Le règne animal ne commence pas sous les meilleurs hospices. Cinq minutes de huit clos dans l’habitacle d’une voiture entre un adolescent apathique qui se rebelle mollement contre son père moralisateur dont la posture ultime est de citer René Char. Romain Duris joue à fond la posture du quinquagénaire faussement rebelle et Paul Kircher condense en un regard tout ce que l’adolescence peut susciter d’agacement pour le spectateur adulte. On craint alors la sortie de route façon Acide, l’accident d’interprétation et d’écriture des personnages qui handicape depuis des années le cinéma de genre en France. Heureusement, par petites touches, le film se met en place et le miracle opère enfin.
Car le nouveau long métrage de Thomas Cailley se construit justement pierre par pierre au travers de ces détails, pas si infimes, qui font un film. La musique d’Andrea Laszlo De Simone qui nous fait rester jusqu’au générique de fin, la force des seconds rôles, de Fix l’homme oiseau à Nina en passant par Julia campée par la toujours impeccable Adèle Exarchopoulos, et enfin les magnifiques effets spéciaux au travers desquels l’humanité perdue des mutants transcende leur animalité.
Dès l’impressionnante scène d’ouverture nous comprenons à demi-mots que, aussi spectaculaire que soit cette évasion, la présence des « bestioles » n’a rien de nouveau pour les protagonistes du film qui ont de ce fait une longueur d’avance sur les spectateurs. Et en effet le réalisateur ne s’encombre pas d’éléments explicatifs, il n’y en a pas, à chacun de se faire sa propre opinion, ou de laborieuses séquences d’installation. Nous sommes d’emblée confrontés à un état de fait, suffisamment nouveau pour que les personnages du film ne sachent pas encore comment réagir, mais déjà établi.
Des scènes aussi fortes, le film en regorge, d’une séquence de traque en échasses dans un champ de maïs à une recherche nocturne en voiture à travers bois où père et fils se rejoignent sans mot dire dans la quête de cette femme / mère perdue. Et c’est là toute la finesse de Thomas Cailley, de faire passer des informations ou des sentiments sans asséner de lourds discours démonstratifs. Une cicatrice en dit plus long que bien des mots, un centre de traitement entre aperçu au détour d’une route et des essais ratés de chirurgie réparatrice sur le visage de Fix laisse transparaitre toute l’horreur qui se cache derrière ces murs immaculés et le traitement réservés aux mutants.
Film allégorique à plus d’un titre (la scène finale fait irrémédiablement penser au douloureux envol des adolescents quand ils quittent le foyer familial), fable fantastique au sens premier du terme et film politique dans la réflexion, certes vue mille fois mais néanmoins juste, du traitement de la différence, le règne animal ajoute une belle lettre de noblesse au fantastique français et démontre d’une belle maitrise au service d’une ambition exceptionnelle.
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