humaine. Et à la différence de l’Arche de Noé, ce ne sont pas (seulement) des élus qui montent à bord du train, mais ceux qui ont réussi à survivre. Le thème de la sélection, naturelle ou artificielle, sera d’ailleurs au cœur des révélations du film. Enfin, le mystérieux personnage de Wilford, considéré comme un dieu vivant par nombre de ses passagers, est vite démystifié et se révèle au final un redoutable manipulateur plutôt qu’un guide spirituel. 
Mais s’il préfère à juste titre s’intéresser aux ressorts sociologiques plutôt que mystiques de son histoire (la métaphore des pauvres remontant les wagons du train comme ils graviraient de force les échelons pour accéder à un statut social supérieure est d’ailleurs évidente), Bong Joon Ho n’en oublie pas pour autant de dérouler un film captivant et surprenant à plus d’un titre. 
Convoquant un casting hétérogène, il s’entoure d’interprètes à l’unisson, tous parfaits dans leurs rôles. Si les personnages campés par Ed Harris, John Hurt et Song Kand-Ho collent parfaitement aux acteurs, nous retrouvons avec plaisir Chris Evans, Tilda Swinton ou Jamie Bell dans des compositions où on ne les attendait pas forcement. 
Maitrisant comme à son habitude sa réalisation de bout en bout, Bong Joon Ho nous offre une succession de scènes aussi surprenantes que réjouissantes au fur et à mesure que nous remontons le train en compagnie des rebelles. Citons parmi elles la séquence tout simplement incroyable du cours d’école suivie de la scène des œufs, ou encore la confrontation des héros avec des dizaines de tueurs cagoulés armés de haches. Jouant avec les ruptures de rythmes, alternant accès de violence et séquence humoristique, le réalisateur réussit le pari de nous prendre à chaque fois à contrepied sans nous perdre une seule seconde. 
Si la scène finale du film apporte un peu de lumière, le propos reste d’un cynisme et d’une noirceur que l’on avait perdu l’habitude de voir dans un film d’anticipation ces dix dernières années. Snowpiercer renoue donc avec la grande tradition des films qui allient grand spectacle et propos politiques (au sens premier du terme), qui offre au spectateur un divertissement de haute volée sans forcément le caresser dans le sens du poil. Cela devient rare et ça n’en est que meilleur.